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Jean-Maurice Labour - vicaire général du diocèse de Port-Louis « L’Eglise n’est pas le gouvernement des créoles »

18 mars 2013, 15:23

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Jean-Maurice Labour - vicaire général du diocèse de Port-Louis « L’Eglise n’est pas le gouvernement des créoles »

 

Dire que le vicaire général a peu goûté aux récentes sorties du ministre des Administrations régionales est un doux euphémisme. Le conclave Aimée-Labour attendra. Habemus pam-pam. 

 

Hervé Aimée n’est pas le 266e pape, pas trop déçu ?

Je ne crois pas que l’Eglise aurait pu faire une telle erreur.

 

Pourquoi le ministre des Administrations régionales est-il si mal-aimé de l’Eglise ?

M. Aimée n’est pas malaimé, il est mal informé et frustré. Je sens en lui une profonde frustration qu’il n’arrive pas à exprimer.

 

Vous êtes psy depuis quand, vous ?

Si j’avais été son psy, j’aurais pu au moins exorciser ses démons. M. Aimée espérait de l’Eglise une certaine considération qu’il n’a jamais eue, d’où sa frustration.

 

Qu’entendez-vous par « considération » ?

Un soutien politique, quelque chose de cet ordrelà. A Agalega, sa sortie contre l’Eglise à été d’une telle virulence… Il faut vraiment qu’il essaie d’extraire cette frustration.

 

Réclamer un droit d’inventaire de l’Eglise à Agalega, en quoi estce si virulent ?

(Ferme) Ecoutez, j’ai entendu l’enregistrement. « L’Eglise vous couillonne, elle vous fait croire qu’elle vous aime, mais elle ne fait rien pour vous. » Voilà ce qu’a dit M. Aimée. Et il a ajouté : « Toutes sortes de couillons écrivent sur Agalega. » Il faisait notamment référence à un rapport de Jimmy Harmon, qui est le chef du département de pédagogie de l’Institut Cardinal Jean Margéot.

 

Vous êtes devenu trop chatouilleux…

Un ministre aussi ignorant, c’est grave pour la République. M. Aimée ignore - ou alors il feint d’ignorer - tout ce que l’Eglise a fait à Agalega. Prenons l’éducation.

Il revendique la paternité du collège, or c’est tout à fait faux. Ce projet a été pensé par l’Eglise et par Jack Bizlall. M. Aimée s’y est associé, mais il ne peut pas déclarer le bébé, c’est malhonnête. Et puis, venir reprocher à l’Eglise de ne pas s’investir dans l’éducation, c’est méconnaître l’histoire de cette île. M. Aimée ne sait pas que la première école d’Agalega a été ouverte dans une chapelle ? Quand ça les arrange, M. Aimée et ses amis enferment les prêtres dans leur sacristie. Mais quand l’Etat fuit ses responsabilités à l’égard des créoles, l’Eglise devrait porter le chapeau. En fin de compte, M. Aimée nourrit une idée qui sent très mauvais.

 

Quelle idée ?

Que c’est à l’Eglise de s’occuper des créoles. Et que si les créoles sont au plus bas dans tous les secteurs, c’est parce que l’Eglise les a délaissés. Mais enfin, l’Eglise n’est pas le gouvernement des créoles ! Cette idée nauséabonde est largement répandue en politique et dans une certaine section de la population, comme on dit pudiquement à Maurice. M. Aimée sent le besoin de chanter ce refrain pour mieux se faire accepter par cette sectionlà. Il chante le refrain de ses maîtres.

 

Vos refrains à vous ne sonnent pas forcément plus juste. Vous avez utilisé plusieurs fois le terme « génocide » pour qualifier l’inaction des gouvernements à l’égard des Agaléens. Vous savez ce que signifie ce terme ?

L’extermination d’un groupe ethnique.

 

L’Eglise nous avait habitués à plus de mesure dans la critique.

Je ne suis pas à l’aise avec cette Eglise bon chic bon genre qui parle un langage ampoulé.

 

Alors vous péchez par exagération ?

Bien sûr, ce terme est volontairement provocateur. Si je crie au génocide, c’est parce que la République de Maurice fait aux Agaléens ce que nous reprochons aux Britanniques d’avoir fait aux Chagossiens. Le processus est plus lent mais plus sournois. Je suis convaincu que l’intention est de vider Agalega de sa population.

 

Est-il exact que le Premier ministre a téléphoné tout récemment à monseigneur Piat pour se plaindre de vos propos ?

Oui. Le Premier ministre n’a pas apprécié que je dise que l’armée indienne veut établir à Agalega une base militaire.

 

Du coup, vous avez eu droit à un sermon de votre patron ?

Pas du tout. J’ai toujours été libre de mes propos.

 

Des propos informés ou fantasmés ?

J’observe et je déduis. Pourquoi refuse-t-on à Agalega un plan de développement à long terme ? Pourquoi oblige-t-on les femmes à accoucher à Maurice ? Pourquoi n’y-at-il pas de « Born in Agalega » ? Si on voulait se débarrasser des Agaléens, on ne s’y prendrait pas autrement. Tout est fait pour qu’ils ne puissent rien revendiquer une fois qu’on leur aura pris leur île.

 

Un peu faible comme argumentaire…

Je ne suis pas un imbécile, je sais qu’il y a des choses qui setrament. (Sur le ton de la confidence) M. Aimée, dans une conversation privée, s’est confi é à la mauvaise personne.

 

C’est-à-dire ?

Il a parlé à quelqu’un que je connaissais. Cette personne est venue me rapporter ses propos.

 

Et…

Soit mon ami m’a menti, soit il y a effectivement un plan pour que les Indiens, petit à petit, entrent à Agalega. Moi, j’ai tendance à croire mon ami.

 

Cette rumeur de base militaire indienne, le gouvernement l’a maintes fois démentie.

Foutaise ! Ils mentent ! Le plan souterrain est qu’Agalega devienne le Diego Garcia des Indiens. Sur place, personne n’est dupe. La marine indienne gère l’île à la petite semaine.

Des navires tournent en permanence dans le secteur. Au moindre problème du Mauritius Pride, big brother is here. Et là, c’est Byzance : consultations médicales à volonté, distribution de bonbons aux enfants, va-y que je repeins l’église ou l’école. J’ai des doutes sur les véritables intentions de ces gens-là, c’est tout.

 

C’est quoi cette histoire de gandia qui pousserait sur l’île avec la bénédiction de l’Eglise ?

(Colère contenue) Excusez- nous, M. Aimée, de n’avoir pas encore créé une ADSU ecclésiale.

 

Sérieusement…

C’est par le canal de l’Eglise que l’ADSU a été mise au courant. Et ça, M. Aimée ne le sait pas. D’abord, parce que c’est un ministre mal informé. Ensuite, parce que la police s’est bien gardée de lui révéler ses sources.

 

En parlant de sources, comment vous êtes-vous procuré l’enregistrement de l’intervention du ministre à Agalega ? L’Eglise a des espions sur l’île ?

(Sourire en coin) L’Eglise a des fidèles. Je suis très au courant de ce qui se passe là-bas. Par exemple, je peux vous dire qu’en ce moment, la seule boutique de l’île est vide. Mercredi, il restait quatre boîtes de lait. Je peux vous dire aussi que les fonctionnaires installés sur place - policiers, météorologues, enseignants - font tous du trafi c de poisson. J’étais sur le bateau, j’ai été témoin de ce trafic. Ils ramènent par bateau des tonnes de poisson qu’ils vendent ensuite à Maurice, sans payer de fret ni de droit de douane. Résultat, une manne passe sous le nez de l’Outer Islands Development Corporation. En réalité, l’OIDC n’a de développement que le nom.

 

Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

L’OIDC paie 24 personnes assises derrière des bureaux pour expédier deux bateaux par an. Le reste du temps, elles supplient la marine indienne ou les thoniers européens : « S’il vous plaît, arrêtez-vous à Agalega, déposez quelques bonbonnes de gaz et des sacs de riz. » C’est comme ça que ça se passe à l’OIDC. Durant le carême de Pâques, un prêtre est censé aller là-bas, mais on ne sait pas s’il y aura un bateau. M. Aimée dit que nous délaissons les Agaléens, mais la vérité, c’est que nous sommes les mendiants de l’OIDC qui contrôle tout.

 

Agalega compte plus de problèmes que d’habitants. Vivre sur un caillou de 24 km² situé à 1000 km de Port-Louis pourrait-il être plus doux ?

Mais bien sûr ! Agalega pourrait devenir un mini- Rodrigues, une bulle verte où passer ses vacances, plutôt que de payer une fortune pour aller en Europe. Nous travaillons sur un projet touristique de fishing lodge. Autour, il y aurait un certain nombre de métiers que les jeunes Agaléens pourraient cibler dans leurs études.

 

De quoi les habitants ont-ils besoin en priorité ?

Le comité diocésain 1er- Février a élaboré un plan détaillé en six volets. La priorité des priorités, c’est la piste d’atterrissage. Désenclaver l’île réglerait pas mal de problèmes. Cette piste, on nous la promet depuis vingt ans…

 

Ça vous fait mal d’être passé à côté d’une carrière politique ?

(Il réfléchit) Je n’ai pas mal. Mais c’est vrai que si je n’avais pas été prêtre, j’aurais été quelque part en politique. Où, je ne sais pas.

 

Avec un nom pareil…

(Rires) Sûrement pas... Quoique, pourquoi pas. Mais je suis bien là où je suis. J’estime que mon travail d’homme d’Eglise comporte une dimension politique.

 

En 2005, vous aviez informé le Vatican de la situation des Agaléens. Le Saint-Siège se serait-il assis sur vos soucis ?

Le dossier a dû se perdre dans les méandres de l’administration vaticane. Le premier missionnaire à Agalega, en 1897, était un jésuite, comme le nouveau pape François. Peut-être que ça pourrait aider, qui sait ? Je rencontrerai Jorge Mario Bergoglio au mois de mai, à Rome.

 

Le choix de ce jeune premier de 76 ans - premier jésuite et premier Américain du sud devenu pape - vous a-t-il surpris ?

Ce choix m’a réjoui. Un pape du Sud succède enfi n à cette dynastie d’Européens qui semblait éternelle. Quand on pense l’Eglise à partir de l’Europe, on voit beaucoup de problèmes. Je crois que cet homme va conduire l’Eglise de manière différente.

 

En abandonnant les marchands du temple ?

Oui, je pense qu’il prendra ses distances du pouvoir financier du Vatican. En Argentine, il cultivait un style de vie simple. Il a refusé de vivre dans la luxueuse demeure de l’archevêché et opté pour un appartement sans aucun domestique. Il préférait les transports en commun aux voitures avec chauffeur.

 

Les cardinaux n’ont pas choisi l’audace en élisant un pape africain ou asiatique. Cela vous déçoit ?

Vous savez, les révolutions dans l’Eglise se passent très lentement.

 

Trop lentement ?

Oui.

 

Jean Paul II avait étonné le monde et changé la papauté. Après lui, Benoît XVI est apparu terne. Que fera François ?

En tant que jésuite, il a une expérience centrée sur l’accompagnement personnel propre à sa formation. Benoit XVI était un moralisateur, François sera un accompagnateur. La préoccupation d’un jésuite est de marcher avec les hommes, pas de leur faire la leçon. Je ne crois pas que ce pape sera un rigide gardien du dogme.

 

Lequel de ses hommes aimeriez-vous entendre dans le secret du confessionnal : Lance Armstrong, Monseigneur Piat, Hervé Aimée ou Benoît XVI ?

Hervé Aimée. Et je lui pardonnerais.

 

Et vous, quel est votre péché préféré ?

(Il réfléchit) La bagarre. Oui, je m’épanouis dans le conflit. Il y a des gens qui les fuient, moi j’aime ça, c’est dans la lutte que je donne le meilleur de moi-même. Les mauvaises langues disent que quand il n’y a pas de conflit, le père Labour va les chercher. Finalement, je ressemble beaucoup à Hervé Aimée (rire).