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Faizal Jeerooburkhan - Pédagogue : «Nous produisons une élite accapareuse, égoïste et corrompue»
2 février 2014, 10:18
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Faizal Jeerooburkhan - Pédagogue : «Nous produisons une élite accapareuse, égoïste et corrompue»
En attendant les résultats du HSC, ce lundi, que peut-on apprendre de ceux du SC, rendus publics cette semaine ? Pas grandchose si l’on en croit le pédagogue Faizal Jeerooburkhan. Si ce n’est que notre système éducatif est pourri, que le taux de réussite est artificiellement dopé aux examens, qu’il faut se débarrasser de Cambridge, que les tablettes tactiles sont un gimmick et que le «nine-year schooling», ce n’est pas sérieux…
On note une érosion constante du taux de réussite au SC sur ces dernières années. Quelles leçons doit-on en tirer ?
Ces chiffres, bien souvent, montrent la capacité à pouvoir stocker des informations et non pas l’éducation telle qu’elle devrait être.
Ces chiffres sont tout de même dramatiques pour les collèges privés où le taux de réussite tourne autour des 20 %. Finalement, ce n’est que du business ?
On ne peut pas mettre tous les collèges dans le même panier. Certains font des efforts. Mais beaucoup de ces petits collèges font carrément du business. Il suffit de voir les infrastructures qu’ils ont pour avoir une idée.
Le taux de réussite inclut ceux qui obtiennent 41 unités. Faudrait-il leur offrir une alternative ?
En ce moment, il y a une baisse de niveau généralisée. Cela commence au CPE. Pour faire monter le taux de réussite, on permet à certains candidats de reprendre un papier, uniquement pour faire enfler le taux de réussite. Alors qu’au CPE, on n’a besoin que de 30 % seulement pour passer !
Une décision similaire à celle de revoir à la baisse le nombre de credits nécessaires pour passer au HSC ?
Exactement. Le même phénomène se répète. Même au niveau de l’enseignement supérieur, on le retrouve. Autrefois, il fallait avoir two A-Levels. Maintenant, certaines institutions ne demandent même pas cela ! On est admis avec trois ou quatre credits. Tout cela va avoir des répercussions sur la capacité de la main-d’oeuvre et la qualité des gens qu’on est en train de former.
L’obsession des chiffres a-t-elle pris le dessus sur la qualité ?
Au niveau du ministère, on est aveuglé par les chiffres qui, de toute façon, sont subjectifs. Vous avez vu ce qui s’est passé avec les universités indiennes ! On accepte des candidats avec un niveau très bas. Garbage in, garbage out. C’est pareil pour les étudiants en médecine et les avocats qui ont pris les bar exams… C’est catastrophique !
Pourquoi on s’acharne à ravaler le niveau d’après vous ?
Le système éducatif en ce moment est très mauvais. Pour cacher les imperfections, on veut à tout prix faire monter le taux de réussite. Et pour faire monter le taux de réussite, on préfère baisser le niveau.
Au lieu de s’attaquer au problème à la racine, on opte pour la facilité donc ?
C’est cela. Trop d’accent est mis sur le savoir. On ne travaille pas assez sur le développement de la pensée critique. De nos jours, l’information est facilement accessible à travers Internet. Ce qui est important, c’est d’apprendre aux étudiants d’aller chercher ces informations et les digérer. Il faut les encourager à débattre sur des problèmes de société.
Est-ce que le problème n’est pas au final qu’on ne forme pas d’intellectuels, mais plutôt des techniciens qui ont des connaissances pointues dans des domaines limités ?
On produit ici, d’un côté, des encyclopédies ambulantes souvent sans valeur humaine. Ce sont des gens égoïstes, corrompus, accapareurs que nous appelons, en plus, l’élite ! On les voit partout. Ils sont toujours en train de courir après les ministres et les gens qui ont du pouvoir. En créole, c’est ce qu’on appelle des roder bout. De l’autre côté du spectrum, on produit 25 à 30 % de recalés qui sont étiquetés comme des incapables et qui se retrouveront bien souvent jetés à la rue ou dans nos prisons.
Au SC, les star schools habituels affichent le plus grand nombre de candidats ayant décroché six unités. C’est une illustration de ces deux extrêmes ?
Je ne sais pas pourquoi on dit star schools. En fait, ce sont des star schools en leçons particulières. Le collège Royal, le QEC, sans ces leçons, ils ne sont pas des star schools. C’est du bourrage de crâne. Ces leçons brassent des chiffres de Rs 3 milliards ! Pour moi, c’est un système d’éducation parallèle qui montre que notre système éducatif est malade.
L’ancien ministre de l’Éducation, Kadress Pillay, a parlé de cette classe moyenne qui à l’époque a torpillé sa réforme. Or, l’actuel ministre a ressorti le nine-year schooling du placard. Vous y croyez, vous ?
Je doute fort que cela se concrétise. J’ai l’impression que cela a été lancé pour détourner l’attention du public des vrais problèmes du système éducatif. Tout changement demande une préparation d’au moins deux ans. Alors, je ne comprends pas comment le ministre a pu l’annoncer pour 2015, surtout que ce sera une année mouvementée sur le plan politique.
Le ministère dépense beaucoup d’argent et d’énergie dans les tablettes et les tableaux interactifs. Au final, est-ce que cela ne revient pas à refaire la peinture alors que les fondations pourrissent ?
Toutes les décisions qui ont été prises récemment sont du colmatage. Ce ne sont que des gimmicks pour montrer qu’on est en train de faire quelque chose. Mais on n’attaque pas le problème à la source. Si on veut se mettre au diapason avec la technologie, bien sûr, les tablettes sont valables. Mais ce n’est pas cela qui va améliorer le système éducatif.
Outre le CPE, notre collaboration avec Cambridge au secondaire ne contribue-t-elle pas à nourrir notre obnubilation par les examens ?
Le problème est qu’il n’y a qu’une seule issue. Il faut passer par le SC, puis le HSC. C’est ce qui fait défaut. Il faut trouver des alternatives. Ceux qui ont du potentiel académique peuvent passer par là, mais aussi le baccalauréat, qui est mieux que le HSC. Je ne sais pas pourquoi on est en train de s’agripper à Cambridge ! Il faut aussi des filières non académiques. Cela peut être vocationnel, ou sportif, ou artistique…
L’introduction du HSC Pro est-elle un pas dans la bonne direction ?
C’est définitivement un move dans la bonne direction. Mais je ne crois pas que ce soit suffisant. Il faut se défaire un peu de Cambridge et trouver d’autres issues. On est au XXIe siècle et il faut innover un peu. On a un système qui est vieux. Même Cambridge est dépassée aujourd’hui.
Est-ce que c’est l’organisation du système éducatif dans son ensemble qui fait défaut ?
Un système éducatif repose sur cinq piliers : le curriculum, qui en est le moteur, la formation des enseignants, les examens, l’inspectorat et la gestion des écoles. Malheureusement, à Maurice, ces cinq piliers opèrent indépendamment l’un de l’autre.
N’y a-t-il personne pour dresser un plan que tous devraient suivre ?
S’il y en avait, on saurait dans quelle direction on va et toutes ces institutions travailleraient pour atteindre l’objectif fixé. Ce n’est pas le cas. Au Mauritius Institute of Education, par exemple, on forme les enseignants à la pédagogie moderne. Or, une fois dans les écoles, ils ne peuvent appliquer ce qu’ils apprennent. Soit il y a trop d’élèves dans une classe, soit le maître d’école n’est pas d’accord, ou alors ce sont les parents qui estiment que les activités sont une perte de temps.
La démission du No 2 de l’université de Maurice, le Britannique Paul Currant, a défrayé la chronique cette semaine. D’autres étrangers avant lui n’ont pas fait long feu. Qu’est-ce qui explique cela ?
Je crois qu’ils ont beaucoup plus cette culture de transparence et de méritocratie qui nous est étrangère ici. Parce que nous souffrons d’une septicémie politique ! C’est une infection généralisée. À Maurice, tout est politisé. Cette septicémie a atteint toutes les institutions et notre université n’arrive pas à fonctionner comme il faut. Et puis, à la Tertiary Education Commission aussi, qui est supposée chapeauter toutes les universités, il y a des tiraillements. Cela ne fonctionne pas.
La faute à nos politiques donc ?
Pas uniquement. Les politiques ne peuvent rien faire s’ils n’ont pas de soutien. Le plus gros problème, c’est cette mentalité de roder bout. Même au niveau des institutions supérieures, il y a des directeurs qui font tout pour essayer de plaire au ministre. Ce sont des lèches-bottes.
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