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Kishore Beegoo : « Les hôteliers vont tuer Air Mauritius »
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Kishore Beegoo : « Les hôteliers vont tuer Air Mauritius »
Pourquoi le Paille-en-queue bat-il de l’aile ?  La hausse du carburant, bien sûr. Et après ? Kishore Beegoo fait le tour du propriétaire. Ses atouts : huit ans de board et une verve de sale gosse. Deux bonnes raisons de le titiller, à la veille de ses vacances au ski. Interview tout schuss.
Etes-vous le prochain président d’Air Mauritius ?
(Direct) Non. Le poste m’a été proposé mais j’ai refusé. Je suis un type trop direct pour un job comme ça. Je tranche dans le vif, Air Mauritius n’aime pas ça. Quand la compagnie sera prête à accepter mes méthodes de travail, alors on en reparlera. Je veux avoir les mains libres.
Il se murmure que vous en faites une histoire d’argent. Il vous faudrait prendre vos distances de Cargotech, où vous gagnez dix fois plus que le chairman d’Air Mauritius…
Dix fois ? Vingt-cinq fois, vous voulez dire ! Comme chief executive de Cargotech []la compagnie de fret qu’il a créée il y a 10 ans, ndlr], je gagne quatre à cinq fois plus que le CEO d’Air Mauritius, alors le chairman… Mais c’est moins une question d’argent que de temps. Dommage que le temps ne s’achète pas, j’aurais été un excellent client. Mais surtout, je le répète, les conditions ne sont pas réunies. Si j’obtiens des garanties pour pouvoir appliquer le rapport Seabury, sans interférence aucune, alors je reverrai peut-être ma position.
Monsieur se fait désirer…
Il existe à Air Mauritius des zones de confort intouchables, c’est ce qui me décourage.
En parlant de confort, la compagnie vous offre combien de billets par an ?
C’est très limité. Pas plus que dans les autres compagnies.
Combien ?
On est dans la norme, je vous dis.
Il est où le champion de la transparence ?
(Il froisse sa moustache entre ses doigts.) Je ne veux pas embarrasser mes amis du board.
Dans une interview en 2009, vous prétendiez pouvoir « révolutionner » Air Mauritius. Trois ans après, la compagnie est quasi ruinée. Elle a eu un pépin, la révolution ?
C’est vrai, je l’ai dit. Et c’était bien parti. A l’époque, j’avais lancé le fameux plan « Reinvent Air Mauritius ». Après quatre mois de travail, le CEO a pris le relais. Manoj Udjodha a fait le contraire de ce qu’il avait dit. En gros, il n’a pas fait grand-chose.
Pour succéder à Kamal Taposeea, le gouvernement aurait maintenant des vues sur Arjoon Suddhoo. Bon choix ?
Je n’en suis pas sûr. Un bon chairman doit savoir à la fois dialoguer et taper du poing sur la table. (Il met ses lunettes teintées et s’adresse au photographe.) On en fait une comme ça ? Ou bien ça fait trop mafieux ?
Suddhoo à éviter, Beegoo pas intéressé, c’est quoi le plan C ? Taposeea doit rester ?
Posez-lui directement la question.
Il n’est pas là, donc c’est à vous que je la pose.
M. Taposeea et moi, nous ne sommes pas très amis. Enfin, lui je ne sais pas, mais moi… Disons pour ne pas le froisser que nous avons quelques divergences de vue.
Le Premier ministre a annoncé la titularisation d’André Viljoen au poste de CEO…
(Il coupe.) C’est une excellente nouvelle ! Je suis un pro-Viljoen, c’est l’homme de la situation. Je vais même vous dire mieux : je suis persuadé qu’il marquera l’histoire de la compagnie.
Quel partenaire stratégique, selon vous, serait le plus judicieux : Air France ou Qatar Airways ?
On ne marie pas une femme qui n’a pas le sou. Je ne vois personne épouser Air Mauritius dans le contexte actuel. Il faut que la compagnie redresse ses finances pour attirer un bon partenaire. Une règle élémentaire dans le business, c’est de ne jamais négocier en position de faiblesse.
N’empêche que la piste Qatar Airways serait bien avancée. Vous avez des infos ?
Aucune.
Votre réputation d’homme bien informé ne serait pas un peu flatteuse ?
Probablement.
On vous dit proche du Premier ministre, ça aussi c’est une fable ?
Les seuls contacts que j’ai avec le Premier ministre, c’est lorsqu’il m’appelle. Je ne prends pas de gants, je lui dis le fond de ma pensée, même si c’est ce qu’il n’a pas envie d’entendre. Je suis probablement l’une des rares personnes à faire ça.
Concrètement, vous faites des soirées cigarillos-Pétrus en amoureux ?
Du tout, je ne le vois jamais en dehors de son bureau. Dernièrement, il a voulu connaître mon point de vue sur les problèmes financiers de la compagnie.
Et…
Je lui ai expliqué que le prix du kérosène et le cours de l’euro nous avaient coûté très cher, mais qu’il n’y avait pas que ça. La mentalité des employés et les dépenses exagérées sont aussi un gros problème. Si Air Mauritius en est là aujourd’hui, c’est en grande partie à cause d’un management défaillant. Une cinquantaine d’incapables creusent la tombe d’Air Mauritius. Ces personnes font partie du top executive management et depuis dix ans, elles cumulent les mauvaises décisions, à l’abri de toutes sanctions.
Pendant ce temps-là, vous et vos amis du board sirotez des cocktails dans le VIP lounge et voyagez à l’oeil. Elle est pas belle, la vie ?
Comprenez bien une chose : le board n’entre pas dans le day to day management ni dans le micro management. Par contre, à chaque fois que le CEO a pointé du doigt des incompétents, le board l’a soutenu.
Vous voulez dire que M. Viljoen est trop mou ?
Ce n’est pas lui qui est en cause, mais les CEO qui l’ont précédé. Viljoen, lui, n’est même pas encore titularisé. C’est un gouvernement transitoire qui n’a pas été élu et qui s’occupe des affaires courantes. Le fait d’être confirmé dans ses fonctions devrait l’aider.
La purge arrive ?
J’espère ! Si Air Mauritius ne se débarrasse pas de ses brebis galeuses, on est mort, ce sera la faillite. On ne peut pas régler les problèmes sans s’occuper des gens, c’est un non-sens. De toute façon, il faudra dégraisser.
La direction dit que non.
La direction manque de courage. C’est bien simple, le plan de redressement prévoit une baisse d’activité de 17 %. Quelques personnes seront recasées, mais grosso modo, 12 à 15 % du personnel devra partir. Air Mauritius compte 2800 employés, ça voudra dire, très vite, 400 de trop.
La compagnie peut-elle tenir longtemps avec un baril à 125 dollars ?
Non. Si cette situation perdure, ce sera la banqueroute : il n’y aura plus de cash pour faire tourner la compagnie. Un milliard de perte une deuxième année consécutive et on ferme boutique.
Quel est le rôle du conseil d’administration dans cette débandade ?
Le board ne peut agir qu’en fonction des informations que le management lui donne. Je siège sur un certain nombre de boards et je peux vous dire qu’à Air Mauritius on bosse.
Connaissez-vous l’actionnaire Awadh Balluck ?
Oui, il doit avoir 500 actions et il parle comme s’il en avait 5 millions.
Peu importe. Selon lui, « les directeurs d’Air Mauritius agissent comme des fonctionnaires ». C’est une piste, non ?
(Agacé) Je n’ai jamais été fonctionnaire. Par contre, lui en est un.
Pourquoi vous sentez-vous visé ?
Du tout. Ce monsieur est un fonctionnaire. La paresse, il connaît certainement mieux que moi.
Air Mauritius croule sous les pertes mais ses administrateurs sont des génies : c’est bien ce que vous dites ?
Ses administrateurs sont des gens qui travaillent et qui fouinent sans arrêt pour démêler le vrai du faux.
Vous voulez dire que le board est parfois manipulé ?
Je dirais plutôt mal renseigné, induit en erreur. Un exemple : en 2010, le management a voulu retourner à Sydney. Cette idée, on nous l’a vendue comme du tout-cuit, ça allait marcher, c’était sûr. Deux ans plus tard, on se retire avec une ardoise de Rs 80 millions.
Toutes les compagnies font des erreurs…
Sauf qu’à Air Mauritius, les erreurs ne sont pas sanctionnées. Vous pouvez faire perdre 50 ou même 100 millions à votre boîte, vous ne risquez rien.
Si vous étiez aux manettes, que feriez-vous en priorité ?
Un, commencer par essayer de recapitaliser l’entreprise. Deux, recadrer ceux qui parlent sans savoir. Trois, renégocier avec les syndicats pour qu’ils redescendent sur terre : travailler moins et gagner plus, c’est impossible. Quatre, le gaspillage : les uniformes, par exemple, nous coûtent une fortune. Cinq, les mentalités. L’autre jour, un passager m’appelle pour un excédent de bagages. Gentiment, je lui fais comprendre qu’il doit payer. Il me répond : « Mais si je téléphone à untel, ce sera gratuit. » D’accord, ce n’est pas ça qui coule Air Mauritius, mais ça lui fait du tort. Des managers, au lieu de travailler, passent leur temps à démontrer qu’ils ont du pouvoir.
« Recadrer ceux qui parlent sans savoir », vous pensez à qui ?
A ces messieurs de l’Association des hôteliers et des restaurateurs, à M. Jean-Jacques Vallet, à M. Herbert Couacaud. Ces gens-là parlent à tort et à travers pour dire n’importe quoi. Dire qu’il manque 300 000 sièges, alors qu’Air Mauritius a 514 000 sièges vides par an, c’est n’importe quoi. Le pire, c’est qu’ils ont des relais à Air Mauritius, à qui ils ont menti plusieurs fois.
Menti à propos de quoi ?
Mi-2011, les hôteliers ont fait croire au gouvernement que le taux de réservation pour la fin de l’année était déjà élevé. A ce rythme, disaient-ils, il faudra impérativement des vols supplémentaires. Air Mauritius s’est exécutée en ajoutant 250 000 sièges d’octobre à décembre. Résultat, on a perdu plus de Rs 300 millions. Merci M. Couacaud ! Merci M. Vallet ! Les hôteliers jouent avec le feu. Ils veulent qu’Air Mauritius casse ses prix pour pouvoir eux, mieux plumer les touristes. Le but est de s’en mettre plein les poches sur le dos de la compagnie nationale. A force de gratter, les hôteliers vont tuer Air Mauritius.
Vendre la compagnie nationale, cette question est-elle taboue ?
Pas pour moi, non. Mais on ne vend pas une compagnie au bord du gouffre. Philippe Lam []le président du Board of Investment, ndlr] a tout compris : la solution, c’est de créer une seconde compagnie aérienne, mais low cost celle-là.
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