Du haut de mes dix ans, je me sens complètement perdu lorsque j’écoute tout ce qu’on raconte autour de moi. Je le suis encore plus lorsque je regarde la télé ou les journaux.Moi, lorsque je me lève le matin, je sais ce que j’ai à faire. Je dois prendre mon petit déjeuner, sinon ma mère va me gronder. Je dois être à l’heure à l’école. Faire mes devoirs. Essayer de comprendre tout ce qu’on m’explique. A l’heure de la pause- déjeuner, je vais essayer de m’amuser avec mes amis.

Après les heures de classe, je vais encore essayer de m’amuser. Mais là, je vais devoir tricher. Je dois donner l’impression de travailler, de faire mes devoirs, tout en dégageant du temps pour regarder la télé ou encore surfer sur mon ordinateur. Je me dis que la vie est ainsi faite. Parfois, je vais me sentir triste parce qu’il y a un autre enfant qui m’aura humilié d’une manière ou d’une autre. Mais, j’ai compris qu’avec le temps tout se guérit, donc ce n’est pas la peine de se prendre la tête.

Mais, je ne comprends pas ce qui se passe autour de moi. Je constate qu’on discute beaucoup de réforme électorale, d’un truc qu’on appelle « Best Loser System » ou encore d’élections qu’il faut organiser. Je me dis que lorsqu’on parle, c’est pour prendre des décisions.

Pourquoi aiment- ils tant le pouvoir? Expliquez- moi en quoi votre réforme électorale va changer ma vie dans 10- 20 ans. J’aurais préféré qu’on me dise de quoi sera faite ma vie. Et, en quoi les bavardages d’aujourd’hui vont me garantir un meilleur avenir.

J’ai souvent l’impression qu’aujourd’hui, on n’agit pas en pensant à l’avenir. Je sais que je devrais me trouver un travail plus tard.

Mais, je ne vois pas comment ce qui se fait aujourd’hui va pouvoir me donner un avenir. J’ai également compris quelque chose d’essentiel. J’entends beaucoup parler de crises. Il y a toutes sortes de crise. Economique, sociale, énergétique, environnementale… Je crois que lorsque je serai adulte, ces crises existeront toujours. Dans un monde de crises, il est diffi cile de trouver de la quiétude. J’espère que je ne serai pas comme ces adultes de nos jours. Que je saurai quoi faire pour que mes enfants, eux, n’aient pas à subir les mêmes angoisses que je ressens aujourd’hui.

Il y a aussi trop de peurs autour de moi. Je me suis promis que je ne transmettrai pas ces peurs à mes enfants et aux générations à venir. Je ne suis qu’un enfant et je vois trop les adultes se battre comme s’ils étaient dans une cour de récré. C’est cela leur but : être des chefs de cour de récré ? Nous aussi, à l’école, nous avons un chef de cour de récré. Mais, il change dès lors qu’il y a quelqu’un qui se montre plus chef que lui. Pourquoi nos chefs du pays sont- ils toujours les mêmes ? Y a- t- il des places réservées quand on devient adulte, peu importe la bêtise qu’on peut commettre ? Je sais que je ne dois pas poser certaines questions. D’ailleurs, les adultes fuient devant certaines de nos questions. Mais, aujourd’hui, je me demande de quoi se fera mon avenir.

Cela n’aurait pas dû être le cas. J’aurais dû passer mon temps à m’amuser. Je crois qu’on va nous ôter ce droit.
 
 
 
 

Nazim ESOOF