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Liliane Berthelot : « Rodrigues peut accéder à l’indépendance, si… »

18 février 2010, 11:33

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Liliane Berthelot, vous avez écrit «Une île affranchie» un ouvrage qui résume bien les grandes étapes de l’histoire de Rodrigues, colonisée par les Anglais à partir de 1809 en passant par l’autonomie en 2002 jusqu''''à l’arrivée du Mouvement Rodriguais. Qu’est-ce qui a motivé la réalisation de ce livre ?

Ce livre a été commandité par l’Assemblée régionale de Rodrigues en 2005 plus précisément par l’Organisation du Peuple Rodriguais (OPR) qui était au pouvoir à cette époque. L’objectif était de faire découvrir l’histoire de l’île à beaucoup de jeunes et d’étudiants qui ne la connaissent pas. Un ouvrage de référence pour les écoles et les touristes. Je me mets donc au travail et je termine le livre en 2006 avant de me rendre dans l’île pour le lancement. Le livre est préfacé par Gaëtan Jhabeemissur le commissaire de l’Education, enchanté de lancer le livre.

Et on n’entend plus parler du livre et ce n’est que deux plus tard qu’il a été lancé. Qu’estce qui s’est passé. La censure ?

Non, je n’irai pas jusque là . Car la censure, c’est d’exercer un contrôle ou d’interdire tout ou une partie d’un texte ou d’un film.

Comment avezvous vécu ces deux ans d’attente. Vous avez regretté d’avoir mis tout ce temps au service de Rodrigues ?

Je n’ai jamais été dans une telle situation après avoir écrit 24 livres. C’était chagrinant, et frustrant car j’ai pris beaucoup de temps pour remettre à jour des statistiques pendant ces deux ans. C’était angoissant pour ne pas dire frustrant parce que c’est un livre complètement apolitique. Je ne comprendrais jamais pourquoi on n’a pas publié le livre. J’ai téléphoné, envoyé des courriers électroniques au Chef commissaire Johnson Roussety pour en connaître les raisons. Il ne m’a pas répondu. J’en ai déduit qu’il n’a pas voulu lancer ce livre parce qu’il a été commandité par ses adversaires politiques, même s’il ne me l’a pas dit carrément et c’est peut-être par principe qu’il réagit de cette manière.

Qu’est-ce qui s’est passé après ?

Il semblerait que le Chef commmisaire a changé d’avis. Il s’est fait excuser très vaguement après. J’ai été invité à Rodrigues en octobre 2007 pour la fête de l’autonomie où des Rodriguais ont été récompensés. C’était vraiment une grande fête. Le Chef commissaire a fait mes éloges de même que Gaëtan Jhabeemissar et feu James Burty David qui s’y trouvait également. Le Chef commissaire a même cité un extrait de mon livre. Ce qui prouve qu’il l’a lu.

En parcourant le livre, on découvre des informations détaillées et inédites.

Effectivement, j’ai puisé dans les livres dAlfred North-Coombes qui a beaucoup écrit sur l’histoire de Rodrigues, dans les deux livres que j’ai moi-même écrits : Le Sel et la Lumière et l’autre Petite Mascareigne qui traite de l’esclavage à Rodrigues, dans les archives paroissiales à Maurice, les archives diocésaines à Rodrigues et surtout dans la presse locale, sans oublier les différentes étapes qui ont mené à l’autonomie de Rodrigues.

Vous consacrez une grande place aux missionnaires catholiques dans l’île ?

Comment passer sous silence le dévouement des premiers prêtres catholiques qui montaient sur des bourriques pour atteindre les sommets des montagnes. Une chose est sûre : si les missionnaires catholiques n’étaient pas làbas, l’île Rodrigues ne serait pas devenue pas ce qu’elle est aujourd’hui. Leur présence a beaucoup marqué l’histoire et la vie des Rodriguais. Ils l’ont prouvé en décembre 1848 quand ils ont exprimé le désir d’être visités par un prêtre catholique même une ou deux fois l’an durant le chargement et le déchargement de la navette qui était de service à cette époque, pour se marier civilement par un prêtre catholique et non par un commissaire civil ou un magistrat à cette époque.

Et pour comprendre tout cela, il faut aussi se référer au rôle joué par le père Ronald Gandy en 1941 lorsqu’il arriva dans l’île. Il formait des pupils teachers qui, après 16 ans, devenaient des students teachers pour aider à promouvoir l’éducation.

Devons-nous en déduire que les Rodriguais avaient déjà commencé à revendiquer leurs droits ? En 1915, 79 d’entre eux avaient soumis un mémoire au roi George V pour exprimer leur déception de n’avoir pas été inclus en tant que «district électoral» dans la constitution en 1885 ?

C’était un acte héroîque. Cette démarche montrait clairement qu’ils voulaient être reconnus tels qu’ils étaient, en quête de leur identité. Il faut aussi rappeler que Rodrigues a été complètement négligé par les Britanniques à cette époque.

Et cette demande, il faut le rappeler, avait été refusée par le roi George V. Il leur avait fait comprendre que c’était Maurice qui dirigeait l’île.

Croyez-vous que Rodrigues aurait atteint un développpement plus poussé si le conseil qui avait été établi le 12 mars 1992, jour de la proclamation de la République, avait poursuivi son travail après 1995 pour la réalisation de certains projets dans l’île ?

Autant que je sache, l’OPR de Serge Clair et Antoinette Prudence qui était à la tête de Front de l’Autonmie de Rodrigues (FAR) ont joué un rôle primordial dans la conscientisation pour l’autonomie de Rodrigues. Ils avaient milité pour que l’autonomie devienne réalité. Car c’était une île très négligée. Pour revenir à votre question, je dirai que l’île Rodrigues se serait beaucoup développée si l’argent qui leur avait été alloué dans leur budget avait été puisé pour la mise en place des infrastructures routières, améliorer la distribution d’eau et relancer l’agriculture.

l y avait perception que des Mauriciens regardaient de haut les Rodriguais. Si c’était vrai, qu’en est-il aujourd’hui?

S’il y avait une certaine froideur de la part des Rodriguais, c’était certainement pour des fonctionnaires qui les traitaient de manière humiliante. Et aujourd’hui même s’ils ne sont pas totalement autonomes à 100 %, ils le sont psychologiquement. Ils se sentent beaucoup mieux. Il ne faut surtout pas généraliser car la plupart des Mauriciens que j’ai rencontrés dans l’île, m’ont exprimé leur joie lorsqu’ils découvrent la générosité des Rodriguais.

Aviez-pensé qu’un jour Serge Clair, qui a passé plus de 25 ans au pouvoir, allait être remplacé par un autre parti: Le Mouvement Rodriguais, au pouvoir aujourd’hui.

Je crois que, quel qu’il soit, un Premier ministre ou un Chef commissaire reste trop longtemps à la tête d’un pays, là je ne parle pas de Serge Clair en particulier. Il y a une espèce d’usure. Le peuple a envie de changer même s’il ne sait pas si son successeur fera mieux ou pire. Que nous le voulions ou non, l’être humain aime le changement.

Il n’ y pas longtemps, Johnson Roussety, le Chef commissaire, a suscité tout un débat lorsqu’il a parlé de l’indépendance de Rodrigues...

Tout comme Maurice qui dépendait du Fonds Monétaire International (FMI) et des pays amis avant l’indépendance, je suis convaincue que l’île Rodrigues peut, elle aussi, accéder au statut d’indépendance si elle bénéficie des mêmes conditions appliquées à Maurice.

Rodrigues a-t-elle les ressources nécessaires pour réaliser une telle ambition ?

N’oubliez que nous aussi, à Maurice, nous n’avions pas autant de ressources ni d’industries. Il faut les aider à aller dans cette direction et faire venir des industriels dans l’île car les industries vous conviendrez certainement avec moi, ne poussent pas de manière naturelle. Pour assurer une plus grande indépendance, les avions qui viennent d’Afrique du Sud, d’Australie doivent atterrir à Plaine-Corail et non à Plaisance, comme c’est le cas actuellement. Ce serait une mesure qui aiderait beaucoup à aller dans cette voie.

Que pensez-vous de la politique à Rodrigues.

Je le dis haut et fort, je suis pour un parti unique à Rodrigues car le MR et l’OPR, à bien regarder, ont les mêmes objectifs. Il faut cesser avec ces guégeurres qui parfois n’apportent pas grand-chose dans l’île.

Si je vous demandais votre analyse de la situation à Rodrigues...

Je constate qu’il y a un grand développement des infrastructures à Port-Mathurin comparé au reste du pays où un grand nombre d’habitants vivent dans une extrême pauvreté, où il n’existe pas de possibilités d’emploi. Cet état ce choses, selon moi, s’explique par une mauvaise répartition de la richesse dans l’île.

Que faut-il faire pour réduire cet écart ?

Il faut comme je le dis plus haut, leur donner les moyens d’améliorer les infrastructures routières, l’agriculture, donner un transport à ces enfants qui marchent encore sur de longues distances.

Propos recueillis par
Jocelyn ROSE