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Jack Bizlall : « Les consultations pré-budgétaires n’apportent rien de concret »

30 septembre 2010, 11:53

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Le syndicaliste, qui a lancé l’idée d’un regroupement des forces non-patronales, commente les consultations entre le ministre des Finances et les acteurs socioéconomiques. 

Le ministre des Finances a lancé ses consultations pré-budgétaires…

Les véritables consultations se tiennent entre le gouvernement et le Joint Economic Council (JEC). Il y a d’autres couches de la population qui sont également écoutées comme les petits planteurs. En revanche, je n’ai jamais vu une proposition venant des syndicats retenue par un ministre des Finances. Au contraire, l’application du budget aggrave la situation des travailleurs.

Seriez-vous contre l’idée même de budget ?

J’ai fait deux propositions. Il faut d’abord que le social revienne au centre de l’économie afin que les travailleurs, par leurs activités professionnelles, sociales, économiques, participent de la richesse du pays. Ensuite, j’ai proposé que, en contrepartie du JEC, il y ait un Joint Social Council (JSC). Ce serait un instrument à la disposition des forces syndicales pour des représentations auprès du gouvernement de manière permanente. Ce n’est que quand il y aura un recentrage social et une vraie écoute des propositions des partenaires sociaux qu’on pourra parler de consultations pré-budgétaires, et plus encore d’un budget.

Des syndicalistes ont néanmoins apprécié le pas de Pravind Jugnauth…

Je constate qu’il y a une volonté de faire un pas, contrairement à Bérenger qui n’avait pas mené de consultations. On peut saluer les rencontres mais finalement, si rien de concret n’en ressort, s’il n’y a pas de discussions en profondeur menant à des propositions débattues et acceptées, j’estime qu’alors les consultations sont inutiles. Dans la pratique, je ne vois rien de sérieux.

Quelle alternative proposeriez-vous au discours du budget ?

Il faudrait arrêter cette affaire de discours du budget. Un ministre des Finances ne peut chaque année jeter le trouble dans la vie des Mauriciens. Je serais pour une autre formule à travers laquelle, tous les ans, le Premier ministre devrait présenter lui-même la direction de son gouvernement. Ainsi, on verrait comment le gouvernement met en place le programme à court terme pour lequel il a été élu. Et dans ce discours annuel devraient ressortir d’autres grandes orientations à long terme.

Est-il possible de présenter un budget de consensus ?

Cela ne peut exister que lorsque la société n’est pas cassée en deux, où l’écart entre les 750 000 travailleurs et les 4 000 personnes qui détiennent les biens de production n’est pas si important. Je crois qu’on minimise la cassure sociale. On ne peut pas parler de budget de consensus dans ces conditions. Pour un budget de consensus, il faut préserver le pouvoir d’achat, contenir l’inflation, éviter la dépréciation de la roupie et, en outre, parce qu’on a souffert durant 20 ans, adopter une politique de rattrapage, avec une augmentation des salaires. Une politique de consensus peut émerger par rapport à une vision du développement pas seulement basée sur les secteurs de production. Dans le secteur hors production, les salaires ne sont pas intéressants comme à Ebène. C’est un enjeu à prendre en compte dans un budget de consensus. D’autant plus qu’en parallèle, notre pays est dans une transition technique où de nombreux travailleurs de l’industrie et de l’agriculture perdent leur emploi et ne peuvent s’intégrer dans le tissu économique en pleine mutation. Un budget de consensus ne se construit pas sur l’exclusion, les licenciements et l’endettement des ménages.

Pensez-vous que le gouvernement et surtout les employeurs ont la capacité d’aller vers l’introduction d’un salaire minimum ?

Je me réfère à deux critères : le salaire minimum vital et le seuil de pauvreté. Le minimum vital pour se loger, se nourrir, assurer ses loisirs et déplacements, bref pour vivre, se situe autour de Rs 12 000. Si on considère que le seuil de pauvreté équivaut à 60% de ce salaire minimum, il est à Rs 7 200, soit 180 euros. Je convertis en euros parce que la France vient de publier les chiffres identifiant le seuil de pauvreté à 950 euros. En France, 13% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Ici, on tergiverse encore sur le nombre de familles vivant sous le seuil de pauvreté. On sait malgré tout que des milliers de travailleurs touchent moins de Rs 7 200. Je constate qu’à Maurice et Rodrigues, la pauvreté s’installe. J’en profite pour dire que la question du logement est fondamentale. Les corps paraétatiques et le secteur privé devraient participer à un fonds pour le logement. Il faudrait quelque Rs 5 milliards pour améliorer la situation car un logement c’est la sécurité, la santé et la stabilité. La question des salaires doit prendre en compte cette réalité-là.

Le syndicalisme est-il menacé, notamment par le gouvernement ?

Il est d’abord menacé par le syndicalisme qu’on pratique. Je l’ai dit lors d’une réunion la semaine dernière. Nous allons vers une «désyndicalisation» du pays. Il y avait des contradictions entre les syndicats dans le passé, si bien que des travailleurs quittaient l’un pour rejoindre un autre. Depuis dix ans, j’observe que les travailleurs deviennent membres de plusieurs syndicats à la fois. En plus, les employeurs convainquent des travailleurs qu’il faut des négociations individualisées. Peu à peu, les travailleurs vont quitter les syndicats si les syndicalistes ne changent pas leurs méthodes. Le renforcement du syndicalisme ne doit pas se faire contre le gouvernement ou le patronat mais pour et par le syndicalisme.

Est-ce que le problème vient du trop grand nombre de syndicats, du manque d’unité ?

J’ai vécu une période où il n’y avait que quelques syndicats. Pour rencontrer le dirigeant syndical, c’était un chemin de croix. Le responsable syndical était un boss qui avait ses entrées à l’Hôtel du gouvernement. Je ne trouve rien de mal à ce que le nombre de syndicats augmente. Il y aura une démocratisation de l’organisation des syndicats. On a environ 2 000 dirigeants syndicaux actifs alors que dans les années 1970, il y en avait 10 à 15. Le nombre ne pose pas problème mais il manque la qualité. Je crains qu’on aille vers la constitution d’une classe de bureaucrates ou de fonctionnaires syndicalistes.

Le jugement est dur…

La situation n’est pas désespérée, il faut discuter de ce qui se passe franchement, ne pas avoir peur de s’engueuler s’il le faut. La critique sérieuse de ce qui ne va pas devrait nous amener à tomber d’accord sur des résolutions à mettre en pratique. La classe ouvrière est la classe la plus forte numériquement et financièrement et, dans le milieu syndical, il y a beaucoup de personnes de qualité. Quand je considère le syndicalisme mauricien, j’ai l’impression de voir un mendiant au coin de la rue avec un bol en or massif entre les mains. Il y a un paradoxe.

L’engagement syndical, la manifestation, font-ils vraiment partie de la culture du travail mauricienne ?

On avait une culture syndicale jusqu’à la fi n des années 1990. Le basculement des partis progressistes vers la droite a démantelé cette culture. Il y a des organisations et des syndicats de gauche mais pas de force politique qui aurait pu maintenir la culture syndicale dans le pays. Sur 750 000 travailleurs, il y a environ 20% de syndiqués et, en plus, le secteur informel grandit. Les secteurs affaiblis, comme l’industrie sucrière qui embauche moins d’un pour cent de la population active, portent un coup à l’engagement. Et c’était des secteurs au syndicalisme fort.

Jusqu’à votre départ, vous vous battrez pour l’unité syndicale, avez-vous dit. Vous risquez de ne pas partir très vite…

Mon départ, je l’ai engagé depuis huit ans. Les gens n’arrivent pas à comprendre. Je ne suis pas membre de la Federation of Trade Unions (FTU). Après mon départ, j’ai eu à m’occuper des syndicats affiliés à la FTU. Je dispense des cours de formation. Je quitterai le syndicalisme définitivement le 12 mars 2012, après 40 ans consacrés à cette lutte.

Et l’après 12 mars 2012 de Jack Bizlall, cela ressemblera à quoi ?

Je me consacrerai à la politique et à l’écriture. Un roman.

Interview réalisée par Gilles RIBOUËT
Photo : Krishna PATHER

Gilles RIBOUT