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Le jeu des trônes
Si gouverner c’est prévoir, régner nécessite une aptitude complémentaire : celle d’exceller dans le jeu des trônes. Navin Ramgoolam peaufine donc sa stratégie de jeu. Car gagner la partie contribuera de manière décisive à le mener vers un troisième mandat consécutif. Ce qui lui permettrait alors de dépasser la longévité politique de son père, sir Seewoosagur, et celle de sir Anerood Jugnauth.
Paradoxalement, c’est le trône laissé vacant par la démission de SAJ qui devrait être le point de départ de toute la série de manœuvres de Ramgoolam. La présidente de la République par intérim, Monique Ohsan Bellepeau, a toutes les qualités requises pour occuper la State House. Elle est une fidèle du Parti travailliste (PTr), issue d’une famille rouge. Bellepeau peut également être un symbole : celui de l’accession des femmes aux plus hautes responsabilités étatiques. Mais, il n’est pas dit que le Premier ministre cède à la facilité de l’installer à Réduit. C’est que le trône de la présidence a un prétendant tout aussi – sinon davantage – légitime : Kailash Purryag.
L’actuel speaker de l’Assemblée nationale cumule les bons points. Il jouit d’une relation quasi fraternelle avec Ramgoolam, qui a le même âge que lui. Par ailleurs, Purryag constitue un choix de « casting » idéal pour remplacer SAJ selon la tradition politique bien ancrée qui veut qu’on ne remplace pas une pomme par une orange. Enfin, et ce n’est pas un détail, Kailash Purryag fêtera, l’an prochain, ses 40 ans de présence au PTr. Une fi délité qui mérite reconnaissance…et récompense.
Du coup, c’est le trône du speaker qui devra être l’objet de l’attention de Ramgoolam. Du haut de ses 37 ans, Yatin Varma n’apparaît pas comme le candidat idéal pour reprendre ce poste. Belliqueux, il a, par occasion, oublié le respect dû à sa fonction de parlementaire. Tantôt en s’en prenant à des membres de l’opposition, tantôt en invectivant son propre colistier, dans un langage que l’on pourrait volontiers qualifier de « unparliamentary ».
Sauf que Varma a pris de la hauteur récemment. Il a gagné ses galons d’homme de dialogue en présentant au Parlement puis en faisant voter l’amendement au code pénal autorisant les interruptions de grossesse dans certains cas. Depuis, l’Attorney General (AG) arbore l’aura d’un homme progressiste. De prime abord, c’est cette image positive qui pourrait légitimer la candidature de Varma au poste de speaker. Mais, il est évident qu’une deuxième raison peut jouer. L’AG est bien né et jouit d’une bonne presse, deux attributs qui peuvent, à terme, faire de lui un rival de Ramgoolam. Autant donc le confiner au perchoir de l’Assemblée.
Restera alors un dernier trône à pourvoir. Celui de l’AG, un poste hautement stratégique dans cette partie du jeu. Des dizaines de non-élus travaillistes et PMSD, tous juristes, ont le profil requis pour accéder à la fonction. Or, depuis le 1er mai, un candidat semble se détacher du lot. C’est Ashok Jugnauth. En le faisant monter sur la scène au meeting PTr/ PMSD, il y a deux mois, Ramgoolam l’a politiquement absous du « bribery » électoral pour lequel Jugnauth a été condamné. Le nouveau chapitre de la collaboration entre les deux hommes peut donc s’ouvrir.
Il peut s’avérer très fructueux pour Ramgoolam. Nommer Ashok Jugnauth au gouvernement aura, en effet, un triple avantage pour le Premier ministre. D’abord, empêcher la réunification de la famille Jugnauth. Ensuite, priver le MMM d’une possibilité de repêcher Ashok Jugnauth et de le présenter comme potentiel Premier ministre si jamais une sortie en solo, lors des prochaines élections générales, redevient envisageable par Bérenger.
Enfin, l’ancien député de Moka/Quartier- Militaire constitue la locomotive de choix pour le PTr dans cette circonscription. Le tandem Ashok Jugnauth/Suren Dayal n’aurait aucun mal à y faire élire un troisième candidat PTr. Ce qui serait synonyme d’un désaveu politique cinglant pour Pravind Jugnauth, qui prétend avoir fait de cette circonscription son nouveau fief électoral.
Navin Ramgoolam serait un grand adepte d’un traité de politique qui détaille, en 48 enseignements, les différentes manières d’exercer le pouvoir. L’une de ces leçons lance une injonction au lecteur : «Ne vous fiez pas à vos amis, utilisez vos ennemis.» Le Premier ministre semble avoir retenu ce précepte.
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