Publicité

Jean Claude de l’Estrac - Secrétaire général de la Commission de l’océan Indien (COI) : « La presse me manque... »

2 février 2014, 14:36

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Jean Claude de l’Estrac - Secrétaire général de la Commission de l’océan Indien (COI) : « La presse me manque... »

 

Télévision régionale, accès aérien, élections malgaches : à bientôt mi-mandat, « Monsieur Indianocéanie » dresse un premier bilan d’étape. Jusqu’à ce que des sodomites s’invitent dans la discussion...
 
Déjà 18 mois de petits fours et de flâneries interîles. Vous l’aimez cette nouvelle vie ?
Oui, car elle me permet de créer. J’ai une réputation de gestionnaire, en réalité, jesuis un créatif.
 
La diplomatie, c’est votre truc finalement ?
Ce n’est pas le rôle diplomatique qui m’intéresse le plus, mais le fait de remettre sur la carte du monde l’Indianocéanie, une région qui aspire à devenir le nouveau coeur du monde afro-asiatique.
 
Les grands mots, tout de suite…
Ce ne sont pas que des mots, il s’agit d’une réalisation concrète ! La Commission de l’océan Indien (COI) est en passe de faire émerger la région Indianocéanie à un moment crucial de l’histoire géopolitique de la mer des Indes. Je vis une fabuleuse aventure créative.
 
Comment transforme-t-on des bureaucrates en créatifs ?
En repensant la stratégie, les méthodes et les outils de travail. À mon arrivée, j’ai trouvé une COI qui avait besoin d’être secouée, modernisée, professionnalisée. Cette transformation – non achevée – a occupé la première année de mon mandat.
 
Vous avez dépoussiéré le mammouth ?
Il n’y avait rien où aurait pu reposer la poussière ! J’ai créé une nouvelle organisation, je crois que personne ne le conteste. Cette impulsion a permis de lancer une nouvelle génération de projets. Clairement, la COI a changé d’époque.
 
Vos prédécesseurs ont dormi, vous avez bâti, c’est ça ?
Absolument pas. Chaque secrétaire général a ses priorités. Calixte d’Offay, mon prédécesseur immédiat, a travaillé sur des questions de fond qui ont toujours été placées très haut dans l’agenda de la COI... (on coupe)
 
Dites donc, vous avez fait de sacrés progrès en langue de bois…
En quoi est-ce de la langue de bois ? Peut-être avez-vous un problème de surdité... Calixte d’Offay était très actif sur plusieurs fronts – notamment sur les questions d’environnement. Un chiffre qui vient d’être publié le démontre : la COI a obtenu la meilleure performance de la région AFOA-OI (Afrique orientale et australe et océan Indien) en matière d’utilisation des fonds européens. Cette performance est à mettre, aussi, au crédit de M. d’Offay. Moi, j’ai fait de la connectivité ma priorité. Nous ne serons jamais une région si nous n’arrivons pas à mieux nous connecter, c’est l’idée de départ. Cette connectivité, je la décline en quatre pôles : aérien, maritime, Internet et audiovisuel.
 
Vous parlez très peu du dernier…
Le projet de télévision régionale avance bien, nous étudions plusieurs options. On se dirige peut-être vers une formule à la TV5 Monde, avec un vrai projet éditorial régional. Le rapport de faisabilité demandé par nos États sera prêt au mois de mars et présenté à la prochaine réunion du conseil des ministres de la COI.
 
Que vous inspire l’annonce du gouvernement mauricien d’autoriser des chaînes de télévision privées, à condition qu’elles ne diffusent pas d’information ?
(Il balaie la question d’un revers de main) Cela ne peut pas se faire. Il n’y a pas de télé privée sans recettes publicitaires. Or pour générer des recettes, il faut de l’audience, et pour faire de l’audience, il faut de l’info.
 
Votre priorité, ce sont les ailes de l’Indianocéanie. L’aérien, dites-vous, est le problème numéro un…
Le transport aérien est un enjeu majeur car il est synonyme de croissance, de tourisme et d’emplois. Or dans notre région, les vols sont rares, chers et toutes les compagnies aériennes nationales perdent de l’argent. Ce constat, tous les acteurs le font. Le statu quo n’est donc pas une option.
 
À partir de là, que proposez-vous ?
La fusion des quatre compagnies de la région – toutes déficitaires – permettrait de mutualiser leurs ressources. C’est, à mon sens, l’option la plus pertinente… mais c’est celle qui ne se fera pas. Les États préfèrent chercher chacun des partenaires. Pourtant, nos économies et nos peuples auraient tout à gagner à trouver un nouveau modèle. Un modèle basé sur la concertation et l’intérêt collectif, et non pas sur des stratégies corporatistes à court terme.
 
Le chairman d’Air Mauritius, Dass Thomas, ne veut pas entendre parler de régionalisation. De quoi ce « non » est-il le nom ?
D’abord, d’un dysfonctionnement. M. Thomas peut parler au nom d’Air Mauritius, mais il ne devrait pas le faire au nom de Mauritius. Dans nos États, les opérateurs se comportent en régulateurs, premier point. Le second : le rôle légitime de M. Thomas est de défendre les intérêts de sa société, ceux des employés et des actionnaires. Il se trouve que ces intérêts peuvent être en contradiction avec ceux du pays et de la région. Un exemple : abandonner des routes en Europe, c’est bon pour Air Mauritius qui fait des économies, mais c’est mauvais pour le pays qui perd des touristes.
 
Conclusion : quand le transporteur national gagne, le pays perd ?
Cela arrive. Voilà pourquoi je dis qu’Air Mauritius et Mauritius ont parfois des intérêts contradictoires, il faut commencer par l’admettre, puis chercher le modèle gagnant- gagnant.
 
Rama Sithanen, l’un de vos alliés sur ce dossier, estime que « la politique, l’orgueil et de médiocres jalousies l’emportent sur l’économie et le bon sens commercial ». Partagez-vous ce point de vue ?
Totalement. Sauf que je le dis différemment. Rama Sithanen peut se le permettre, il n’est pas diplomate.
 
Vous non plus…
(Il se gratte la moustache)
 
À votre prise de fonction, n’annonciez-vous pas un Général ?
(Sourire) Maréchal serait plus approprié aujourd’hui. Au début, j’étais un Général sans armée. J’ai désormais des troupes motivées et concentrées sur les victoires et les conquêtes.
 
Vous vous prenez pour le Napoléon de l’Indianocéanie ?
Oh que non ! Si vous voulez absolument un nom, par l’ambition et la passion, je me vois bien en Jean Monnet (NdlR, l’un des principaux « pères de l’Union européenne ») de l’Union indianocéanienne.
 
Jean Monnet était à Antananarivo il y a huit jours pour l’investiture du nouveau président malgache. Cette élection marque-t-elle la fin de la crise ?
Plus que ça, elle marque la fin d’une époque. Jamais, à Madagascar, une commission électorale nationale et indépendante n’avait géré une élection. C’est un pas de géant sur le plan du retour à l’ordre institutionnel. Les perdants ont finalement accepté le verdict des urnes, ça aussi c’est du jamais vu ! C’est un nouveau départ, une renaissance.
 
Certains observateurs sont moins optimistes…
On ne peut pas empêcher ceux qui ne savent pas de parler.
 
Pour Solofo Randrianja, enseignant-chercheur à l’université de Toamasina, « ces élections ont été organisées à la va-vite dans un contexte qui n’est pas apaisé, tous les ingrédients de la crise sont encore là »…
Je ne dis pas qu’il n’y aura plus de crise, il y en a partout, y compris dans les démocraties matures ; la question est de savoir comment les gérer. Jusqu’ici, Madagascar en était incapable. L’élection présidentielle a posé les bases d’un nouvel État de droit qui permettra de gérer les conflits.
 
Prochaines étapes ?
Le renforcement des institutions démocratiques malgaches et le retour des bailleurs de fonds. Le pays a besoin d’un soutien financier, certes, mais aussi de retrouver sa souveraineté.
J’espère que la communauté internationale saura se faire plus discrète maintenant. L’heure est venue de laisser les Malgaches gérer euxmêmes leurs affaires.
 
On sait peu de choses sur le nouveau président. Qui est Hery Rajaonarimampianina ?
C’est un technocrate, un gestionnaire averti, un grand partisan de la coopération régionale, cet homme n’est pas un politicien classique.
 
Un comptable formé au Québec, poète à ses heures…
À la base, il n’avait aucune ambition politique, on a été le chercher pour gérer les finances du pays. Il s’en est bien sorti, l’effondrement annoncé de la monnaie n’a pas eu lieu. En 2013, Madagascar a même connu 3 % de croissance, ce qui n’est pas rien compte tenu de l’ampleur de la crise. Maintenant, le gestionnaire va devoir devenir un homme politique.
 
Est-il l’homme de la situation, selon vous ?
(Il ouvre grand les bras) Il n’est pas le seul, mais il a l’avantage d’avoir géré l’économie malgache dans une période difficile. Il a une bonne réputation auprès de la communauté internationale, qui voit en lui un homme compétent et rigoureux. Il incarne également l’ouverture, il l’a démontré lors de son discours d’investiture.
 
Un discours en partie plagié à Sarkozy, qui reprend mot pour mot un passage de la campagne de 2007 de l’ancien président français…
Le passage en question est l’oeuvre d’un speechwriter paresseux. Je ne retiens pas les mots mais les idées. Le nouveau président a tendu la main à ses adversaires politiques et il a marqué son indépendance vis-à-vis de son « parrain », l’ancien président Rajoelina.
 
Ses détracteurs le voient justement comme un homme du « système Rajoelina », l’accusant de liens avec des trafics perpétrés par des proches de l’ancien président…
Je ne suis ni enquêteur ni juge. M. Rajaonarimampianina a déclaré haut et fort qu’il fera de la lutte contre la corruption sa priorité absolue. Et je n’ai pas entendu dans son cas de critiques d’enrichissement personnel.
 
D’un président à l’autre, François Hollande a-t-il confirmé sa présence au sommet de la COI, en juillet ?
Oui.
 
Et Julie Gayet, vous avez des nouvelles ?
Cette dame n’est pas dans mon carnet d’adresses.
 
La location du scooter, l’hébergement des paparazzis, tout ça, qui s’en occupe ?
(Il fait mine de ne pas comprendre) C’est le pays hôte, le gouvernement comorien, qui a la responsabilité de l’organisation.
 
M. Hollande savait-il, quand il a confirmé sa venue, que le sommet se tiendrait aux Comores ?
Non, le choix n’avait pas encore été fait.
 
En parlant de choix, estce que la presse écrite vous manque ?
(Longue réflexion) Oui. Elle me manque et me déçoit. Je suis atterré par la faiblesse d’analyse. Trop de journaux cherchent des sodomites dans les poubelles. Le monde a changé, l’évolution technologique et la multiplication des sources d’information instantanée imposent à la presse écrite de se repositionner. Aujourd’hui, on n’achète plus un journal pour s’informer mais pour comprendre. Ceux qui continuent de penser qu’un journal vend de l’information se trompent d’époque.
 
Quel devrait être le rôle d’un journal de 2014, selon vous ?
Faire le tri dans le tropplein d’infos, hiérarchiser. Décoder, expliquer, donner du sens à l’information. Seuls survivront les journaux qui sauront le faire. L’info brute, tout le monde la connaît, elle tourne en boucle partout. On l’a reçue sur notre smartphone, lue sur Internet ou entendue à la radio. Pourquoi voulez-vous que le lendemain, un lecteur achète un journal qui lui raconte ce qu’il sait déjà ?
 
Vos autres anciennes vies, la politique et l’écriture, sont-elles en sommeil ?
Je suis insomniaque, ni l’écrivain, ni le politicien ne sont en sommeil. Des choses sommeillent en moi, c’est différent...
 
 
« Aujourd’hui, on n’achète plus un journal pour s’informer mais pour comprendre. Ceux qui continuent de penser qu’un journal vend de l’information se trompent d’époque. »
 
« Je suis insomniaque, ni l’écrivain, ni le politicien ne sont en sommeil. Des choses sommeillent en moi, c’est différent... »