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Cader Sayed-Hossen : « Le report des municipales, le citoyen s’en fout »

5 mars 2012, 14:25

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Vous êtes un nostalgique, vous ?

La nostalgie est une forme de regret, Monsieur. Or je n’ai pas de regret. Je ne suis pas triomphaliste non plus. Je ne me dis pas quetout ce que j’ai fait a été bien fait. Mais nostalgique, non, pas vraiment.

Y compris de l’attelage Bérenger-SAJ ?

Bon Dieu !

Ce tandem vous fait-il frémir, rire ou vomir ?

Comme je suis respectueux des gens, ça ne me fait pas vomir. Comme je suis confiant en la force du Parti travailliste et de son allié le PMSD, ça ne me fait pas frémir. Ça me fait rire, en fait.

Si samedi []l’entretien a été réalisé jeudi, ndlr] les militant disent « oui » à un remake de 2000, que devra faire le président ?

Démissionner immédiatement. On ne peutpas être en même temps président de la République et chef politique actif.

Pourquoi autant d’agitation à trois ans de l’élection ?

Pour deux raisons. La première, quand le MMM perd les élections – et il les gagne rarement – il faut absolument des élections anticipées. La seconde tient au fait que la survie politique de Paul Bérenger, vu son âge, et la survie politique de Pravind Jugnauth, vu l’état de son parti, ne passent que par une alliance. Ils pensent que cela créera une synergie. Le Parti travailliste a battu aisément cette alliance en 2005. Sa reformation est ce qui peut nous arriver de mieux.

En parlant d’élection, Democracy Watch,dans son dernier bulletin, relève qu’entre 1950 et 1968, « même les colonialistes anglais n’ont jamais transigé devant leur devoir d’organiser des élections municipales tous les trois ans ». D’où cette question : « Comment tolérer que ce qui était possible sous des maîtres colonialistes ne le soit plus de nos jours ? »

La comparaison ne tient pas, le contexte n’est pas le même.

Allons, un petit effort, trouvez mieux pour éluder la question…

La première étape, c’était d’amender la Local Government Act. Il y a maintenant des désaccords sur cette législation ils doivent être réglés.

En attendant, le citoyen lambda apprécie modérément votre respect de la démocratie…

Le citoyen lambda, à mon avis, s’en fout totalement.

Vous croyez ?

Oui, il se fiche que cette élection ait lieu là, maintenant. La repousser de deux ou trois mois n’a aucune espèce d’importance à ses yeux. A mon avis, le citoyen lambda est plus préoccupé par sa qualité de vie.

Et une élection n’y participe pas ? Votre justification ne tient pas la route…

Ce n’est pas ce que je dis. Bien sûr que l’amélioration de la démocratie est importante. Mais retarder le scrutin, parce qu’il y a des désaccords sur la législation, ce n’est pas bien grave. D’ailleurs, je n’ai pas le sentiment que les Mauriciens crient au scandale.

En parlant de scandale, l’augmentation du gaz, c’est pour quand ?

Bientôt, dans quelques semaines. Le prix du gaz sur les marchés a déjà augmenté. Répercuter cette augmentation sur les finances de la State Trading Corporation serait un fardeau trop lourd.

L’augmentation, dans quelle proportion ?

Environ 10 %.

Sinon, ces vacances parlementaires, pas trop longues ?

Pas quand on est ministre.

Vous me direz, faire des promesses floues aide à tuer le temps…

De quoi parlez-vous, Monsieur ?

Ce n’est pas vous qui avez annoncé mardi une « modernisation des lois sur la protection des consommateurs » ?

Tout à fait.

Concrètement, cela veut dire quoi ?

Cela veut dire qu’une nouvelle législation sera présentée au Parlement au mois de mai. Certaines lois ont plus de 25 ans, elles ne sont plus adaptées à nos modes de consommation, à l’environnement du commerce et de la distribution. Je vous donne un exemple. Nous avons à Maurice un nombre incalculable de portables pirates avec des pièces qui ne sont pas d’origine. Nous allons remettre à jour la réglementation sur l’importation des produits électroniques et de téléphonie.

Le secteur du commerce, dont vous avez la charge, n’a pas le moral. Donnez-lui des raisons d’espérer…

Est-ce mon job de le faire ?

Vous préférez sombrer dans le pessimisme plaintif de certains patrons ? On peut aussi…

(Il coupe) Absolument pas. Mais avec ce qui se passe dans le monde, en particulier avec la crise en Europe, nos revenus nationaux sont menacés. Positiver, c’est bien, mais je dois être honnête : les prix risquent d’augmenter et nous ne pourrons pas les contrôler. Quand nos marchés dépriment, nos exportations sont en danger.

Donc ce n’est pas le Joint Economic Council qui est trop pessimiste, mais le gouverneur de la Banque de Maurice qui est trop optimiste ?

Je ne commenterai pas les propos du gouverneur. Je dis ce que moi je pense : les perspectives ne sont pas brillantes, il y a menace à l’horizon. Mais tout n’est pas perdu, il faut se battre. La plupart des entrepreneurs mauriciens ont une combativité extraordinaire, c’est là une vraie raison d’espérer. La semaine prochaine, je serai en Tanzanie et au Kenya avec une délégation d’exportateurs. Egalement pour signer un traité de non-double imposition avec le ministre des Finances du Kenya.

Cap sur l’Afrique ?

Absolument. Depuis quelque temps déjà, Maurice exploite de nouveaux marchés à La Réunion, au Kenya, en Tanzanie, au Mozambique, à Madagascar et en Afrique du Sud. En janvier, nos exportations vers ces deux derniers pays ont été excellentes.

Qu’est-ce que le gouvernement pourrait faire de plus pour limiter les dégâts?

(Long silence) Difficile à dire… Nous avons besoin d’investir massivement dans les infrastructures. L’Etat va le faire. Après, il faut que le privé suive. Il y a eu des crises et des crises pour supprimer la Capital Gains Tax et la taxe sur les dividendes, ça a été fait lors du dernier budget. Maintenant, au secteur privé de jouer le jeu. Il ne peut pas se contenter de dire nous avons besoin de ceci, de cela…

Des pleureuses ?

Non, ça fait partie du jeu.

Après six mois à la tête d’un ministère, vous vous attendiez à changer autant ?

En quoi ai-je changé ?

Il est passé où, le tonton flingueur du grand capital ?

(Sourire) Il est toujours là !

Est-il devenu muet ?

Je n’ai jamais dit qu’il fallait descendre le grand capital. Relisez ce que j’ai écrit, réécouter ce que j’ai dit.

C’est fait. Il n’y a pas si longtemps vous mettiez systématiquement en joue « les barons sucriers » et les « ghettos de luxe » du tourisme.

Ces ghettos existent toujours et il faut les faire sauter. Après, je n’ai plus les mêmes fonctions au sein du gouvernement.

Les responsabilités vous ont rendu plus nuancé, plus doux ?

Plus nuancé, peut-être.

Vous avez rangé votre carabine à plomb et votre collection de Che Guevara ?

Je l’ai lue il y a 40 ans.

Est-ce que c’est si difficile à dire qu’en tant que ministre du Commerce et de l’Industrie, l’une de vos missions essentielles consiste à protéger les « gros » ?

Absolument pas.

Un IBL qui s’enrhume n’impacte pas davantage l’économie qu’une tabagie qui ferme ?

Tout à fait.

Si un gros importateur de lait boit la tasse, le petit le remplacera au pied levé ?

Non, nous sommes d’accord.

Conclusion : vous avez changé de camp.

Votre démonstration est bonne mais la conclusion ne l’est pas. Oui, ça m’inquiète quand une grosse boîte a des difficultés. Parce que quand elle exporte, ça nous assure des revenus. Parce qu’elle emploie massivement. Mais de là à dire que ma fonction est de protéger les « gros », c’est autre chose.

L’une de vos fonctions, pas LA fonction.

Je vais vous dire quels sont les objectifs de ma fonction. Un, assurer une croissance des exportations. Deux, approvisionner le pays en produits stratégiques à des prix abordables. Trois, avoir un environnement commercial le plus libre possible. Et quatre, m’assurer que le consommateur soit suffisamment informé pour acheter intelligent.

En passant, ça ressemblait à quoi la démocratisation de l’économie chez Nestlé ? []Il a travaillé dans ce groupe pendant 17 ans, dont cinq comme directeur général de Nestlé Océan-Indien, ndlr]

Il n’y en avait absolument pas. Nestlé est une multinationale qui travaille de manière extrêmement rationnelle.

Autrement dit, vous avez contribué à remplir la panse des méchants capitalistes.

Oui. Et je vais vous faire une confidence : c’est l’une des raisons qui m’a poussé à démissionner. Je n’avais pas envie d’arriver à la retraite en me disant que j’avais passé 35 ans à enrichir des gens qui étaient déjà riches.

La semaine dernière, dans Mauritius Times, vous avez encensé le projet de réforme électorale de Rama Sithanen. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?

Pour une raison très simple : on ne m’a jamais posé la question.

Quand ils ont un message à faire passer, les politiques n’attendent pas qu’on leur demande leur avis.

(Agacement contenu) Vos confrères m’appellent pratiquement tous les jours, aucun ne m’a jamais posé la question, vous y compris.

Vous n’auriez pas attendu que la réforme soit morte avant de la défendre ?

Absolument pas. Non seulement je souhaite que la réforme Sithanen soit votée, mais je ne pense pas qu’elle soit morte. C’est une trop bonne initiative pour l’enterrer prématurément.

Donc Paul Bérenger et Navin Ramgoolam peuvent encore s’entendre, selon vous ?

Tout dépendra de l’attitude de Paul Bérenger. S’il abandonne sa position absurde – qui consiste à dire « oui » à la réforme tout en maintenant le Best Loser System – alors oui, il y a des raisons d’espérer. A mon avis, ce n’est pas cuit.

Vous aurez 60 ans cette année, quel cadeau le Parti travailliste pourrait vous offrir ?

Un oeillet rouge.

Et vous, qu’avez-vous à offrir au parti ?

Demandez-leur.

Pourquoi ne pas offrir une formation pour esquiver les questions ? Vous êtes fort à ce petit jeu-là…

J’ai une certaine maîtrise de l’esquive, c’est vrai. C’est bien pour cela que je m’en tire toujours. Mais ça, c’est hors interview.

Absolument pas.

(Rire) Comme vous voudrez. S’il y a une chose que l’on apprend à Science Po, c’est bien cela : toujours répondre, même à côté. C’est une forme d’habileté.

Habile, ça peut vouloir dire mentir ?

Ça peut vouloir le dire.

Combien de fois avez-vous menti au cours de cet entretien ?

Je vous ai menti plusieurs fois, mais par omission seulement.

Sur quoi ?

J’ai une réunion qui a commencé il y a15 minutes...

Entretien réalisé par Fabrice Acquilina
(Source : l’express-dimanche, 4 mars 2012)