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Bernard D’Arifat « Le sucre a permis de développer Maurice, mais il a emprisonné l’agriculture »

4 avril 2010, 15:56

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Le General manager de Médine Agriculture se prononce sur la nécessité de produire des fruits et légumes.

Comment un sucrier tombe-t-il amoureux de son potager ?

Il n’y a plus de croissance possible avec la canne, c’est fini. Celui qui veut investir, embaucher, croître, n’a pas d’autre choix que de se tourner vers la diversifi cation. Le sucre est une culture basique. Les fruits, les légumes, c’est plus technique, avec un chiffre d’affaires à l’hectare plus gros. Et puis, produire ici ce que nous consommons, au lieu d’exporter du sucre et importer tout le reste, c’est pertinent.

La canne ne paie plus ?

C’est une évidence. La canne a fait ce qu’elle pouvait jusqu’en 1975. Depuis, on a perdu un tiers des surfaces et le rythme va s’accélérer. La canne est en décroissance, elle n’a plus de projets, plus d’idées, elle n’investit plus, elle vieillit. Les planteurs, cette année, ne feront quasiment aucun profit.

Une entreprise comme Omnicane, qui investit massivement, a donc tout faux ?

Pas forcément. Il faut faire une distinction entre le pôle industriel (les usines) et le pôle agricole (au champ). Le pôle industriel a bénéficié  l’investissements massifs ces dernières années, d’où un certain dynamisme. Par contre, au champ, au niveau de l’activité purement agricole, les investissements ont été ridicules et les problèmes subsistent, en particulier la disparition des terres. Tous les ans, la canne perd 2000 hectares (ha), soit 3 % des surfaces, et ce processus va s’accélérer parce que les profi ts chutent tous les ans.

Au champ, vous sentez du découragement ?

Un découragement total, aussi bien chez le planteur que le propriétaire. C’est la déprime, les gens sont démoralisés, épuisés, à bout de nerf. Résultat, les planteurs de canne abandonnent leurs terres et les propriétaires deviennent des apprentis-fonciers. Ils rêvent de vendre leur arpent à un million de roupies. Leur véritable objectif n’est plus l’agriculture, ils espèrent vendre au meilleur prix possible, ou alors utiliser « enn bout la terre pou mo zenfant ». Ils cultivent la terre par défaut, ce ne sont pas de vrais  entrepreneurs.

Reste que la canne occupe encore 90 % des surfaces cultivées. Une erreur stratégique ?

Complètement ! Parce que la production de légumes a plus de valeur que celle du sucre. En plus, le pays en a besoin. Demain, ce sera plus facile de gérer une production locale pour un marché local plutôt que de chercher à être compétitif en exportant du sucre. Et dans le monde qui vient, avec le développement de l’Inde et de la Chine, je ne suis pas sûr que la production agricole mondiale nourrira les Mauriciens. plus d’idées, elle vieillit. »


Vous voulez dire que la pomme d’amour vendue à Maurice est plus rentable que le sucre exporté en Europe ?

Absolument, la pomme d’amour est cinq à dix fois plus rentable.

Sauf qu’elle ne résiste pas au cyclone.

Mais si ! La pomme d’amour que vous plantez en avril et que vous récoltez en décembre n’est pas affectée par les cyclones, c’est un faux problème. C’est comme la pomme de terre, on ne la cultive pas en saison cyclonique, elle est 100 % résistante.

Alors pourquoi la production de fruits et légumes a-t-elle chuté de 20 000 tonnes depuis 2001 ?

A cause du vieillissement des planteurs et de leur statut précaire. Les planteurs ne sont pas propriétaires des terres, ils ne peuvent pas investir dans une agriculture moderne. Leurs techniques sont dépassées, ils ne trouvent plus la main d’oeuvre, alors ils disparaissent à petit feu.  Conséquence, les Mauriciens consomment de plus en plus de produits transformés en provenance de l’étranger. Mais les produits frais, eux, ne sont pas remplacés. Par rapport à 2001, nous n’importons pas 20 000 tonnes supplémentaires de produits frais. D’où l’avènement de la boîte de conserve.

Pourquoi notre agriculture est-elle si figée ?

La vente de sucre à un prix très rémunérateur a découragé toute tentative de diversifi cation. C’était tellement facile, tellement rentable de cultiver de la canne ! Aujourd’hui, il y a urgence et nous n’avons plus les ressources pour réagir. C’est quand la canne dégageait des profi ts qu’il fallait diversifier. Je crains qu’il ne soit déjà trop tard, je suis inquiet.

Que proposez-vous ?

Mettez 1 % des superficies de canne sous diversification agricole  je m’adresse aux propriétaires sucriers et aux planteurs de bonne volonté. Un pour cent, c’est quoi ? 700 ha, 350 millions de chiffre d’affaires, et peut-être 500 millions d’investissement, c’est peu, mais faites-le, la survie de la canne en dépend ! La diversification, même à toute petite échelle, irriguera la canne de son dynamisme.

Quand vous proposez cette idée à vos confrères sucriers, que vous répondent-ils ?

Qu’ils ne peuvent pas cultiver 70 000 ha de pommes d’amour, que le marché mauricien est trop restreint. Je me tue à leur expliquer que 1 % de 70 000 ha serait déjà bien, que 2 % ce serait mieux, etc. Je me tue à leur expliquer que les productions de fruits, de légumes, de lait, éventuellement de riz, créent davantage de richesse que la canne.

Si la diversification est si évidente, pourquoi n’êtes vous pas entendu ?

Pour une raison bien simple. Quand on gagne de l’argent avec la canne on ne pense pas à produire autre chose. Et quand on ne gagne plus d’argent on est coincé. Si le sucre a permis de développer Maurice, il a aussi emprisonné notre agriculture.

Fabrice ACQUILINA