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Frédéric François : « Dans un monde de fous qui tourne à l’envers je me sens comme un marchand de bonheur. »

13 novembre 2009, 15:42

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Dans un monde qui fait de Joey Starr, batteur de femmes aux dents cariées, une icône, dans un monde où les «disc jockeys» sont pris pour des artistes, on peut comprendre que Frédéric François, chantre de la romance mélodieuse et des bons sentiments, paraisse décalé.

Chez les «cultureux», c’est un devoir de mépriser le succès populaire. Lui ça fait 40 ans qu’il est là. Indéboulonnable. Vendant des millions de disques, remplissant, chaque année, des centaines de salles à travers le monde.

Un vrai phénomène. D’une courtoisie et d’une gentillesse extrêmes. Et comme il le dit: «C’est quand même extraordinaire d’avoir à se justifier d’être respectueux des gens…».
Eh oui ! On en est là monsieur.


Mardi soir, devant les locaux de «Radio One» des centaines de fans voulaient vous voir, vous toucher, vous parler… Il en est ainsi de vos tournées autour du monde. Blasé ou toujours ému?

Il faut vraiment ne pas comprendre pourquoi les gens vous aiment pour être blasé. Humainement une chanson représente souvent beaucoup plus qu’une chanson. C’est quelquefois un point de repère d’une vie. Une chanson ça ramène des souvenirs d’une rencontre avec l’homme ou la femme de sa vie, c’est la naissance d’un enfant… Ce sont des moments importants. C’est incroyable ce qu’est une chanson dans le coeur de quelqu’un. Si les fans me suivent comme ça depuis de si nombreuses années, si elles se déplacent en si grand nombre pour venir me voir, pour être là, pour oser vous toucher, vous embrasser, cela veut dire que c’est important.

C’est curieux, vous dites toujours «elles»…

(Rires) Parce que c’est comme ça ! C’est vrai que je vois beaucoup plus de femmes dans le public qui se presse autour de moi. Elles me touchent, m’embrassent. Imaginez un artiste qui se dit : moi je n’aime pas tout ça, vous savez qui je suis ? On me doit déférence… Ce serait une horreur. Moi je prends beaucoup de temps à les écouter, à leur parler, à leur dire que si je suis beaucoup pour elles, elles sont aussi très importantes pour moi. Un artiste sans son public n’est plus un artiste. Il n’a plus de sens. C’est important. Et quelque part c’est une responsabilité. Un chanteur n’est pas seulement quelqu’un qui chante des mots sur une musique et qui fait un disque. Cela prend une autre dimension. Il alimente des gens en bonheur. Il fait ressortir les points de repères de leur vie.

Votre carrière dure depuis plus de 40 ans avec cette particularité : elle se fait en dehors des médias, radios et télé. Cela veut dire quoi : que les médias n’ont aucune influence sur une carrière?

Non pas du tout. On ne peut pas dire ça ma carrière, c’est vrai, est totalement à part. On ne peut pas dire, par exemple, que dans les années 70 je n’ai pas eu de couverture médiatique. J’ai été avec Mike Brant, parmi les artistes français les plus médiatisés. Nous représentions une génération et une mode. Quand nous sommes arrivés, ça représentait l’arrivée des chanteurs romantiques, ou comme on disait, des chanteurs à minettes. Nous avons bouleversé le panorama musical. Nous imposons notre romantisme.
Nous imposons nos chemises à grand col, nos pattes d’éléphant. C’est le raz de marée. Nous sommes médiatisés à fond. Puis, arrive la vague disco qui nous balaie Mike et moi. J’ai été repêché plus tard. Les radios libres arrivent et diffusent mes disques. Et c’est comme ça que je reviens. J’ai changé les arrangements de mes chansons, je fais rentrer au-delà des violons et d’autres instruments, les instruments et les sons électroniques.
Je me retrouve encore une fois dans l’air du temps. Mon coeur te dit je t’aime, Je t’aime à l’italienne et j’enchaîne à nouveau les succès. Et j’ai passé donc, après avoir été balayé par le disco, toutes les années 80 à collectionner des succès énormes, des dizaines de disques d’or. Voici donc deux décennies couvertes par les médias…

Les années 90 seront moins fastes…

Pas du tout. J’ai commencé l’année avec Est-ce que tu es seule ce soir ? qui a été un gros succès. Puis ça a continué. Soudain sont arrivés les Boyz band. Grosse nouveauté, gros succès. On aime ce qui est nouveau. Pourtant mes fans sont restés et j’ai tenu. Aujourd’hui les Boyz band ont disparu et je suis toujours là, mon public est toujours là. J’analyse ça comme des tempêtes musicales. Elles balaient tout, puis ce qui doit rester refait surface. Et les années 2000 se sont aussi bien passées. J’ai fait trois disques d’or. Dont Une rose dans le désert. Mais sur les médias le panorama a changé. Maintenant chaque radio a sa couleur, chaque radio est ciblée. Cela fait donc beaucoup de radios où je ne suis pas diffusé. Celle qui ne correspond pas à votre couleur.

Comment décririez-vous votre couleur musicale ?

C’est quelque chose que j’ai créé et pour la connaître ou la reconnaître il faut refaire le tour de ma vie. Car elle est ce que je suis, ce qu’a été ma vie. Tout ce qui compose ma vie. L’émigration de la Sicile, la voix de mon père qui me chante des chansons napolitaines, des airs d’opéra. Bercé par tout cela, plus l’arrivée des Beatles plus tard, vous avez quinze, seize ans, et tout se mélange, et c’est ce qui fait aujourd’hui la couleur de mes chansons. Quelque chose de sans conteste méditerranéen.

Vous remplissez les salles dans le monde entier et on ne vous invite quasiment jamais à la télévision. Savez-vous pourquoi ?

J’ai fait des émissions avec Cauet, Thierry Ardisson, Laurent Baffie. Tout mes amis ont eu peur pour moi sauf moi. Je suis comme je suis. Je crois qu’ils respectent malgré tout un artiste qui a traversé le temps. On ne réussit jamais une traversée du temps pour rien. Il y a toujours une raison. Un sens. Avant je faisais les émissions de Jacques Martin.

Que ressentez-vous quand certains journaux, comme «Libération», vous traitent de «ringard»?

Je leur dirais d’aller voir le dictionnaire de près. Ringard, c’est quelqu’un qui a été mais qui n’est plus qui est démodé et que personne n’écoute plus. Un has been. Cela fait 40 ans et je suis toujours là et mes disques se vendent dans le monde entier. Donc, j’ai été et je suis toujours. Le mot ringard ne s’applique donc pas. Quand un journaliste parle de ringard, il veut souvent dire quelque chose qui n’est pas de son goût, quelque chose qu’il n’aime pas. Les journalistes ont la parole et ils veulent quelquefois nous faire croire que l’opinion des millions de gens qui achètent les disques ne vaut rien et que c’est eux qui savent. C’est une façon de voir les choses qui leur appartient. J’ai une grande carapace et je ne m’arrête pas à ça. Je n’essaie pas d’être à la mode et je ne l’ai jamais fait. Je fais juste ce que j’aime. Des bonnes mélodies avec des textes romantiques. Mes paroliers ont fait des textes pour Sardou, pour Julio Igleisias notamment. Il ne faut pas s’arrêter à ce que pensent les intellectuels. Il faut pour chacun de nous quelque chose qui lui convienne.
C’est pour ça qu’il y a toute une panoplie de types de chansons et de musique. Johnny et moi nous avons traversé quatre ou cinq générations. Et le public est toujours là. Cela veut dire quelque chose. C’est magique quand vous voyez des familles entières qui ont traversé des générations en se transmettant mes chansons. C’est vraiment émouvant. Il y a eu l’autre jour sur TF1 l’histoire d’une famille dont le mari est fan de Johnny et la femme une de mes fans. Lui a un tatouage de Halliday et elle un tatouage de moi. Dans leur lit il dort sur un oreiller à l’effigie de
Johnny et elle c’est à mon effigie. Le salon est décoré Johnny, la cuisine Frédéric ! C’est extraordinaire quand même… Nous avons joué un rôle dans leur vie… Cela fait plaisir, mais quelquefois c’est vrai que ça peut faire peur… Je pense à John Lennon.

Vous aimez le terme «chanteur populaire» ?

Ah oui ! Je le revendique. Brel, Brassens, Bécaud, Aznavour, qu’ont-ils été sinon des chanteurs populaires ? Il n’y a pas un lieu dans le monde où on n’entend pas ces chansons comme Ne me quitte pas, Et maintenant. Sinatra méprisait un peu la chanson populaire, préférant le jazz, pourtant il a laissé quoi à sa mort : My Way, Strangers in the night… Que des chansons populaires! On ne se souvient pas de ses chansons de jazz.
Sinatra et moi nous avons quelque chose en commun. Nous sommes nés dans le même village en Sicile. Etre populaire cela veut dire capable de toucher le plus grand nombre. Dans un de mes olympias j’ai interprété à la manière napolitaine La chanson des vieux amants. Brel veut dire quelque chose pour moi. Il y a la Belgique entre nous.

C’est important d’être compositeur avant d’être chanteur ?

Oui. On se réalise dans la composition. On coud ses propres vêtements.

Il y a eu dans les années 70 une véritable rivalité entre vous et Mike Brant. Vous régniez tous les deux en maîtres dans tous les «hits parades» et les magazines et on racontait que vous vous détestiez… Comment avez-vous vécu cette période un peu extravagante ?

Il est important de le dire : Le public, les journaux nous mettaient en concurrence. Mais lui et moi on était très amis. Quand on se voyait on s’embrassait, que ce soit dans les couloirs de rédaction ou dans des studios de télévision. On était souvent ensemble. Un jour, il y a eu une émission sur la Une où les gens ont voté pendant plusieurs semaines pour leur chanteur préféré.
Quand le vote a été connu on a constaté que nous étions sortis premiers ex aequo Mike et moi. Exactement le même nombre de votes. C’est sans doute depuis ce jour que sont apparues ces rumeurs de rivalité entre lui et moi. Tous les deux nous faisions le même type de chansons et nous nous adressions aux mêmes personnes. A tel point que quand Mike est mort, son parolier, Michel Jourdan, est venu me voir pour écrire des chansons pour moi. J’ai su donc que l’équipe de Mike observait attentivement ma carrière. Non, il n’y a jamais eu de rivalité entre nous.

Quand Mike Brant s’est suicidé en se défenestrant qu’avez-vous pensé ? Que derrière ce succès, comme le vôtre, il y avait une fragilité extrême?

Cela a été un choc. J’ai été d’une immense tristesse. Je me suis posé plein de questions. Mais il y a des choses qu’il faut dire. On a fait passer le message après la mort de Mike de quelqu’un qui a pété les plombs et qui s’est suicidé. Il y a beaucoup de chances que cela ne soit pas vrai. Mike ne s’est pas suicidé. Je connais très bien l’entourage de Mike.
En fait, pendant les dernières années de sa vie, il avait signé un contrat avec quelqu’un qu’on a retrouvé tué dans le bois de Boulogne il travaillait lui-même avec quelqu’un qu’on a retrouvé sous le métro. A partir de là toute l’équipe, sept personnes je crois, y est passée. Mike a été le dernier.
Alors on se pose la question: est-ce que toute l’équipe a été éliminée pour des raisons qu’on ignore?… Voilà ce qu’on sait.
En dehors de tout ça, Mike reste une très grande voix, un homme extraordinaire, avec un magnétisme incroyable sur les foules. Il apportait une émotion qui dure encore aujourd’hui et il continue à vendre des milliers de disques, si longtemps après sa mort.

Vos idoles de jeunesse, celles qui vous ont fait rêver, s’appelaient comment ?

Les premiers disques écoutés c’était Elvis Presley et Eddy Cochrane, puis les Beatles, les Rolling Stones et puis les chanteurs français comme Aznavour et Brel. Mais très vite j’ai senti qu’il me fallait écrire des chansons. J’ai su qu’il fallait créer pour exister. Très vite je l’ai senti. Créer c’est vivre. C’est devenir quelqu’un à part entière. Se singulariser.

Vous vous sentez comme quelqu’un à part ?

Un peu oui… J’ai une personnalité romantique qui surprend un peu quelquefois dans un monde un peu violent. Certains trouvent ça ringard… Mais moi je suis ce que je suis.

Dans un journal on dit de vous : c’est un homme lisse, sans aspérité… Presque comme s’il s’agissait d’une faute inavouable…

Alors que pour moi c’est un grand compliment d’être lisse. Cela veut dire que je suis sans reproche, inattaquable… Qu’en savent-ils ? Je suis un être humain et il n’y a pas d’humain lisse. Mais je vais vous dire pourquoi on projette cette image. C’est parce que je suis respectueux des autres, que je porte une grande attention aux autres. Que j’essaie d’être gentil, d’être à l’écoute de ceux que je rencontre. En dehors du métier que je fais. J’aime la vie, j’aime les gens, je m’émerveille facilement, je profite et je savoure le moment présent.
Alors, dans certains milieux, ce ne sont pas des choses qui se font. Quand on est artiste, selon certains, il faut se construire un personnage fermé, qui prend la grosse tête, qui réfléchit sérieusement et qui n’a pas de temps à perdre avec les gens. Et bien moi non. J’aime les gens et je les respecte. Je sais d’où je viens, je connais mon histoire et je sais que ce que la vie me donne depuis plus de 40 ans. Maintenant c’est un immense cadeau et je remercie toujours ces millions de personnes qui depuis si longtemps me donnent une vie extraordinaire. C’est grâce à elles que je suis là. Je sais ce que représentent ces personnes dans ma vie.

Dans le monde du «showbiz», pas particulièrement tendre, vous devez passer pour le naïf de service…

C’est vrai et je dois vous dire en toute honnêteté que j’en souffre. Je souffre de ces gens du métier et de leur hypocrisie. Ils vous vénèrent devant vous et derrière, vous assassinent. Mais sinon pour le reste, je m’en fous. J’ai ma carapace. Mais quand même l’hypocrisie, moi c’est quelque chose qui me fait souffrir. C’est comme ça, je n’y peux rien. Il y a des gens qui confondent gentillesse et connerie. Je suis triste pour eux. Il y a une nécessité de bien traiter les gens, d’essayer de les aimer, de les respecter.
Si avoir cette conviction c’est être con, je suis prêt à l’accepter. C’est quand même extraordinaire d’avoir presque à se justifier d’être respectueux des gens… Dans un monde de fous qui tourne à l’envers je me sens comme un marchand de bonheur.
C’est ce qu’il y a au fond de moi. Au milieu de cette cacophonie, j’essaie d’offrir quelque chose de paisible. Beaucoup de choses me font souffrir. Quand une guerre se déclare, je pense aux fils qui vont quitter leurs parents, c’est terrible. Je viens de la planète amour, mais j’ai une vue sur les autres planètes. Et c’est de là que viennent mes souffrances.

Alain Gordon-Gentil
Entretien paru dans ‘Apartés’ (vendredi 13 novembre)
(Photos : Veekash Narainsami)


 

Alain Gordon-Gentil