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Kee Chong Li Kwong Wing: « Quand les éléphants font l’amour… »:

27 juin 2010, 05:39

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Parce qu’on ne guérit pas les plaies en les léchant avec une langue de bois, le nouveau député MMM de Beau-Bassin/Petite-Rivière y va gaiement. Entre pétages de plomb et vérités qui dérangent...


Quarante jours se sont écoulés depuis la défaite du 5 mai. Avez-vous toujours les fesses rouges ?

Non, j’ai accepté la défaite, je suis passé à autre chose. Quelque part, elle était prévisible. On espérait mais on connaissait nos faiblesses au MMM. On savait où étaient nos brèches. Et sur certains plans, nous étions mal préparés. Donc cette défaite ne m’a pas tant surpris que ça.

Mardi au Parlement, vous n’êtes pas parvenu à déstabiliser Pravind Jugnauth. Vous vous attendiez à cette maîtrise du ministre des Finances ?

Je n’avais pas l’intention de le déstabiliser mais de le contredire. Je voulais un état des lieux de la situation économique et il a joué francjeu en donnant tous les chiffres, sans rien cacher. Ses techniciens ont bien travaillé les dossiers, il n’a fait que reprendre leurs chiffres. Pravind Jugnauth, ce n’est pas Soodhun. Il est responsable des finances, il a toute une équipe derrière lui. De l’extérieur, les gens le prennent pour un comique. Ils pensent qu’il ne comprend rien à l’économie comme Soodhun ne comprend rien au commerce. Ils se trompent. Ce mec est quand même un leader de parti, il a été vice-Premier ministre, il est capable d’affronter n’importe quelle situation. Pravind Jugnauth est tout sauf un bon à rien.

Il a peint un sombre tableau des perspectives économiques. Qu’est-ce qui vous inquiète le plus ?

Le déficit de la balance des paiements. Les exportations tiennent notre économie et elles vont baisser, ce qui va affecter notre croissance. Dans le même temps, on va continuer à importer et à emprunter toujours plus, forcément que cela m’inquiète ! D’autant que lorsqu’on emprunte, l’argent tarde à être débloqué. Le plus souvent, il est gaspillé ou mal utilisé. Résultat, on ne crée pas de richesse pour rembourser la dette, et c’est encore plus difficile avec une roupie faible.

Que proposez- vous ?

Tout un programme ! A moyen terme, trois priorités : une refonte du système d’éducation, une nouvelle politique de formation et la fin des copinages. Ce pays a besoin de transparence:    les Infinity, les RS Denim, toutes ces combines, y en a assez.

Et à court terme ?

Value for money, accountability et méritocratie.

Des slogans, en somme...

(L’index pointé) Non, non, non! Ce ne sont pas que des slogans ! A la STC, à la CWA, au CEB, si vous mettez des gens compétents, il n’y aura plus autant de gaspillage. Il faut  revoir nos dépenses budgétaires, les rationnaliser. La solution, c’est la rigueur, le value for money. Cela passe par un audit permanent des fi nances publiques, un audit qui implique les usagers, dans tous les secteurs, les transports, l’eau, la santé, etc. Tout doit être fait pour gagner en efficience.

C’est joli comme mot, mais… (Il coupe)

L’idée, c’est d’observer secteur par secteur, y compris dans le privé, ce qui marche et ce qui ne marche pas. Le problème, c’est cette guerre passéiste que se livrent le pouvoir économique et le pouvoir politique. A la fi n, rien ne se fait. La politique énergétique illustre bien ces tensions. Regardez ce qui se passe entre l’Etat et les producteurs indépendants d’électricité, les fameux IPP. Ce vieux conflit, il est temps de le régler, vous ne trouvez pas ? Mais non, on fait comité sur comité et rien ne se passe. Ces deux pouvoirs, l’économique d’un côté, le politique de l’autre, ont un intérêt commun : le statu quo. A quoi ils passent leur temps, hein ? A se chatouiller. « Toi tu es un escroc », « Toi tu es un gourmand », cette guéguerre est pitoyable, elle pénalise le pays en le  condamnant à l’immobilisme. Quand les éléphants font l’amour ou font la guerre, le résultat est le même : la fourmi est piétinée.

De qui parlez-vous, au juste?

Le pouvoir économique, c’est la bourgeoisie historique issue de l’industrie sucrière. En face, on a une bourgeoisie d’Etat. Ces deux groupes se partagent le magot, je te donne ça et en échange tu me laisses tranquille avec Rawat, avec ABC, avec machin... Ce deal-là, c’est nous qui en payons le prix. Au lieu d’avoir un Stimulus Package pour sauver des dinosaures qui de toute façon disparaîtront, mieux vaudrait investir dans des start-up, dans des PME innovantes, dans des coopératives. Au lieu de placer deux milliards
dans un Food Security Fund en demandant aux barons sucriers de céder des terres aux petits copains, mieux vaudrait créer une nouvelle génération d’agriculteurs formés avec l’aide d’experts étrangers.

Le MMM n’a pas assez de déclinologues pour que vous en rajoutiez une couche ?

Je ne suis pas un déclinologue. Le pays continue de se développer parce que la population est résiliente – j’ai bien dis la population, pas l’économie. Si tout le monde mettait le paquet, au-delà des castes, au-delà des races, aujourd’hui nous serions comme Singapour. Malheureusement, nous avons une classe économique qui s’accapare tout. Et une classe politique que cette situation arrange bien parce qu’elle s’en sert comme levier de négociation pour obtenir des avantages personnels.

Quand vous partagez ce point de vue avec quelquesuns de vos amis au pouvoir,que vous répondent-ils ?

(Rires) « On joue le jeu, Kee Chong, tu voudrais qu’on fasse quoi? Les Blancs sont là depuis longtemps, ils contrôlent tout, on fait avec ». Ils détiennent l’appareil d’Etat, alors ils en profitent pour faire cracher de l’argent aux puissants : c’est pragmatique. Mais cette tension est un leurre. En réalité, chacun a besoin de l’autre et conforte la position de
l’autre.

Fermons la parenthèse. Pravind Jugnauth a dit qu’il attendrait le prochain budget pour proposer des mesures. Sera-t-il trop tard ?

Mais bien sûr ! Il aurait dû annoncer des mesures dès maintenant, dans un package. Mais je comprends qu’il ne le fasse pas, il est dans une alliance, il ne peut pas se mettre en porte-à-faux avec son partenaire. Donc forcément, ça va prendre du temps et l’économie va en pâtir.

Tandis qu’avec vous, nous aurions eu évidemment une croissance à deux chiffres...

(Il hurle) Facilement ! 

 Vive l’humilité !

Singapour aura une croissance à deux chiffres cette année, pourquoi pas nous ? Bien sûr que c’est possible ! Avec un ministre des Finances virtuel et un gouverneur de la banque centrale à moitié viré, le pays a tourné à 3 ou 4 % de croissance. Avec le MMM aux commandes, 10 % ce n’est pas du vent. Tellement d’argent dort dans les banques et sous les matelas, par manque de confiance. J’aimerais que les Mauriciens comprennent une  chose : quand vous buvez du lait, ne cherchez pas à connaître la couleur de la vache. Je veux du bon lait, le reste je m’en fous. Avec cette mentalité, Maurice pourrait soulever des montagnes.

Qu’auriez-vous fait de différent de Pravind Jugnauth si vous aviez été aux  commandes?

Pravind Jugnauth n’a rien fait jusqu’à l’heure.

Mais vous, qu’auriez vous fait ?

Je ne peux pas répondre à cette question. J’attends que le ministre des Finances tire le premier. Mais nous avons un grave problème d’efficience.

Des mesures concrètes ?

(Il rit)

Pourquoi fuyez-vous la question ?

(Il réfléchit puis s’emporte) Abolissez- moi toutes les taxes sur les PME, toutes ! Les frais d’enregistrement, les fees, j’ai dit tout !

 Après ?

C’est déjà un gros morceau !

Vous fanfaronnez, faut proposer maintenant.

(Sur un ton militaire) Foutez moi à la porte tous ces nominés politiques incompétents ! Ces têtes-là, dehors j’ai dit ! Dans le secteur public, serrez la vis, je veux une meilleure utilisation des ressources humaines, compris ? Quatrièmement, il faut alléger le fardeau fiscal des petites entreprises et des consommateurs. Si on fait tout cela, on aura fait un grand pas.

Alléger le fardeau, ça veut dire baisser la TVA ?

Oui, de 15 à 10 %.

Ce n’est pas vous qui parliez du déficit budgétaire tout à l’heure ?

Baisser la TVA, ce n’est pas démagogique. Cela permettrait de booster la consommation locale. Et avec les PME affranchies de taxes, vive la renaissance industrielle ! On a  augmenté la TVA pour subventionner l’inefficacité du secteur public et pour faire payer à monsieur Tout-le-monde ce que l’Etat ne réussit pas à obtenir du gros capital. Baisser la TVA, c’est largement jouable.

Qu’avez-vous appris depuis votre élection ?

Que la politique est un milieu extrêmement codifi é. On enferme facilement les gens dans des cases: Soodhun est un bouffon, Bhagwan un bulldozer, Ramgoolam un charmeur, l’autre un voleur, chacun a son (blue) label. (Rires) Mais ce qui m’a le plus étonné, c’est la résistance au changement. Je ne pensais pas que ce serait à ce point, ça m’a déçu. Le Parlement, c’est un cir… (Il s’interrompt) Non, je dois faire attention à ce que je dis. Bref, j’ai vite compris que ce monde-là n’avait pas l’intention de changer le monde. Moi je ne changerai pas pour eux, qu’on ne vienne pas me demander de jeter des peaux de banane, ça ne m’intéresse pas, je laisse ça pour les autres, pour la presse. Si vous ne voulez pas de moi, je tire ma révérence, allez bye, ciao ! Faut pas me demander de faire n’importe quoi. Moi, je ne demande rien à personne, j’ai tout à donner.it

Entretien ralis par Fabrice Acquilina