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Cader Sayed-Hossen, Ministre du Commerce, de l’Industrie et de la Protection des consommateurs

2 septembre 2012, 09:53

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Les prix de l’essence et du diesel n’ont pas bougé depuis un an et demi. En fin de semaine prochaine, un coup de pompe est prévisible. Voici pourquoi.

MM. Duval et Sik Yuen vont-ils devoir se remettre à la bicyclette ?

(Rires) Rassurez-les, l’essence ne coûtera pas 40 % plus cher !

Combien, la hausse ?

Impossible à dire avant jeudi prochain.

Je ne suis même pas sûr que les prix augmenteront.

Connaissez-vous le prix actuel des carburants ?

(Il se gratte le menton) Rs 49 quelque chose le litre d’essence et Rs 42,15 pour le diesel.

Perdu : Rs 49,30 l’essence et Rs 41,20 le diesel. Espérons que vous êtes meilleur en pédagogie qu’en coût de la vie : comment ces prix sont-ils fixés ?

Chaque premier vendredi du mois, le Petroleum Pricing Committee (PPC) se réunit. Le prix de reference est donné par l’indice Platts []]le leader mondial de la prestation d’informations sur l’énergie, ndlr]. Le PPC fait la moyenne des prix Platts des six derniers mois et des six prochains mois.

Ensuite, un coefficient de moderation est appliqué. Ce coeffi cient prend en compte les fl uctuations du taux de change dollar/roupie. A partir de là, on obtient un nouveau prix. S’il est proche du précédent (5 % plus bas ou 7 % plus haut), le tarif à la pompe reste inchangé. Ce système a permis de maintenir le prix des carburants depuis mars 2011.

Vous n’intervenez à aucun moment ?

Si. Après avoir siégé, le PPC me fait une recommandation pour maintenir, augmenter ou baisser les prix.

Les avez-vous toujours suivies, ces recommandations ?

Non. A deux reprises, le comité m’a proposé d’augmenter les prix et je n’ai pas suivi. Les dix autres fois, le PPC a recommandé le maintien des prix et j’ai agréé.

Pour vendredi prochain, la presse a anticipé une augmentation, et vous ?

Moi je n’anticipe rien.

C’est fâcheux pour un ministre. Même pas une petite idée ? Sinon, à quoi servent ces graphiques sur votre bureau ?

Ce sont les prix du Platts. Regardez : en mars 2011, quand nous avons fi xé le prix actuel, la tone d’essence était à 939 dollars. Aujourd’hui, elle est à 1133 dollars, soit 20 % de hausse. Et 12 % pour le diesel.

Conclusion…

Les ingrédients sont réunis pour une augmentation des prix.

C’est donc plus que probable ?

C’est probable mais je n’ai pas de certitude absolue car le PPC ne siège que vendredi.

Et s’il siégeait aujourd’hui []]jeudi 30 août, ndlr] ?

Il n’y aurait aucune augmentation.

Là, vous êtes sûr…

Oui, parce que je reçois chaque jour des simulations.

Mais alors, qu’est-ce qui pourrait changer en une semaine ?

Une légère variation du taux de change, des prévisions qui s’emballent, que sais-je encore... N’oubliez pas que le PPC accorde autant d’importance aux prix réels (ceux des six derniers mois) qu’aux prix anticipés (ceux des six prochains mois). Là, il s’agit de prospective.

Que disent les oracles ?

Il y a quatre ou cinq mois, les previsions tiraient les prix vers le bas.

Aujourd’hui, c’est l’inverse. Personne n’avait prévu un gros cyclone dans le golfe du Mexique, l’incendie de la plus grosse raffi nerie du Venezuela ou une menace de grève en Norvège.

Vous ne trouvez pas que ce serait indécent de demander aux automobilistes de mettre la main à la poche en sachant que la State Trading Corporation (STC) a engrangé Rs 1,9 milliard de bénéfi ce l’an dernier ?

Cela n’a rien à voir. La STC importe et distribue quatre categories de produits : du riz, de la farine, du gaz ménager et des produits pétroliers liquides (PPL). Or la STC ne prend une marge que sur la réexportation des PPL, lorsqu’elle vend ces produits à des sociétés locales, qui les revendent à leur tour à des avions qui atterrissent à Plaisance ou à des bateaux qui s’approvisionnent dans le port. Là-dessus, la STC fait des bénéfices, mais sur le carburant vendu localement, il n’y a aucune marge.

Pour chaque litre d’essence acheté, l’automobiliste paie Rs 22 (1) de taxes diverses. Vous n’avez pas l’impression que la STC est un précepteur qui ne dit pas son nom ?

La STC est une société d’Etat. Elle est donc là pour servir les objectifs de l’Etat. Et parmi ces objectifs, certains sont sociaux et économiques. Voilà pourquoi des provisions sont faites pour subventionner des produits de premier  nécessité. L’année dernière, sur Rs 1,9 milliard de surplus réalisé par la STC, Rs 1,4 milliard a servi au fonds riz-farine-gaz.

Autrement dit, plus le Mauricien roule, moins son riz est cher.

On peut le dire comme ça.

Cela fait déjà 4 ans que les automobilistes remboursent le hedging calamiteux des génies de la STC. L’arnaque va durer encore longtemps ?

Ce n’est pas une arnaque. Les pertes []]Rs 4,7 milliards, ndlr] seront intégralement épongées en novembre 2013.

La STC ne fait-elle pas suffisamment de profits aujourd’hui pour réparer ses erreurs d’hier ?

La STC n’a pas d’argent. Une fois qu’elle a payé les subsides, que reste-t-il ?

Juste un demi-milliard…

Ce n’est pas grand-chose. La STC brasse Rs 45 milliards de chiffre d’affaires. Elle a des projets de développement. Les 500 millions qui restent au pot, ce sont des provisions pour investir. Et encore, c’est nettement insuffi sant. Un exemple : notre capacité de stockage en produits pétroliers est de 115 000 tonnes, c’est trop peu. La STC va investir dans un silo de Rs 25 000 tonnes qui engloutira la quasi-totalité de sa trésorerie.

Autre composante du prix à la pompe, les marges des companies pétrolières (les grossistes) et des stations essence (les distributeurs). Près de Rs 3 par litre,jugez-vous cela excessif, insuffisant ou correct ?

Les grossistes et les distributeurs sollicitent régulièrement mon minisdes marges. Les companies pétrolières sont les plus insistantes.

Et…

Il va bien falloir prendre ces demandes en considération.

C’est-à-dire ?

A un moment donné, il faudra revoir les marges.

Sont-elles insuffisantes ?

(Silence pesant) Evidemment, je ne peux pas le dire comme ça. Nous avons demandé à l’association des propriétaires de stations essence de nous démontrer que leur business n’est pas assez rentable. Nous avons obtenu un document, sur lequel nous travaillons.

Les majors nous expliquent que leurs marges couvrent les frais d’opération mais ne permettent pas d’investir.

Le chantre de la democratization de l’économie prêt à engraisser les majors du pétrole, cherchez l’erreur…

Là, c’est pousser le bouchon un peu loin ! Démocratiser l’économie, ce n’est pas niveler vers le bas.

De là à pleurer sur le sort de Total ou d’Indian Oil…

Je serai le dernier à le faire ! Mais si demain les compagnies pétrolières s’engagent à investir en échange d’une augmentation de leur marge, je suis partant. Investir, par exemple, dans les capacités de stockage. C’est donnant-donnant. Si elles sont d’accord pour participer à la construction d’un terminal pétrolier ou d’un pipe-line, alors on peut discuter.

Justement, où en est le projet de terminal pétrolier ?

Il avance. La STC a lancé l’appel à manifestation d’intérêt. L’objectif est de porter notre capacité de stockage de 115 000 à 295 000 tonnes. On se donne trois ans. Aujourd’hui, nous jouons avec le feu : nous n’avons qu’entre 8 et 25 jours de réserve pour l’essence et le diesel.

A La Réunion, ils ont 75 jours. Nous voulons sécuriser l’approvisionnement et, en même temps, developer le business du bankering.

Une plateforme pétrolière qui passé deux jours à Maurice, c’est Rs 55 millions dans les caisses du pays…

Sinon, vous carburez à quoi, vous ?

Au travail, aux relations humaines… (longue réflexion). Je carbure surtout aux grands sentiments.

L’ex-guérillero du grand capital a aussi un p’tit coeur qui bat. Que c’est mignon

Je ne vous parle pas de sentimentalisme, Monsieur. Les grands sentiments, ce sont Chopin, Beethoven, la musique soufi e, les chansonniers français, la littérature...

Vous trouvez le temps ?

Difficilement.

Vous carburez à la frustration, alors ?

Est-ce que j’ai l’air d’un frustré ?

En parlant de frustrés : Navin Ramgoolam président de la République et Paul Bérenger Premier ministre, ce scénario vous excite ?

Si l’on parle d’un président avec des pouvoirs exécutifs, oui, ce scenario me plaît.

Va-t-il se réaliser, d’après vous ?

Je le souhaite. Navin Ramgoolam est arrivé à un moment-clé de son cheminement politique. Sa légitimation doit devenir nationale. Plutôt que d’être élu par une circonscription, et avoir ainsi une légitimité fractionnée, il est temps qu’il soit élu par la nation tout entière. L’investir formellement d’une légitimité nationale et populaire, comme peut l’être un président élu au suffrage universel.

Tout de suite les grands mots. Gouverner ne l’intéresse plus et il veut régner, c’est ça ?

Je récuse ce terme. Le Dr Ramgoolam a envie de gouverner de plus haut, sans devoir expliquer au Parlement pourquoi monsieur X a perdu 2 cabris et 4 poules dans une inondation.

Se confie-t-il à ses ministres sur ses rêves présidentiels ?

(Silence) Je ne vous répondrai pas là-dessus. En tout cas, j’ai la conviction que M. Bérenger et le Dr Ramgoolam peuvent travailler ensemble dans une claire repartition des rôles. Nous devrions nous inspirer de la Ve République française, cette confi guration me plaît.

Bérenger, Ayrault d’un Ramgoolam hollandisé ?

(Rires) Voilà.

Jean-Marc Ayrault et François Hollande sont du même parti, et des amis de trente ans.

M. Bérenger et le Dr Ramgoolam ne sont pas du même parti mais ils se parlent, ils échangent régulièrement des points de vue et figurezvous qu’ils s’entendent.

Une dernière petite chose : pourquoi les Mauriciens mettentils dans leur voiture autant d’amour-propre que d’essence ?

Par machisme. Beaucoup d’hommes se projettent dans leur voiture. Ce n’est pas mon cas. []]Elle est quand même sympa la BMW de l’Etat garée juste en bas, ndlr]

Et si vous terminiez par une bonne nouvelle ?

Une bonne nouvelle ? (Il recule dans son fauteuil) J’ai lu dans la presse que le PRB proposerait une hausse des salaires de 20 % en moyenne. Beaucoup de pays licencient leurs fonctionnaires ou diminuent leur rémunération. A Maurice, rien de tel : n’est-ce pas une excellente nouvelle ?

Vous en voulez une autre ?

Allez, une dernière pour la route…

Maurice, 2000 km2, 1,3 million d’habitants. Aucune ressource naturelle, juste un peuple et la terre. Eh bien, 44 ans après l’indépendance, et malgré la succession récente des crises internationales, nous avons un PNB par habitant proche de 8000 dollars, tout le monde mange au moins deux fois par jour, l’éducation et les soins sont gratuits, etc. Si ce n’est pas une bonne nouvelle, qu’appelle-t-on une bonne nouvelle ?

(1) : Réparties comme suit : Rs 10,80 de frais de douane Rs 6,40 de TVA Re 1,85 pour financer le transport gratuit Re 1,50 pour les subsides sur le gaz, le riz et la farine Re 1,25 pour rembourser les pertes sur le hedging Re 0,30 pour le fonds Maurice île durable et Re 0,05 pour le transport et le stockage de produits à Rodrigues.