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Kee Chong Li Kwong Wing : « Une coucherie Bérenger-Ramgoolam m’offenserait terriblement »

22 novembre 2011, 16:02

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Cinquante heures de débats budgétaires, ça vous lessive un parlementaire ?

Get mwa bien, eski mo paret fatigue ? Kee Chong est un tigre. Un tigre fougueux.

On est félin l’un pour l’autre, alors. Plutôt savane ou zoo ?

(Poing levé à la Che Guevara) Jamais personne ne pourra me domestiquer. Kee Chong est un rebelle, un anticonformiste révolutionnaire, un… (on coupe)

Un révolutionnaire en cravate qui fait du business dans l’offshore…

Un révolutionnaire qui veut changer le système de l’intérieur.

C’est quoi votre truc : ecstasy, amphétamine ?

(Rires) Je suis allergique à toute addiction. Qu’elle soit chimique ou idéologique.

Opium, coke ?

Ma drogue, c’est mes indignations. Je vis intensément mon engagement, je ne calcule pas. Je me shoote à l’adrénaline de mes convictions.

Vos anciens professeurs de la London School of Economics vous reconnaîtraient-ils ?

Je ne pense pas. A l’époque, j’étais plutôt effacé. Je n’étais pas très bien dans ma peau, en fait.

Tigrou avait des soucis ?

(Sur un ton grave) J’étais en quête d’identité. Un jeune homme un peu perdu, pétri de traditions asiatiques et en même temps aspiré par les valeurs occidentales. Je vivais cette tension comme un déchirement intérieur. Depuis, j’ai mis de l’ordre, je sais qui je suis. Cela m’a donné de la confiance, de la maîtrise aussi.

Cela vous fait un point commun avec le ministre des Finances.

Quoi donc ?

La maîtrise. Son budget le démontre, non ?

(Il sursaute) Fumisterie ! Duval m’a déçu. Il avait tout pour réussir et il s’est lamentablement planté.

Vous lui reprochez quoi, au juste ?

D’avoir présenté un budget d’exclusion. Duval a fait du Duval : généreux avec les gros bonnets, mesquin avec la classe moyenne. Il a coupé la société en deux entre ceux qui ont déjà trop et ceux qui bientôt n’auront plus rien. Les nantis étaient emmerdés avec les taxes Duval les a supprimées. Ils étaient emmerdés par le climat des affaires il s’est mis en quatre pour l’améliorer. Bien bon, sauf que c’est largement insuffisant. On ne présente pas un budget pour 1 % de la population. Les 99 % restants, il s’est foutu d’eux à coups de ristournes sur les motocyclettes et sur les shampoings. De gros cadeaux pour les nantis, des gajak pour les démunis, ah ! il est fort Xavier. (Il monte en décibels) Mais quel nul ce type, quel enfant gâté ! Et le pire, c’est qu’il a une super cote auprès des médias, à cause de gens comme vous.

Le Bruce Lee du populisme a parlé. On peut être sérieux deux minutes ?

Le problème de Duval, c’est qu’il externalise tout. Je voyais en lui en CFO, un Chief Finance Officer, je me suis trompé. En réalité, c’est un COO, un Chief Outsourcing Officer. Quand il y a des problèmes, ce n’est plus son problème, il privatise, il externalise : les casinos, les villages touristiques, la Cargo Handling Corporation, le Port-Louis Waterfront, Albion Fisheries, etc. Les problèmes, il s’en débarrasse au lieu de les affronter. Il privatise même la santé. Au lieu de remettre de l’ordre dans les hôpitaux, il encourage les plans d’assurances privés. En gros : si vous n’êtes pas satisfait des soins dans le public, allez dépenser votre fric en clinique. Ça me rend dingue une approche pareille !

Si demain une météorite s’écrasait sur le gouvernement et que le MMM revenait aux affaires, quelle mesure budgétaire annuleriez-vous sur le champ ?

Ce n’est pas une décision en particulier qu’il faut casser, mais le mindset de Duval. Il tient en trois mots : al fer fout. Il y a trop de problèmes dans ce pays, je ne vais rien résoudre, je délègue aux gros capitalistes.

Votre société offshore ne vit-elle pas au crochet des « gros capitalistes » ?

J’exploite les dérives et les failles du capitalisme pour le bien commun.

Inciter les gens à contourner le Fisc, c’est donc de la philanthropie ?

J’emploie des jeunes, je les forme et je nourris leur famille.

Kee Chong le politicien doit détester Kee Chong le professionnel…

Du tout, il n’y a aucune contradiction. Le gouvernement mauricien, dans ce monde capitaliste, a opté pour une juridiction à fiscalité légère. Je gagne ma vie avec ça et je crée de la valeur pour mon pays, où est le problème ?

Donc quand Duval allège la fiscalité des entreprises, la vôtre s’en met plein les poches. Il n’est peut-être pas si mauvais que ça, ce ministre…

Je n’ai pas dit que c’était une mauvaise décision. Maurice n’a pas de ressources naturelles, jouer sur le levier de la fiscalité est intelligent. Ce qui m’ennuie, c’est que Duval s’est contenté de rétablir ce que Sithanen avait fait. Or Sithanen, parallèlement, avait introduit des impôts de solidarité, la NRPT, par exemple. Duval, lui, n’a pas fait ça. La classe moyenne ne l’intéresse pas. Résultat, il aggrave le problème de la répartition des richesses. Voilà pourquoi le pays va lentement aux enfers.

C’est quoi votre job : s’opposer en argumentant ou prophétiser l’apocalypse ?

Nous sommes gérés par des irresponsables, et il faut le dire. Duval n’a pas présenté un budget, il a lancé un cocktail Molotov sur un chaudron. Moi, ça me fait peur.

Plutôt que de mimer la fin du monde, ne serait-il pas plus productif de débattre des améliorations ? Moins de croisades crépusculaires, plus de propositions ?

(Passablement agacé) Mais vous croyez quoi ? J’en ai fait des milliers de propositions ! Un : voter un Right of Information Act. Deux : ériger la méritocratie en priorité nationale, the right man in the right place. Trois : criminaliser la récidive en matière d’abus de bien sociaux. Quatre… (on coupe)

Lorsque vous étiez enfant et que vos parents vous demandaient ce que vous vouliez faire plus tard, vous répondiez : « N’importe quoi, pourvu que je sois chef. »

Comment vous savez ça ? C’est vrai, j’ai toujours eu ce caractère de leader.

A bientôt 62 ans, diriez-vous que vous avez étanché votre soif de leadership ?

Je suis satisfait de mon parcours. Comme chef d’entreprise, comme chef de famille et comme responsable associatif.

Il manque la politique…

(Sourire en coin) Ça viendra. Mais ça ne dépend pas que de moi…

Ça viendra, faut le dire vite. Le shadow finance minister du MMM, c’est Vishnu Lutchmeenaraidoo, pas vous.

Vous êtes voyant, vous ?

Non, j’ai la naïveté de croire votre leader…

(Il se redresse dans son fauteuil) Mettez-vous bien ça dans le crâne : Kee Chong… (on coupe)

C’est un tigre, on sait…

(Il fait mine de ne pas entendre) Kee Chong bosse pour lui et pour sa famille. Depuis quelque temps, il bosse aussi pour le pays. Les titres, il s’en contrefiche. Je fais une différence entre le statut et le rôle. Un député peut avoir un rôle beaucoup plus influent qu’un ministre.

Votre parti vous a-t-il fait sentir que votre appartenance à une communauté minoritaire était un plafond de verre ?

Les plafonds de verre, vous savez ce que j’en fais ? Je les explose à coups de pied. (Il joint le geste à la parole)

Tout doux, tout doux…

Le MMM… (Il cherche ses mots). Le MMM se sent parfois obligé de faire de la realpolitik, histoire de caresser la société dans le sens du poil.

Ce parti n’évolue pas ?

Bien sûr qu’il a évolué ! C’est même pour cela qu’il est dans l’opposition depuis 40 ans.

Votre leader se plaît à flirter avec Navin Ramgoolam, ce qui donne des boutons à pas mal de militants. Et vous ?

(Longue inspiration) Un fl irt, ça passe encore. Une coucherie, en revanche, m’offenserait terriblement. Fode pa met zak dan tant. Apre, nou gayn kari zak gate. Ena indizesion ladan.

Mais encore...

Je pense avoir été suffisamment clair.

Vous avez travaillé avec sir Anerood Jugnauth. A quoi joue-t-il en ce moment ?

(Long silence) C’est un père de famille blessé et un père de la République inquiet.

Démissionnera, démissionnera pas ?

Je ne suis plus son conseiller depuis très longtemps. Tout ce que je peux vous dire, c’est que SAJ est un animal politique et qu’il sera à la hauteur de sa réputation, soyez-en certain. Mon petit doigt me dit que c’est pour bientôt.

Vous en avez trop dit ou pas assez…

Je n’en dirai pas plus.

Vous êtes dans la confidence ?

Pas autant que Navin Ramgoolam.

On sent qu’elle vous agace cette complicité Bérenger-Ramgoolam...

Je vous ai dit qu’une amourette ne me dérangeait pas. Si le MMM oubliait les valeurs du militantisme, s’il passait son temps à koze koze d’alliance au lieu de consolider ses bases, là oui, j’aurais un gros problème.

Ramgoolam prend-il trop de place au MMM ?

On peut le dire comme ça.

Vous devenez petit à petit le whistleblower de l’opposition, la marque de fabrique de Bérenger…

Les rôles sont bien répartis. Lui, il révèle les scandales. Moi, j’attaque les dysfonctionnements de l’Etat. J’ai été fonctionnaire, j’ai fait du business, j’ai gardé un paquet de contacts.

Une partie des informations que vous récoltez file chez le leader ?

Notre cuisine interne ne vous regarde pas.

En cuisine, vous êtes un commis ou chef étoilé ?

Je fais même la plonge quand ça me chante !

 

Entretien réalisé par Fabrice Acquilina