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Ben Buntipilly - conseiller à la sécurité routière au bureau du Premier ministre : «Oui, j’ai fait des erreurs»
19 janvier 2014, 09:26
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Ben Buntipilly - conseiller à la sécurité routière au bureau du Premier ministre : «Oui, j’ai fait des erreurs»
Il a voulu interdire les portables aux piétons, puis déguiser les motards en Stabilo Boss. Il s’est ravisé. Aujourd’hui, aux yeux de beaucoup, « Monsieur Sécurité routière » est le champion de la marche arrière. S’il reconnaît s’être loupé sur sa com, il ne démord pas du reste. Pleins phares sur l’homme le plus raillé de ce début d’année.
Qu’est-ce qui ne va pas ces temps-ci, M. Buntipilly ?
(Il s’approche tout près) Regardez-moi : est-ce que j’ai l’air de flancher ?
On vous moque, on réclame votre tête…
Enn ti grife, sa !
Etes-vous insensible à la vindicte ?
Il m’arrive d’être découragé, mais je me ressaisis très vite. Je suis un battant, je crois en ce que je fais. Protéger la vie est un travail noble, ce ne sont pas quelques moqueries sur Facebook qui vont m’atteindre, au contraire, l’adversité me renforce. A la fin, ce qui compte, ce sont les résultats. En 2013 - ce chiffre n’est pas encore officiel -, le nombre de tués sur les routes a diminué de 12,8 %, soit 136 personnes contre 156 un an plus tôt. C’est la plus forte baisse de ces dix dernières années. C’est pour cela que je me lève chaque matin depuis 25 ans, pour empêcher les gens de mourir. Ce combat, je ne l’abandonnerai pas, j’ai vu trop de cadavres. De toute façon, mes opposants, je les connais…
Vous connaissez personnellement chaque Mauricien ?
J’ai le soutien de la majorité silencieuse. Mes opposants sont une poignée, ce sont d’anciens collègues policiers. Ils veulent prendre ma place à tout prix, ils sont jaloux. Ces gens-là sont les mêmes qui me jetaient de la boue quand j’étais en charge de la Road Safety Unit. Je les laisse faire. A la fin, c’est toujours moi qui gagne.
On vous a connu plus humble…
Je n’ai pas changé. C’est juste une constante dans ma vie : mo bann detrakter sorti perdan, mwa ki sorti gagnan.
Vous évoquez de la jalousie. Et si c’était du discrédit ?
(Direct) Ma crédibilité est intacte.
Même avec vos récentes idées de « génie » ?
(Index pointé) Je suis crédible et je le resterai jusqu’à ce que je quitte cette Terre. Des gens ont réclamé ma démission, qu’ils sachent que je ne démissionnerai qu’à ma mort.
Avez-vous un contrat à vie ?
Non. Si demain je devais quitter le PMO, je continuerais à travailler pour la sécurité routière dans le privé, comme consultant. C’est le combat de ma vie, je le mènerai jusqu’au bout. Et puis, je ne ressens pas ce discrédit dont vous parlez. Dans le regard des gens, que ce soit dans la rue ou ici, dans ces bureaux, dans ces couloirs, dans l’ascenseur, je vois du respect.
Vos collègues sont peut-être bien élevés…
(Il réfléchit) Ma femme m’a demandé l’autre jour si les gens qui me faisaient des compliments étaient sincères. Je lui ai dit : « Monique, ne t’inquiète pas, ils sont très peu à vouloir me salir ». Sur les 200 000 titulaires d’un permis deux-roues, un tout petit nombre a réclamé mon départ. Je continue à marcher la tête haute, mon coeur et mes mains sont propres.
On n’en doute pas, ce sont juste vos lubies qui interpellent parfois. Ce fameux gilet, c’était bien réfléchi ?
(Sourire) Très réfléchi ! On s’est basé sur une étude paru en 1976 en Amérique. D’accord, ça date un peu, mais les conclusions sont toujours d’actualité : la mortalité des conducteurs de deuxroues est étroitement liée à deux facteurs, le non-port du casque et l’absence de visibilité. Le port d’un casque intégral est déjà obligatoire, d’où cette idée de gilet à bandes rétro-réfléchissantes.
De nuit, on veut bien croire à son efficacité. De jour, c’est beaucoup plus discutable. On ne voit pas bien à quoi ça pouvait servir, sauf peutêtre à rapporter de l’argent.
Non, ce n’était pas le but. De jour comme de nuit, un deux-roues est plus visible si le conducteur porte un gilet de sécurité. Je maintiens que c’était une bonne idée, même de jour.
Dans ce cas, pourquoi ce rétropédalage ?
C’est-à-dire… euh… nous n’avons pas… (Il cherche ses mots) Il n’y a pas de compromis à faire en matière de sécurité routière. Enfin… si… on a décidé d’un compromis, obligatoire la nuit, facultatif le jour. Cela montre que ce gouvernement est à l’écoute.
Est-il à l’écoute ou a-t-il déjà suffisamment d’ennuis ?
Je préfère dire qu’il est à l’écoute (sourire).
Quel est le parcours d’une idée en matière de sécurité routière ? Qui propose, qui valide et qui change d’avis ?
Je ne suis qu’un conseiller, la décision finale appartient au ministère du Transport.
Le cafouillage des gilets, qui est responsable ?
J’assume tout.
C’est mignon de protéger vos patrons, mais on aimerait comprendre...
Je ne souhaite pas entrer dans ces détails.
Le ministère du Transport avait-il validé la formule «gilet 24/7 » ?
(Hésitant) Oui.
Ce même ministère a-t-il décidé ensuite de faire marche arrière ?
Oui.
En gros, M. Bachoo décide, vous appliquez ?
(Du bout des lèvres) Oui, ça marche comme ça.
Bien. Passons à autre chose. Il y a deux mois, vous annonciez la mesure la plus ahurissante de la décennie : interdire le portable aux piétons. Qui est le comique derrière cette idée ?
C’était mon idée, j’assume. Mais les gens ont mal compris, l’interdiction s’appliquait uniquement au moment de traverser la chaussée. Je ne vois pas pourquoi on interdit aux automobilistes d’utiliser leur portable en conduisant alors que les piétons traversent parfois en téléphonant, ce qui perturbe gravement l’attention et pose un problème de sécurité.
Vous maintenez que c’était une bonne idée ?
(Hésitant) C’était pour voir un petit coup… C’était une proposition.
C’était plus que cela, c’était une promesse : vous aviez annoncé une loi en janvier.
(Il cherche ses mots) Oui mais aujourd’hui ce n’est plus d’actualité, on a abandonné l’idée.
Comment expliquez-vous, au-delà de ces deux exemples, que le taux de mortalité de vos idées soit si élevé ?
(Long silence) Je me suis parfois trompé, je l’admets. J’ai voulu aller trop vite, j’ai brûlé des étapes en pensant que j’obtiendrais plus rapidement des résultats. Oui, j’ai fait des erreurs. Il faut revoir notre stratégie de communication, expliquer davantage, sans précipitation.
(Long silence) Je me suis parfois trompé, je l’admets. J’ai voulu aller trop vite, j’ai brûlé des étapes en pensant que j’obtiendrais plus rapidement des résultats. Oui, j’ai fait des erreurs. Il faut revoir notre stratégie de communication, expliquer davantage, sans précipitation.
On attend votre prochaine annonce avec impatience. Pourquoi ne pas interdire les voitures sur les routes ? Il y aurait moins d’accident. Ou mieux : recruter Yatin Varma à la sécurité routière…
(Mal à l’aise) On ne rigole pas avec la vie, monsieur.
C’est vous, monsieur, qui avez ouvert le bal avec vos histoires de portable…
Encore une fois, l’idée n’était pas forcément mauvaise. La sécurité routière est une approche globale, tout compte. Le cas de la France est un modèle du genre. Ce pays, en quarante ans, a réussi à diviser par cinq le nombre de tués sur les routes. Moi, je suis un pionnier, quelqu’un qui aime inventer. En ce moment, je travaille sur la création de moto-écoles. A Maurice, les conducteurs de deux-roues n’ont aucune formation, c’est un problème auquel je souhaite remédier dès cette année. Parallèlement, le permis deux-roues va changer, et ceux qui l’ont déjà seront soumis à une formation obligatoire.
En parlant de permis, combien de conducteurs l’ont perdu depuis l’introduction du système de points ?
A ma connaissance, aucun. C’est bon signe. Les conducteurs deviennent plus responsables, notamment en matière de vitesse.
Malgré ces progrès, en 2013, toutes les 60 heures, en moyenne, une personne est morte sur les routes...
Mourir sur la route est hélas devenu banal. Parfois, je me dis que les campagnes de la sécurité routière sont trop soft. Peutêtre que nous devrions choquer les gens, faire comme les Anglais ou les Australiens.
Tous ces morts, est-ce le prix à payer du nombre croissant de véhicules ?
Certainement. Chaque année, on compte environ 15 000 véhicules supplémentaires sur nos routes (432 000 aujourd’hui, ndlr). Malgré l’explosion du trafic, nous réussissons à contenir l’explosion de la mortalité, ce qui est déjà un résultat (pour donner un repère, il n’y a pas plus de tués aujourd’hui qu’il y a dix ans, malgré un parc automobile qui a grandi de 50 %, ndlr).
C’est un chauffeur qui vous conduit au travail ?
Non, c’est moi qui conduis. C’est essentiel pour comprendre la route. J’observe tout.
Que voyez-vous ?
A Maurice, la route est peut-être le dernier endroit où il est légitime d’être violent. Prenez le cas d’un conducteur qui vous colle pour vous faire accélérer. Sur la route, on parle de «non-respect des distances de sécurité». Dans n’importe quel autre contexte, on parlerait d’«agression». Sur la route, il y a un sentiment d’impunité, d’où cette violence. C’est un héritage de plusieurs décennies. Toute une génération de conducteurs a été mal formée et a mal « grandi ». Aujourd’hui, c’est à Ben Buntipilly de corriger tout cela et la tâche est immense.
Vous sentez-vous investi d’une mission ?
Une mission sacrée.
Le point noir serait donc la formation ?
C’est une partie du problème. Je crois aussi que beaucoup de conducteurs expriment au volant leurs frustrations de la vie quotidienne, les petites comme les grandes, et cela donne des comportements agressifs.
Des comportements agressifs masculins…
Vous avez raison de le souligner. Toutes les statistiques démontrent que les femmes sont beaucoup plus « sages » au volant : 90 % des tués et 80 % des blessés sont des hommes. Sur le bitume, comme dans beaucoup d’autres endroits, la femme est l’avenir de l’homme.
Maintenant qu’on se connaît mieux, qui veut votre place ?
Quelques jaloux, des frustrés, ceux qui disent : «Buntipilly, où sont ses qualifications, quels sont ses diplômes?». Mes diplômes, c’est mon expérience de la vie (ému, il s’interrompt)... J’ai beaucoup de choses au fond de moi, vous savez. Des études, j’aurais aimé en faire, mais nous étions trop pauvres. Maman était laboureur, elle travaillait la canne. Je n’ai pas connu mon père, il est mort peu après ma naissance. Il y a toutes ces choses que je n’arrive pas à dire, toute cette enfance (de plus en plus ému). Pourtant, ces années-là m’ont tellement appris sur la vie.
Que savez-vous d’elle ?
Je sais qu’il faut la croquer, la vie. Combattre, avancer, surmonter les obstacles, la misère, le renoncement, les cadavres, les moqueries ; j’ai appris tout cela. Et aujourd’hui je vous le dis : je suis fier du parcours accompli.
« Il m’arrive d’être découragé, mais je me ressaisis très vite. Je suis un battant, je crois en ce que je fais. Protéger la vie est un travail noble… »
«Des études, j’aurais aimé en faire, mais nous étions trop pauvres. Maman était laboureur, elle travaillait la canne. Je n’ai pas connu mon père, il est mort peu après ma naissance. »
SES DATES
• 1958. Naissance à Rose-Belle.
• 1977. Enseignant auprès d’enfants schizophrènes.
• 1979. Entre dans la police (SSU).
• 1988. Crée la Police Road Safety Unit.
• 2008. Nommé assistant surintendant de police.
• 2009. Retraite de la police. Devient security manager à Caudan Security Services.
• 2010. Conseiller du Premier ministre à la sécurité routière.
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