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Le Dr Faysal Sulliman : «La désintoxication à la codéine dure de six à huit semaines»
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Le Dr Faysal Sulliman : «La désintoxication à la codéine dure de six à huit semaines»

Le Dr Faysal Sulliman est spécialisé en addiction. Egalement ancien responsable du Centre Méthadone de Beau- Bassin, il est actuellement médecin volontaire au Centre Idrice Goomany.
 
? Pourquoi les jeunes de moins de 18 ans ne sont-ils pas autorisés à suivre le traitement à la méthadone à Maurice ?
Il n’y a pas d’évidence scientifique, de recherche évaluant les effets de la méthadone sur les moins de 16 ans. Dans la pratique, sur les jeunes toxicomanes majeurs, la méthadone ne doit être employée qu’en dernier recours. D’abord, le médecin essaie d’autres méthodes, comme la désintoxication à la codéine (un produit à base d’opiacés) et le traitement symptomatique, avec un gros support psychologique pour les jeunes.
? Parmi vos patients, quel âge ont les plus jeunes et comment sont-ils tombés dans la drogue ?
Personnellement, j’ai traité un adolescent qui avait consommé du cannabis dès neuf ans et un autre qui a commencé à inhaler de la colle vers sept ou huit ans. Certains commencent à fumer des cigarettes dès huit ans, puis passent au cannabis vers 10 ou 11 ans, pour ensuite fumer du brown sugar et même du Subutex. Je rappelle qu’à la base, les comprimés de Subutex ne sont pas fumables. Je suis convaincu qu’un enfant qui ne fume pas de cigarette très jeune ne sera pas tenté par le cannabis.
? Comment se passe concrètement la désintoxication des mineurs que vous suivez au Centre Idrice Goomany ?
Pour les mineurs, la désintoxication médicale à la codéine dure six à huit semaines avec une dose graduellement dégressive. La codéine n’est pas donnée directement aux jeunes les parents doivent contrôler l’administration de ce médicament, notamment pour que les jeunes ne revendent pas la codéine au marché noir. Une fois la dépendance physique traitée par la codéine, c’est primordial que le suivi psychologique prenne le relais.
? Comment se passe ce suivi psychologique et quelles sont ses lacunes ? Le manque de moyens financiers des ONG en est-il une ?
Le suivi psychologique est fait par des animateurs formés sur le tas et un psychologue qui prend le relais du premier médecin, qui a prescrit la codéine. Certains animateurs sont très doués pour le suivi, mais ce serait nécessaire également que chaque ONG dispose d’un psychologue à temps plein. Ce qui n’est pas le cas actuellement au Centre Idrice Goomany, par exemple.
Ce gros manque est dû, en partie, à des contraintes financières, mais pas seulement ! Très peu de psychologues ont une expérience avec les toxicomanes et encore moins sont spécialisés pour le suivi des jeunes patients. A Maurice, il y a beaucoup de jeunes médecins, mais peu de personnes sont intéressées à travailler avec les toxicomanes. Idem pour les psychiatres, les infirmiers…
En plus, dans la toxicomanie, les rechutes sont fréquentes. Pour travailler avec les toxicomanes, on doit ressentir quelque chose au fond de soi que l’on veut donner…
? Est-ce qu’une thérapie résidentielle serait plus profitable qu’un accueil de jour pour les mineurs toxicomanes ?
Actuellement, à Maurice, les ONG font ce qu’elles peuvent en l’absence d’un centre résidentiel dédié aux mineurs. A Idrice Goomany, j’exige que la famille soit prête à fournir un accompagnement aux patients, mais ce n’est pas facile de former les parents. Et puis, ceux-ci doivent aussi aller travailler et ne peuvent pas apporter un support à temps plein. Certaines familles enferment l’enfant à clé dans sa chambre, mais je ne conseille pas cette forme d’emprisonnement ! L’idéal serait un centre réservé aux jeunes mineurs toxicomanes avec des animateurs encadrants et un psychologue chargé des différentes thérapies de groupe et individuelles.
? En l’absence de ce centre résidentiel pour les mineurs, quels sont les résultats du suivi en «day care» ?
A Idrice Goomany, nous collectons des données mais nous n’avons pas les moyens de faire des études scientifiques. Toutefois, ce serait intéressant de le faire. Encore une fois, les moyens financiers, mais surtout humains, manquent. Peu de personnes ont la vocation pour travailler dans les ONG.
? Est-ce que le traitement des addictions est remboursé par les assurances maladie, si des parents font soigner leurs enfants dans le privé ?
Non, pas vraiment, il faudrait travailler sur la prise en charge financière des addictions et mener un plaidoyer pour convaincre que la toxicomanie est une maladie, une maladie traitable.
? Est-ce qu’il y a d’autres facteurs qui empêchent l’accès au traitement ?
Par exemple, les parents ont du mal à accompagner leur enfant dans un centre de traitement. Ils ne veulent pas être vus comme fréquentant ces milieux-là. Les tabous entourant la toxicomanie sont une véritable barrière aux soins. La toxicomanie est une maladie multidimensionnelle, il faut traiter le patient sous différentes facettes, mais aussi sa famille et enfin tous les citoyens qui l’entourent. Pour améliorer le taux de réinsertion sociale des patients, il faudra traiter également le regard que la société porte sur les toxicomanes !
Propos recueillis par Marie-Laure Ziss-Phokeer
 
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