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Jacques de Navacelle : « Le lynchage médiatique de Rakesh Gooljaury me dérange »

27 janvier 2013, 12:28

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Jacques de Navacelle s’explique sur ses relations avec Rakesh Gooljaury, qu’il décrit comme un homme « qui a du flair ». Quant à Nandanee Soornack, «je ne la connais même pas », confie l’ancien président de Transparency Mauritius devenu consultant en affaires.  Ils s’est entretenu avec l’express dimanche. 

Avant qu’une « soornackerie » ne vous ressuscite, vous aviez disparu des écrans radars.Que devenez-vous depuis deux ans ?

Je suis rentré en France. Après mon départ de la Mauritius Union, je n’ai plus eu envie d’exercer des responsabilités managériales, je me suis mis en congé dans un petit village de la campagne normande. Je m’occupe de mon terrain, je m’investis dans le bénévolat et le monde associatif, c’est une nouvelle vie. J’ai tout de même gardé des contacts à Maurice. Du fait de mon expérience, pas mal de gens m’ont demandé un coup de main pour mener à bien leurs affaires. C’est ce qui m’amène à revenir de temps en temps.

Il y a 10 jours, La lettre de l’océan Indien vous a présenté comme « le consultant de Nandanee Soornack » . Que consultez- vous chez cette dame ?

Rien du tout, je ne la connais même pas ! ( Rire)

Vous ne travaillez pas pour elle ?

Non, je ne l’ai jamais vue ! Avant que la presse parle d’elle, je ne savais même pas qu’elle existait.

Avez-vous contacté La lettre de l’océan Indien pour démentir ?

Oui, j’ai parlé au rédacteur en chef. Il a essayé de retomber sur ses pattes : « Oui, mais vous êtes consultant de Fashion Style, et vu que Mme Soornack est actionnaire… » Vérification faite, cette dame n’est pas actionnaire de Fashion Style. L’information parue était donc totalement fausse. Le problème, c’est que le coup est parti. Le directeur de Transparency Mauritius m’a raconté qu’un journaliste l’a harcelé une journée entière : « De Navacelle travaille pour Soornack, pourquoi vous ne lui dites pas de démissionner de Transparency ? » C’est du lynchage. Mais bon, j’ai la peau dure.

Cette erreur a-t-elle été commise de bonne foi, selon vous ?

( Direct) Je n’en mettrais pas ma main à couper. Ça ne m’étonnerait pas que l’on veuille un peu m’emmerder.

Vous avez tant d’ennemis que ça ?

Je ne pense pas, non. J’ai le sentiment que les gens qui ont travaillé avec moi, globalement, étaient plutôt contents. Mais Maurice n’a pas une culture d’affrontement direct, plutôt une culture de manoeuvre. On aime parler dans le dos, on change vite d’avis, l’ami devient l’ennemi. Et puis, que des gens ne m’aiment pas, c’est normal. Dans le monde des affaires, à un moment ou un autre, vous êtes dans l’affrontement. J’ai relancé la Barclays, j’ai développé la Mauritius Union, j’ai pu déplaire.

Votre partenariat avec Rakesh Gooljaury, lui, est bien réel.

C’est exact. Je travaille avec M. Gooljaury. Il m’a demandé de l’aider l’aider à consolider l’une de ses entreprises, Fashion Style, qui est devenue une grosse affaire en peu de temps. Nous avons un contrat de consulting depuis un peu moins d’un an.

Dans quelles circonstances l’avez- vous rencontré ?

Mon fils travaille avec M. Gooljaury, il est responsable marketing chez Fashion Style. L’année dernière, son patron lui a dit qu’il aimerait me rencontrer, qu’il aurait besoin de mes conseils. J’ai pris un temps de réflexion, je me suis renseigné sur les activités de ce monsieur, puis nous nous sommes vus, en avril dernier. Assez vite, j’ai vu ce que je pouvais apporter à Fashion Style.

Et sur l’homme, quelle a été votre première impression ?

Très bonne ( longue pause) … Le problème, c’est que tout ce que je dirai risque d’être interprété. J’entends déjà les raccourcis : « M. Transparency affirme que M. Gooljaury est honnête. »

Ce n’est pas le cas ?

Je ne suis pas son avocat. Me mettre debout et dire que M. Gooljaury est parfait n’est pas mon job. Nous sommes en relation d’affaires, je n’ai aucune raison de regretter de l’être, mais je ne suis pas là non plus pour le défendre.

On sent pourtant que ça vous démange…

Le lynchage médiatique dont il fait l’objet me dérange. Le problème, à mon sens, vient du fait que M. Gooljaury est proche du Premier ministre. Et que la dame avec qui il travaille l’est davantage.

Que faites- vous à ses côtés, précisément ?

M. Gooljaury souffre d’un mal assez classique : la solitude du chef d’entreprise. Quand vous êtes cadre dans une grosse boîte, vous avez des camarades avec qui échanger des points de vue. Mais quand vous êtes le patron, vous êtes souvent seul et c’est difficile de trouver des gens avec qui confronter vos idées. M. Gooljaury, cet échange l’intéresse. Je me concentre d’abord sur le management de Fashion Style, mais cela peut aller au- delà. Quand je suis à Maurice, nous nous voyons très souvent. Le reste du temps, il sait qu’il peut m’appeler avant de prendre une décision importante.

A- t- il raison, selon vous, de ne pas s’exprimer ?

( Sec) Je ne sais pas. Je ne suis pas son conseiller en communication.

On le dit immensément riche…

Le mot immensément est exagéré, même s’il a gagné beaucoup d’argent. C’est un drogué du travail, il ne vit que pour ça, depuis toujours. Les vacances et les week-ends, il ne connaît pas. L’une des clés de sa réussite est son côté « focus » . C’est un homme qui va à l’essentiel, il ne se disperse pas, c’est sa grande force. S’il doit voyager, il part le matin et rentre le soir. Il a démarré de rien, c’est un malin. Il a du flair mais déteste la lumière. A l’inauguration de sa propre boutique, vous ne le verrez pas, il préfèrera rester chez lui.

Comment vit- il le tourbillon médiatique dont il fait l’objet ?

Il me paraît affecté mais pas inquiet. Je n’ai pas le sentiment qu’il se sente coupable de quoi que ce soit.

A aucun moment vous n’avez douté de sa probité ?

( Il réfléchit) En philosophie []]]] il est titulaire d’une maîtrise, ndlr ], j’ai appris que le doute était indispensable. Oui, j’ai douté. Qui n’aurait pas douté avec tout ce qu’on a raconté sur lui ? Cela dit, je n’ai aucune preuve de rien du tout. Je me suis renseigné, j’ai essayé de vérifier certaines allégations. Par exemple, on m’a mis en garde en me disant que Rakesh Gooljaury vendait du faux Hugo Boss : aujourd’hui, je sais que c’est fumeux. Quand Hugo Boss vous confie sa marque, tout est contrôlé de A à Z. Ils envoient les plans du magasin, ils choisissent les meubles, ils passent les stocks au peigne fin, ce qui entre, ce qui sort, rien ne leur échappe. Vendre du faux dans une boutique officielle, c’est juste impossible.

Quand la Sicom casse sa tirelire pour acheter une tour virtuelle à Ebène, ça ne vous fait pas tiquer, vous, l’ex- patron d’assurance ?

Non. Il est parfaitement normal qu’une compagnie d’assurances investisse dans l’immobilier. A la Mauritius Union, je recherchais ce type d’investissements. A Paris, des rues entières appartiennent aux assureurs. Pourquoi ? Parce que c’est un placement sûr : vous achetez un immeuble, vous louez, les loyers rentrent et votre bien prend de la valeur. Bien entendu, la Sicom ne s’installera pas forcément à Ebène, ce n’est pas le but, c’est essentiellement un placement.

La proximité de l’acquéreur et du vendeur nourrit les suspicions.MM. Lobine et Gooljaury sont amis dans la vie et associés en affaires. Le premier a même été l’avocat du second. Là encore, ça ne vous pose pas de problème ?

A priori, non. Je n’ai pas fait une enquête sur les relations personnelles de M. Gooljaury. Vous pensez peut-être que je veux le défendre à tout prix, mais cet achat ne me choque pas. Pour être tout à fait franc, les conclusions hâtives de certains articles de presse me dérangent davantage.

Par exemple…

Dire que Kushal Lobine achète le bâtiment de son associé Rakesh Gooljaury est un raccourci dangereux.

Ce n’est pas Kushal Lobine qui achète mais la Sicom. M. Lobine est chairman, pas chief executive. Il a son mot à dire mais il ne décide pas, c’est une décision du conseil d’administration dans son ensemble. De plus, Maurice est un petit pays où il est difficile de ne pas se marcher sur les pieds. Après, c’est une question de morale personnelle.

Pour vous, ça ne sent donc pas la magouille ?

Personne ne m’a démontré qu’il y en avait une. Quand on parle d’un « jackpot à Rs 600 millions», ce n’est pas sérieux. Ou alors c’est ne rien connaître au monde des affaires. Comme si M. Gooljaury allait mettre Rs 600 millions dans sa poche… On oublie de dire qu’il a emprunté autour de Rs 550 millions pour construire son immeuble, et qu’il doit encore payer pas mal de taxes et de frais. A la fin, il lui restera peut- être Rs 30 millions. Ou peut-être rien du tout si les travaux prennent du retard.

On le plaindrait presque…

C’est un businessman. Son job consiste à prendre des risques.

De deux choses l’une : soit la presse est une grande paranoïaque, soit vous êtes un grand naïf…

Je suis peut- être naïf. Le Premier ministre l’a d’ailleurs dit de moi un jour. ( Rire)

Autre hypothèse : vous êtes devenu plus indulgent avec l’affairisme politico-financier que vous dénonciez lorsque vous présidiez Transparency Mauritius.

( Silence pesant) Encore une fois, je ne vois rien d’anormal par rapport à la façon dont les affaires se font habituellement. Si M. Gooljaury fait naître autant de soupçons, c’est parce qu’il côtoie Navin Ramgoolam.

Un exemple : très souvent, des patrons vont frapper à la porte du Premier ministre. Ce sont des chefs d’entreprise qui dirigent de grosses boîtes. Leur problème, c’est que l’administration traîne, les dossiers dorment. Le Premier ministre prend alors son téléphone, secoue le gars qui n’a pas fait son job et en une heure tout est réglé. Cette pratique est courante, elle n’est pas malhonnête et M. Gooljaury n’y a pas eu recours plus qu’un autre.Simplement, le fait d’être proche du Premier ministre joue en sa défaveur.On est plus sourcilleux, plus soupçonneux.

Après avoir vécu treize ans à Maurice, vous n’y passez plus que six semaines par an.Qu’avez- vous quitté à regret ?

Enormément de choses. La gentillesse des Mauriciens, leur ingéniosité, la beauté de leur pays qui est devenu le mien. La disponibilité des décideurs aussi. L’esprit d’entreprendre.Le business en Europe est morose. A Maurice, tout le monde a envie de faire des affaires, c’est terriblement stimulant.

Et qu’avez- vous quitté avec joie ?

La cuisine ethnique, sauce castéiste.
 
 
Entretien réalisé par Fabrice Acquilina