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Joël de Rosnay:Confidences d’un futurologue

20 juin 2010, 05:26

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Bricolage d’ADN, île durable, jus de pamplemousse, incinérateur,bioterrorisme, centrale électrique… le conseiller du Premier ministre dit tout.

Le projet « Maurice, île durable » vit-il encore ? Il en a été très peu question dans le programme gouvernemental 2010-2015 présenté la semaine dernière.

Le projet MID vit toujours et plus que jamais ! J’ai rencontré le Premier ministre à Paris début juin et je l’ai trouvé très positif et engagé sur ce grand projet dont il est à l’origine. Il fera  d’ailleurs prochainement des déclarations publiques importantes dans ce domaine. Par ailleurs, je remarque que des industriels mauriciens, notamment dans l’hôtellerie et le tourisme, souhaitent participer plus étroitement au projet MID. Je constate également l’intérêt et le dynamisme des nouveaux ministres de l’Environnement et du Tourisme sur ce projet.

Où en sont les préparatifs du « Davos de l’écologie » que compte accueillir  Maurice en 2012 ?

A mon avis cette conférence se déroulera comme prévu. Le Premier ministre y tient. Il l’a annoncé à l’Unesco et à Copenhague. Des contacts ont été établis et maintenus avec  l’équipe organisatrice du World Economic Forum de Davos. Des entretiens ont été  organisés à Maurice avec le Premier ministre. Tout dépendra maintenant des sponsors et de la participation du gouvernement mauricien, pour ce qui concerne notamment la sécurité, les déplacements, les séjours et une partie de la logistique de l’organisation.

Les projets d’incinérateurs et de centrale électrique sont ils définitivement enterrés  ?

Des projets alternatifs de production d’énergie et de gestion des déchets sont à l’étude.

Il y a un an tout rond, le ministre des Energies renouvelables précisait que ces projets ne se feront pas sans votre accord. Est-ce effectivement ce qui s’est passé ?Et si tel est le cas, que suggérez- vous pour assurer nos besoins énergétiques et résoudre la question du stockage des déchets ?

Je suis conseiller, pas décideur. J’ai remis au Premier ministre, à sa demande, un  important rapport suggérant une stratégie intégrée dans le domaine des énergies renouvelables et des économies d’énergie. Je pense avoir eu de l’influence sur l’abandon de certains projets, sur la motivation de grands industriels mauriciens et la restructuration d’organismes de financement et de suivi du projet MID. Ce que je suggère pour l’avenir se trouve dans mes rapports et mes livres sur le développement durable en général, et celui de Maurice en particulier.

Parlons-en, de vos livres. Quelle vie décrivez-vous dans Et l’homme créa la vie, qui vient de paraître ?

Je décris une vie de synthèse par  reprogrammation d’êtres vivants existants. Ou par  construction  d’organismes n’existant pas dans la nature, par exemple les « proto-cellules » qui sont faites de produits chimiques inertes. Mais on n’en est pas encore à ce stade.Le scientifi que Craig Venter a fait une annonce mondiale très spectaculaire le 21 mai dernier. Mais il n’a pas créé la vie !

Qu’a t-il fait, alors ?

Il a transféré un programme génétique sous forme d’acide désoxyribonucléique (ADN) synthétique dans une bactérie vidée de tous les programmes qui la faisaient fonctionner et vivre. Après avoir débarrassé cette mini-bactérie de tout son ADN (son programme génétique), il a écrit sur un ordinateur, comme pour du traitement de texte, la succession des 4 lettres du code génétique afin de créer les instructions nécessaires pour faire « revivre » la bactérie vide. Cette séquence numérique a été envoyée à une machine à synthétiser les gènes, une sorte d’imprimante à ADN. Il en est sorti des longs morceaux de « vrai » ADN, ensuite collés les uns aux autres. C’est cette longue chaîne, le «  biologiciel » enquelque sorte, qui a été introduite dans la bactérie vide. Tour de force quand même : elle s’est remise à transformer l’énergie extérieure en sa propre énergie
et à se reproduire. C’est le premier être vivant, dans l’histoire de notre planète, qui n’a pas d’ancêtres. Et dont le « père » est un ordinateur !

Ce futur est-il prometteur ou terrifiant ?

Les deux à la fois ! Les applications de la biologie de synthèse sont nombreuses : dans les  domaines de l’énergie, de l’agriculture, des « matériaux intelligents », de la santé. Pour produire par exemple des nouveaux médicaments ou des biocarburants. Mais il existe aussi des risques bioterroristes. Sur le plan positif, je décris la production par biologie de synthèse, d’un médicament très efficace contre le paludisme, l ’artémisine. Concernant les aspects négatifs, je propose dans le livre des scénarios catastrophes, allant du   bioterrorisme à des bactéries synthétiques s’échappant dans la nature ! Aujourd’hui, sociologues, philosophes ou politiques se posent la question : ne faudrait-il pas tout arrêter ? Des scientifiques sollicitent la tenue de moratoires pour prendre le temps de réfléchir et de décider s’il faut progresser plus en avant, malgré les risques.

Vous affirmez que des laboratoires sont sur le point de créer des organismes vivants à partir de produits chimiques. Dans quel but ?

Pour les grands laboratoires industriels, c’est certainement par intérêt économique. Mais pour les « biohakers », c’est aussi par défi . Pour « essayer » et pour le « fun ». Ces « bricoleurs du vivant » savent extraire le fameux ADN avec des produits de la vie  courante. Par exemple, avec une pincée de sel, une goutte de liquide vaisselle, du jus de pamplemousse et un doigt de rhum, on peut faire apparaître les filaments de l’ADN contenu dans la salive. Le détergent casse la paroi des cellules, le sel amalgame l’ADN, le pamplemousse neutralise les protéines qui pourraient l’endommager, et l’alcool fait remonter l’ADN à la surface du tube à essai ! Et puis, pour fabriquer des cellules synthétiques, les « biohackers » téléchargent en « open source » des séquences d’ADN, des « biobriques », fabriqués par d’autres, et utilisent des machines automatiques  achetées sur Ebay, pour traduire ces séquences numériques en ADN biologique !

L’homme a donc pris en main l’évolution du vivant ?

L’évolution et la diversité des espèces vivantes se réalisent selon le principe darwinien de mutations et de sélection naturelle. Face à l’essor de la biologie de synthèse, il convient de rester vigilant pour éviter toute dérive et de se poser les questions pertinentes    suffisamment tôt. Afin que tous se sentent responsables de l’avenir de ce nouveau  domaine des sciences du vivant. En participant à la création de la vie, l’homme devient co-créateur de l’évolution et donc de l’avenir des espèces vivantes. S’agit-il d’une responsabilité trop lourde ? Homo sapiens est-il par essence voué à devenir le grand  architecte ou seulement le modeste bricoleur de l’univers ? La responsabilité de  l’invention de ce futur est désormais entre nos mains.

Cette biologie contemporaine repose la question de la définition même de la vie : qu’est-ce qui est vivant et qu’est-ce qui ne l’est pas ?

Les quatre critères classiques qui permettent, sommairement, de définir la vie, sont l’autoconservation, l’autoreproduction, l’autorégulation et la capacité à évoluer. Mais les virus informatiques répondent aussi à ces critères. Pour le grand physicien Stephen Hawking, ils sont « vivants » ! Une vie hybride, biologique,  nanotechnologique, numérique ou robotique, peut aussi répondre à ces critères.

Vous évoquez la question du vieillissement. Un enfant né aujourd’hui vivra jusqu’à quel âge ?

La durée normale de la vie humaine estimée par les plus grands biologistes est comprise entre 120 et 140 ans. Nous mourons donc prématurément, suite à nos comportements, à la pollution, etc. Une petite fille naissant aujourd’hui à une chance sur deux d’être centenaire. En France on gagne un trimestre de vie par an. En 10 ans : 4 ans. L’espérance moyenne de vie (hommes et femmes) est de 80 ans aujourd’hui. En 2050 elle sera de 96 ans.


 

Entretien ralis par Fabrice Acquilina