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Aurore Perraud et Aadil Ameer Meea : Etre député à 30 ans

16 mai 2010, 11:24

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Aadil Ameer Meea (MMM), 33 ans et Aurore Perraud (PMSD), 34 ans sont les deux plus jeunes élus au Parlement. Ils expriment leurs idées, leurs craintes et leurs espoirs.

Cette première journée au Parlement, vous la sentez comment ?

Aurore Perraud. J’ai hâte d’y être ! Je suis super enthousiaste, j’attends ça avec impatience, vraiment.

Aadil Ameer Meea. Moi aussi j’ai hâte d’y être ! Je ne serai pas là-bas pour faire de la figuration, j’espère bien jouer pleinement mon rôle d’opposant. (Elle coupe)

A. Perraud. C’est-à-dire ?

A. Ameer Meea. Ben, faire entendre ma voix, défendre mes idées. Et sur un plan plus  politique, veiller à ce que les promesses de l’Alliance de l’avenir soient respectées.

A. Perraud. Je me documente énormément ces jours-ci, je demande des conseils à droite à gauche à d’anciens députés, à des amis, pas forcément des membres de mon parti. Je n’ai pas honte de dire que je ne sais pas. J’ai cette soif d’apprendre pour mieux servir.

Ameer Meea. Au MMM, on a eu session de formation, jeudi.

A. Perraud. (Etonnée) C’est le parti qui organisait ça ?

Ameer Meea. Oui, c’était une formation pour les jeunes, les nouveaux, sous la houlette de Rajesh Bhagwan. Je pense que ça va nous aider. De toute façon, on apprendra au fur et à mesure.

Des craintes, des appréhensions ?

A. Perraud. Ce n’est pas vraiment une crainte, mais je sens qu’il y a beaucoup d’attentes autour de moi, pas mal de demandes à satisfaire, or je ne sais que je ne pourrais pas contenter tout le monde. Humainement, c’est impossible.

A. Ameer Meea. Moi j’ai été très clair là-dessus, j’ai bien expliqué ce que je pourrais faire et ce que je ne pourrais pas faire.

A. Perraud. Pareil pour moi, pas question de promettre des trucs impossibles, je l’ai dit et répété durant la campagne.

A. Ameer Meea. Pourtant, c’est comme ça que la plupart des députés fonctionnent : « Pas per, mo pe get tou zafer », arrêtons avec ça ! Les élus ne sont pas des magiciens, faut que ça rentre dans la tête des gens.

A. Perraud. je crois que tous les deux, on a la volonté de faire revivre les valeurs perdues de la politique, de lui redonner un peu de noblesse.

Vous êtes sûr que nous n’étiez pas sur la même liste ?

A.Perraud. (Rires) C’est que j’étais en train de me dire ! C’est pour ça que le mot « opposant » tout à l’heure m’a fait tiquer.

Quels sont rapports avez vos leaders respectifs sont à vos côtés ?

A. Perraud. Xavier-Luc Duval m’a soutenu d’un bout à l’autre de la campagne. Il était très pris, il était lui-même candidat, mais il m’appelait quasiment les jours pour me demander si j’avais besoin de quelque chose. Vraiment, il m’a donné un gros coup de main.

A. Ameer Meea. Depuis mon arrivée au MMM en décembre, Paul Bérenger est très présent à mes côtés. On se voit au moins une fois par semaine, un tête-à-tête d’une demi-heure, parfois une heure. Pendant la campagne on a fait un break, on se parlait surtout au téléphone. Et puis là c’est reparti, on s’est vu hier, ce matin…

Déjà dans les petits papiers !

A. Ameer Meea. Non, non, je ne crois pas. Simplement, il attendait beaucoup de moi et vu que je suis sorti en tête de liste… (Elle coupe)

A. Perraud. Quel genre d’attentes ? 

A. Ameer Meea. Déjà, être élu. Après, les journaux ont écrit que j’étais l’homme providentiel de Bérenger dans la N°3, s’ils le disent… Disons, sans avoir la grosse tête, que j’ai rempli mon job avec brio.

A. Perraud. Est-ce que Paul Bérenger rencontrait les autres candidats en tête-à-tête ?

A. Ameer Meea. J’ai connu mes colistiers deux semaines avant le Nomination day. Moi, j’étais là depuis décembre, donc forcément j’étais un peu l’interlocuteur privilégié.

Trentenaire rime rarement avec parlementaire. Comment avez-vous rencontré la politique ?

A.Perraud. J’ai fait partie de Women in Networking, puis de Women in Politics. Adhérer à un parti, ça ne me disait pas plus que ça. Je suis maman, j’ai deux enfants, les contraintes familiales, tout ça. Mon mari, Gino, est membre du PMSD depuis 20 ans (il assiste silencieusement à l’entretien, NdlR). Il m’encourageait à me lancer, il me poussait. Il faut dire que dans la famille, on est tous PMSD. Mais je ne voulais pas m’engager par tradition familiale, je voulais que ce soit une décision personnelle, un choix mûrement réfléchi. Alors j’ai pesé le pour et le contre, j’ai prié et en septembre 2009 j’ai décidé de rejoindre le parti. Aujourd’hui, mon mari est aussi mon agent, mon mentor, mon garde du corps, bref, on est très proche l’un de l’autre ! (Rires)

A. Ameer Meea. Mon beau-père, Siddick Chady, est un ancien ministre travailliste, mais chez moi on a toujours été militant. Devant mon père, mieux vaut ne pas dire du mal de Bérenger, sinon vous risquez d’avoir des soucis ! J’ai été nourri pendant des années avec l’esprit militant. Et puis il y a six mois, le MMM m’a offert un ticket. L’offre m’est parvenue à travers Reza Uteem, qui travaille dans le même cabinet d’avocat que ma femme. Paul l’avait mandaté pour recruter des gens, il m’a identifié, on s’est rencontré et vous connaissez la suite.

A.Perraud. Personne n’est venu me chercher, moi. Pour être franche, je ne m’attendais pas à avoir un ticket. Le jour de la présentation des candidats, je reçois un coup de fil, on me dit : « Aurore, tu as cinq minutes pour être au centre Vivekananda », ça s’est passé comme ça.

A. Ameer Meea. Typiquement le Parti travailliste ! J’imagine que ça a dû être stressant ? 

A. Perraud. Ah oui ! Contrairement à vous, j’ai eu très peu de temps pour me préparer, pour aller sur le terrain. J’ai su que j’étais candidate 15 jours avant l’élection. 

Quelles sont les idées, les projets que vous comptez défendre ?

A. Ameer Meea. La sous-représentation des minorités dans le service civil, on a un vrai problème à ce niveau-là. On parle d’égalité, d’unité, de modernité ça me fait rire quand je regarde la situation dans la fonction publique. 

A.Perraud. Je confirme : on aurait pu être dans la même équipe ! Moi aussi je veux me battre pour les minorités et pour la justice sociale. Ma circonscription s’étend de Crève-Coeur à Cité-La-Cure, avec trois grands groupes de population : les hindous, les musulmans et les créoles. Durant toute la campagne, on m’a servi la même rengaine : « Tu sais Aurore, si tu veux gagner, il va falloir adapter ton discours en fonction du lieu où tu trouves ». J’ai refusé de faire ça, je me suis fait un devoir de rester moi-même.

A.Ameer Meea. Contrairement à votre colistière. (Il fait référence à Mireille Martin qui a démontré qu’elle maîtrisait l’hindi, NdlR)

A. Perraud. (Sourire gêné) No comment. Moi, j’ai pas joué à ça. A Montagne-Longue, j’ai dit que le poste de Premier ministre n’était pas réservé à une seule communauté. Bon ben ça, c’était pas politiquement correct, je savais que je me tirais une balle dans le pied, mais j’avais un choix à faire

Quel choix ?

A.Perraud. Perdre les élections ou me perdre.

A. Ameer Meea. Vous avez fait le bon choix. J’ai tenu le même langage à Plaine-Verte et à Roche-Bois, ça ne m’a pas empêché d’être élu.
A. Perraud. Vu la proximité que vous avez avec votre leader, et puisque vous avez envie comme moi d’assainir la vie politique, ne pensez pas qu’en 2010, c’était le moment pour le MMM de présenter un candidat créole dans la N°3 ?

A.Ameer Meea. Sur le principe vous avez raison mais il faut être réaliste : les mentalités ne changeront pas du jour au lendemain. Regardez ce qui se passe au plus haut niveau de l’Etat : le  Président de la République, le Premier ministre, le ministre des Finances, le commissaire de police, le commissaire des prisons, la NIU, la SMF, la SSU il n’y a pas de compétences dans les autres communautés ?

A.Perraud. Si. C’est précisément pour ça que j’ai décidé de faire de la politique, pour changer les choses, pour faire bouger les lignes.  

A.Ameer Meea. La justice sociale, il faut qu’on tape fort là-dessus. Les minorités doivent avoir leur part du gâteau national. Mon autre priorité sera de lutter contre le trafic de drogue. On ne s’y attaque pas sérieusement dans ce pays.  

A. Perraud. Au niveau de ma circonscription, j’ai l’intention de revoir les infrastructures, surtout du côté sportif, où c’est lamentable. Je suis enseignante au collège père Laval, beaucoup de mes élèves sont d’excellents sportifs mais ils sont obligés d’aller s’entraîner ailleurs. Ils perdent un temps fou en transport. Ce temps-là, ils pourraient l’utiliser pour leurs études.

Qu’est-ce que cette campagne vous a appris ?

A. Ameer Meea. D’abord, que l’on ne débat pas ou très peu. Je trouve ça choquant. Je ne parle même pas de l’attitude de la télé nationale qui est une insulte à l’intelligence des Mauriciens.

A. Perraud. Choquant n’est pas le bon mot, moi j’ai été outrée par l’absence de débat. Toute la campagne a été axée sur le dénigrement de la personne, ce n’est pas ma vision de la politique.

A.Ameer Meea. Si je compare 83, 87 et 2010, je ne vois aucune différence. Le communalisme, l’argent, les bases, tout ça me dégoûte. L’adversaire a commencé et on a suivi, bêtement.

A.Perraud. Je vous rejoins là-dessus. (Il coupe)

Ameer Meea. Elle va venir au MMM !

Aurore Perraud. (Rires) Non, non, non ! Je suis fidèle et loyale. Ce que cette campagne m’a appris, je vais le résumer en une phrase : la nation Mauricienne est loin d’être construite. Ça me rend triste. J’ai côtoyé le communalisme de près, l’hypocrisie, les « nou banne », ça fait mal, ça détruit. Je comprends, maintenant, pourquoi autant de jeunes veulent s’expatrier.

A.Ameer Meea. Posez-vous la question : à qui profite le communalisme ?

A. Perraud. A celui qui veut gagner à tout prix...

Entretien réalisé par Fabrice Acquilina