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Elodie Vialle: « Il est normal que la vie privée d’un politique soit explorée et scrutée »
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Elodie Vialle: « Il est normal que la vie privée d’un politique soit explorée et scrutée »
Tiens, une journaliste française. Pour paparazzer Trierweiler ? Du tout. Elodie Vialle forme les journalistes de « La Sentinelle ». Chroniqueuse sur « France Inter » et rédac’ chef d’un média en ligne sur la solidarité, elle se passionne pour « les nouvelles technologies qui changent le monde, le journalisme post-révolution numérique… et le chocolat ». Et si tout était lié ?
■ (Elle se ronge les ongles) C’est une interview ou un atelier manucure ?
C’est affreux, j’ai l’impression d’être chez le dentiste, dans la salle d’attente...
■ Pourquoi aurais-je une dent contre vous ?
C’est juste la situation qui me met mal à l’aise, d’habitude c’est moi qui pose les questions. Et puis, je déteste l’arrogance de « l’étranger-donneur-de-leçons ». En Haïti (NdlR, où elle a formé des journalistes), je m’en méfiais déjà beaucoup.
■ On se fiche un peu de vos leçons, c’est votre parcours qui est intéressant…
Comment ça, vous vous fichez de mes leçons !? (sourire).
■ Comment se fait-on adouber, à 25 ans, par l’ancien patron du journal « Le Monde » ?
Adouber, je ne sais pas, mais c’est vrai que c’est un peu grâce à lui que j’ai été embauchée. Après son départ du Monde, en 2007, Jean-Marie Colombani a cofondé deux médias en ligne, Slate.fr, un magazine d’analyse et Youphil.com, spécialisé dans l’actualité sociale et solidaire. J’ai été recrutée pour monter l’équipe de journalistes de Youphil, puis assurer la rédaction en chef. Nous fêterons nos cinq ans le mois prochain.
■ Youphil se présente comme « le média de toutes les solidarités ». Pour brasser plus large ?
Le site est né d’un constat : l’absence d’un média de référence dédié à la « Planète Solidarité». Ce secteur est très fragmenté, chacun est centré sur une thématique – le CSR,
la micro-finance ou le développement durable. Il manquait un média qui couvre l’ensemble de ces initiatives, et qui donne aux lecteurs les clés et les moyens d’agir en ligne. Nous décryptons l’actualité du monde de l’engagement sous toutes ses facettes, qu’il soit associatif, humanitaire, philanthropique, entrepreneurial ou politique.
■ Avec quels moyens ?
La rédaction est composée de journalistes permanentsà Paris et d’une centaine decontributeurs dans le mondeentier. Nous avons égalementréuni une communautéd’une soixantaine deblogueurs engagés dans ledomaine de la solidarité.
■ Être solidaire, ça signifie quoi pour vous ?
S’engager. Innover. Replacer l’humain au coeur des priorités.
■ Parce que les écrans et la fibre optique s’intéressent à l’humain ?
Bien sûr ! C’est le principe du numérique solidaire. Tous les jours, sur le web, on voit émerger de nouvelles initiatives au service d’un monde plus solidaire. Exemple, le crowdfunding. Cela permet de faire financer par les internautes des projets innovants, en contournant les circuits bancaires traditionnels. KickStarter, un site américain, a levé plus de 480 millions de dollars (NdlR, Rs 14,5 milliards) en 2013. Il a ainsi permis à des milliers de projets solidaires de voir le jour.
■ Cette notion de solidarité, n’est-elle pas souvent galvaudée ?
C’est vrai, mais elle reste un point d’ancrage incontournable pour bâtir l’avenir. Nous devons, tous, réinjecter de petites doses de solidarité dans nos rapports quotidiens.
■ Bienvenue chez les Bisounours…
(Rire) Surtout pas ! La solidarité, ce n’est pas juste donner de l’argent. Je suis une pragmatique : l’entreprise à vocation sociale qui dégage des bénéfi ces me plaît davantage.
■ La crise économique est elle créatrice de nouvelles solidarités ?
Oui, c’est même l’une de ses principales vertus ! La crise nous indique, « en creux », les pistes à suivre pour faire évoluer la société dans le bon sens. C’est aussi cela, le rôle de Youphil : mettre en avant les « inventeurs » d’un demain meilleur.
■ Comment ce bienveillant Youphil gagne-t-il sa vie ?
(Elle se racle la gorge) Nous ne sommes pas encore bénéficiaires, nous espérons l’être prochainement.
■ Être lu par tous et acheté par personne, est-ce bien raisonnable?
Ce n’est pas notre modèle. Nous avons deux sources principales de revenus : la publicité et une newsletter payante dédiée aux professionnels. Il y a sur le web une illusion de la gratuité. Un média online vend toujours quelque chose, y compris lorsque le lecteur ne paie rien. Dans ce cas-là, le lecteur devient le produit, c’est sa présence sur le site qui est vendue aux annonceurs.
■ Youphil est ce que l’on appelle un « pure player », un média uniquement en ligne. Le papier, c’est terminé ?
Non, la presse traditionnelle et les nouveaux médias peuvent cohabiter. J’ai une liseuse, je lis aussi des journaux papier. Le support n’est pas primordial, la vraie question est celle du contenu. Si la presse écrite ne se réinvente pas et se contente d’imiter le web en bombardant ses lecteurs d’infos tous azimuts, à terme, oui, elle disparaîtra, mais ce n’est pas écrit. En France, on a vu émerger de nouveaux magazines qui ont trouvé un lectorat, comme Usbek & Rica ou la revue XXI (NdlR, disponible à Maurice). Leur force, c’est leur créativité. Ils proposent des contenus totalement inédits. Et ils réintroduisent des espaces de réflexion dans une société où les gens ne prennent plus le temps de penser.
■ Le journal imprimé n’est donc pas aussi sûrement condamné que la calèche par l’automobile ?
Je ne pense pas. Au siècle dernier, la radio et la télévision n’ont pas tué les journaux. Ce n’est pas l’évolution technologique qui menace la presse traditionnelle, mais la perte de valeur ajoutée et l’immobilisme. Il faut se rendre à l’évidence : un quotidien ne peut pas rivaliser avec la vitesse à laquelle les sites web, les blogs, les réseaux sociaux et les journaux en ligne diffusent les nouvelles. Ceux qui s’entêtent sont condamnés à apparaître comme un « journal de la veille ». Ils perdront leurs lecteurs, déçus d’y trouver ce qu’ils savent déjà.
■ Tous chez Youphil ?
(Rire) Non, la presse écrite n’est pas morte ! Il lui faut trouver une autre temporalité, plus lente, avec plus d’analyses, plus d’investigation, des papiers qu’on ne produit pas en une seule journée.
■ Il est banal de dire que chacun est surinformé, mais n’y a-t-il pas une différence entre être au courant et comprendre ?
Absolument. C’est justement parce que nous sommes surinformés que nous avons besoin, plus que jamais, des journalistes de la presse écrite. Le monde n’a jamais été aussi complexe, la fanfare médiatique a besoin d’un chef d’orchestre. Pour moi, le nouveau rôle du journal est là, dans sa capacité à dénicher de l’info pertinente et à lui donner du sens. Souvent, le journaliste de presse écrite se sent concurrencé par le flot des news numériques, c’est une erreur, c’est sa nouvelle matière première.
■ De l’encre à l’écran, on a le sentiment que le « vieux » n’est pas encore mort et le « nouveau » pas encore né…
C’est vrai, un monde refusede mourir et un autre peine ànaître. Un modèle économiquereste à inventer. C’estaussi une question générationnelle,le web bouscule lesvieux barons du journalismequi n’étaient pas préparés àvivre une telle révolution. Pendantdes années, ils l’ont balayéed’un revers de main etaujourd’hui ils sont dépassés.
■ Dans quelques années, la tablette aussi sera dépassée. Quand elle sera aussi vieille que la disquette, sur quoi lira-t- on le « journal » ?
Peut-être une montre, des lunettes ou la paume de la main, je n’en sais rien, peu importe, sur une feuille de chou si la qualité est au rendez-vous. Je trouve qu’on accorde trop d’importance à la question du support en négligeant celle du contenu. De toute façon, je n’aime pas les pronostics, c’est un exercice extrêmement périlleux, je préfère cultiver le doute, c’est ce que je dis aux journalistes dans mes cours.
■ Quelle est la révolution du moment ?
Celle du mobile, sans hésitation. La lecture de la presse sur les téléphones portables ne cesse de progresser. Les smartphones vont devenir, très vite et à grande échelle, un support incontournable pour s’informer.
■ Vous êtes à Maurice depuis dix jours. Qu’avez-vous lu, entendu, retenu ?
Le multilinguisme. Je suis admirative de l’aisance avec laquelle les journalistes mauriciens passent, dans un même article, d’une langue à l’autre. Les journalistes français en seraient incapables !
■ Quelles sont les tendances les plus créatives en matière de journalisme numérique ?
J’aime beaucoup le web documentaire, entre contenu journalistique et interactivité. Le journalisme de données, ou data journalism, est aussi une tendance forte. Cela consiste à collecter des chiffres, les trier, les analyser et les restituer sous la forme d’un article. C’est par exemple, en France, une application qui permet d’évaluer les disparités salariales hommes-femmes. Le data journalism se fait en général à trois : un rédacteur, un graphiste et un développeur informatique. En Grande-Bretagne, The Guardian s’en est fait une spécialité.
■ La spécialité de la presse française, en janvier, s’appelait Hollande-Gayet. Vos confrères en ont-ils trop fait sur l’adultère de l’homme casqué ?
C’est évident qu’il y a eu une surmédiatisation. Mais quand un rédac’chef vous dit qu’il faut absolument couvrir, vous faites, une rédaction n’est malheureusement pas une démocratie. Le lecteur a aussi une part de responsabilité dans la mesure où il est demandeur de ce type de nouvelles. À Paris, j’en ai discuté avec des confrères. Certains l’ont mauvaise de devoir suivre Valérie Trierweiler en Inde alors qu’on coupe les budgets pour les grands reportages.
■ La liaison extraconjugale d’un chef d’État est-elle une affaire publique ou privée, selon vous ?
Il est normal que la vie privée d’un politique soit explorée et scrutée, c’est un élément du débat public. De plus, la première dame coûte de l’argent, celui du contribuable (400 000 euros par an, soit Rs 16 millions), cette affaire n’est donc pas purement privée.
■ Séjournez-vous dans le même hôtel que Valérie Trierweiler ?
J’imagine que le sien est plus luxueux ! (rire)
■ Si vous la croisez, quelle question lui poseriez-vous ?
(Elle réfléchit) Comme c’est une journaliste, je lui demanderais si aujourd’hui elle est dégoûtée par son métier.
■ « Désormais la solidarité la plus nécessaire est celle de l’ensemble des habitants de la Terre », disait Albert Jacquard. Ça vous parle ?
Énormément. Cet homme avait tout compris. La Terre n’a jamais été aussi interconnectée, j’y vois la promesse de lendemains meilleurs, une chance à saisir pour faire avancer le monde.
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