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Maya Hanoomanjee : « Un jour sonnera l’heure de la vengeance »

15 avril 2013, 11:16

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Maya Hanoomanjee : « Un jour sonnera l’heure de la vengeance »

Une « Dame de fer » s’éteint, une autre renaît. Maya Hanoomanjee part pour Londres ce mercredi 17 avril, jour des funérailles de Margaret Thatcher. Hasard ou coïncidence ?

 

Mardi, en pleine séance au Parlement, un messager se présente à vous. Il vous murmure quelques mots et vous lui emboîtez le pas. Racontez la suite…

 

Il me dit que Nando Bodha m’attend dans le couloir. Nando ? Je trouve ça bizarre, il est censé être dans l’hémicycle. Mais non, il n’y est pas. Là, je me dis : « Aïe, qu’est-ce que j’ai encore fait ? » Je sors, Nando m’attend avec un grand sourire. Il me tend le communiqué du directeur des poursuites publiques et me dit : « Vous êtes blanchie, les charges ont été rayées ». C’est comme ça que j’ai appris la nouvelle.

 

Entendons-nous bien : le DPP n’a pas dit que vous étiez innocente.

 

Non, seul un juge a ce pouvoir.

 

Il a dit que les preuves réunies contre vous dans l’affaire MedPoint étaient insuffi santes pour justifier des poursuites pour corruption.

 

Nous sommes d’accord.

 

Alors, heureuse ?

 

Heureuse et soulagée. Depuis mon arrestation [le 22 juillet 2011, ndlr], je vivais avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Maintenant que cette affaire est terminée, je peux de nouveau envisager l’avenir avec sérénité.

 

Et vous l’envisagez comment ?

 

Comme ministre de la

Santé.

 

Lormus Bundhoo doit faire ses valises ?

 

Non, je ne suis pas pressée. J’attendrai les prochaines élections, je serai élue, puis nommée ministre.

 

Ces vingt derniers mois, comment les avez-vous vécus ?

 

Comme une épreuve dont je sors grandie. J’étais une femme forte, je le suis encore plus. J’avais une peau de crocodile, j’ai maintenant une peau de dinosaure.

 

Rancunière ?

 

Très rancunière. Un jour sonnera l’heure de la vengeance...

 

Qui est censé trembler, là ?

 

Je ne vous le dirai pas.

 

La commission anticorruption a fait de vous une pionnière : jamais une ministre mauricienne n’avait été arrêtée dans l’exercice de ses fonctions...

 

L’Icac m’a fait vivre un calvaire. Pas seulement à moi, à mon mari et à mes enfants aussi. Ma fille aînée a ressenti un tel dégoût qu’elle a préféré quitter le pays. J’ai passé trente-trois ans dans la fonction publique sans la moindre tache et du jour au lendemain, je suis traitée comme une vulgaire criminelle. Mon honnêteté et mon intégrité sont mises en cause. On m’arrête.

On me confisque mon passeport. Je ne peux plus voyager sans venir raconter ma vie dans le box des accusés. On m’humilie (la voix tremblotante). J’ai revu le film de mon arrestation sur YouTube, j’en ai eu les larmes aux yeux. Une souffrance.

 

Votre arrestation, c’était le pire moment ?

 

Mettez-vous à ma place : l’Icac m’arrête sans me poser la moindre question. Ils me mettent à l’arrière d’une voiture avec un policier de chaque côté. J’arrive en cour, il y a du monde partout, sur le parvis, dans la rue... Je n’ai pas de mot pour dire ce que j’ai ressenti. Il faut le vivre pour comprendre.

 

Cette histoire a-t-elle tamisé vos amitiés ?

 

Elle m’a aidée à faire le tri entre mes amis et mes ennemis, oui. Après ma démission, des gens dont j’étais très proche m’ont laissé tomber kouma enn lapobanan. J’en garde beaucoup d’amertume...

 

Des noms ?

 

Inutile, ils se reconnaîtront.

 

En passant, le DPP est-il fait du même bois que vous ?

 

C’est-à-dire ?

 

Zame linn fail ?

 

Ne comptez pas sur moi pour faire des commentaires sur le DPP.

 

Pourquoi a-t-il sanctionné trois fonctionnaires du ministère de la Santé tout en épargnant leur chef ?

 

Ça n’a rien à voir.

 

Un peu quand même : MM. Dabidin, Hauroo et Utchanah [contre qui le DPP a recommandé des mesures disciplinaires, ndlr] travaillaient sous votre responsabilité, n’est-ce pas ?

 

(Elle élève la voix) Mais pas du tout ! Ce n’est pas comme ça que l’administration fonctionne.

 

Vous n’étiez pas leur supérieure ?

 

Si, mais… (on coupe)

 

Donc il n’est pas complétement stupide de penser qu’ils aient pu agir selon vos directives…

 

Jamais de la vie, pas pour un appel d’offres ! Un fonctionnaire qui examine un tender ne reçoit d’instructions de personne. C’est la loi, c’est dans la Procurement Act, enfin ! Un ministre n’a pas le droit de venir mettre son nez là-dedans, et encore moins de dire à un fonctionnaire d’avantager tel ou tel soumissionnaire. Je n’ai jamais fait une chose pareille.

 

Qu’est-ce que vous avez fait, alors, pour vous mettre dans un tel pétrin ? La faute à qui ?

 

Demandez à l’Icac. Avant de m’arrêter, ils n’ont pas jugé utile d’entendre ma défense. Ils n’ont pas voulu savoir ce que j’avais à dire. Ça, je l’ai encore en travers de la gorge.

 

A quelle question auriez-vous aimé répondre ?

« Quelle a été votre implication dans le processus d’appel d’offres ? » S’ils m’avaient posé juste cette question, je leur aurais expliqué ce que je viens de vous dire.

 

L’Icac est donc responsable de tous vos maux ?

 

Non. Mo ti enn move plas enn move ler. Si j’avais étéministre de l’Egalité desgenres, rien de tout cela neserait arrivé. J’ai payé le prixde ma compétence.

 

C’est évident maintenant que vous le dites : flashée pour excès de compétence !

 

(Agacée) Ecoutez, c’est la première fois qu’une femme héritait d’un si gros ministère. Si j’avais été moins compétente, j’aurais eu un ministère moins important et tout cela ne serait pas arrivé. Mais voilà, j’ai été nommée à la Santé. J’étais au mauvais endroit au mauvais moment. L’appel d’offres avait été taillé sur mesure pour favoriser le Dr Malhotra. Il fallait un bouc-émissaire, j’ai été celle qui a été sacrifiée.

 

Sacrifiée par qui ?

 

Je garde ça pour moi.

 

Vous avez beaucoup de secrets sur l’affaire Med-Point ?

 

Tellement de secrets... Un jour, j’écrirai peut-être un livre. Mais tant que l’affaire est subjudice je préfère me taire.

 

Juste un petit chapitre, comme ça, pour s’échauffer…

 

Pravind n’a pas encore été blanchi, MM. Jeebodhun et Bissessar auront un procès et trois officiers passeront devant un comité disciplinaire : je ne peux pas tout déballer maintenant.

 

Ce déballage nous apprendra quoi ?

 

Par exemple, comment le prix de la clinique MedPoint est passé de Rs 75 millions à Rs 144 millions. Je vous promets que vous serez déconcerté. Quand vous saurez, vous direz : « C’était aussi simple que ça ! » L’affaire MedPoint est une tempête dans un verre d’eau.

 

Vous bluffez.

 

Je ne bluffe pas.

 

Qui protégez-vous en gardant le silence ?

 

La bonne marche de la justice.

 

Dans cette affaire, vous avez non seulement perdu votre poste de ministre, mais aussi votre réputation de femme intègre. Comment « réparer » tout ça ?

 

Il n’y a rien à réparer. Mes mandants ont toujours cru en mon innocence. Grâce à eux, j’ai continué à marcher la tête haute. Cette semaine, des gens sont venus me voir avec des larmes de joie. « Madam, tou letan nouti ena konfians an ou »…

 

Que vous le vouliez ou non, il y aura toujours un doute sur votre implication ou non dans l’affaire MedPoint…

 

Chez quelques mesquins, oui, c’est possible. Tous les autres savent que ma carrière parle pour moi. Je ne suis pas n’importe quel politicien, les gens de ma circonscription [Savanne/Rivière-Noire, ndlr] le savent. Depuis mardi, les appels et les SMS n’arrêtent pas.

 

Vous ne pensez pas que cette affaire portera un sale coup à votre carrière ?

 

On en reparlera en 2015 quand je redeviendrai ministre de la Santé.

 

Une ministre MSM ?

 

Sauf si mon parti me lâche. S’il ne me donne pas de ticket, là, j’aurai un choix à faire : soit rejoindre un autre parti, soit abandonner la politique. Or je suis une femme déterminée.

 

Déterminée et orgueilleuse.

 

Vous pensez que c’est de l’orgueil ?

 

Ça y ressemble. Etes-vous heureuse au MSM ?

 

Je suis heureuse d’avoir été blanchie.

 

Toujours aussi indésirable aux yeux du Remake 2000 ?

 

Non, c’est de l’histoire ancienne. De toute façon, je me fiche d’être désirable ou pas. Je fais mon travail, j’ai un objectif et je l’atteindrai. Au début, c’est vrai, Paul Bérenger ne voulait pas entendre parler de ma candidature. Aujourd’hui, il n’y a plus de problème.

 

Que s’est-il passé ?

 

Quand on me marche sur les pieds, je crie. Quand j’ai senti que le MSM pouvait me mettre à l’écart, j’ai mis les points sur les « i » avec Pravind et il a compris.

 

Que lui avez-vous dit ?

 

« Que tu le veuilles ou non, je serai candidate en 2015 ». Même en indépendante, s’il le faut.

 

Même au Parti travailliste ?

 

Mon objectif est d’être la plus compétitive possible pour défendre les intérêts de ma circonscription. Vous voyez ce que je veux dire ?

 

Très bien. Navin Ramgoolam vous a-t-il fait une offre ?

 

Non.

 

Mais c’est presque officiel : après avoir été blanchie, vous serez « rougie » ?

 

Non ! J’ai été blanchie point à la ligne. Ces derniers mois, si vous saviez le nombre de fois où l’on m’a dit : « Pourquoi tu ne vas pas de l’autre côté ? Ton cas sera rayé ». Jamais de la vie, je suis une femme de principe. J’ai tenu à me battre pour mon innocence avec l’étiquette MSM. C’est fait, je suis heureuse, le travail continue, je vais affronter les élections pour redevenir ministre et je n’ai pas l’intention de quitter le MSM. Après, on vit dans un pays de rumeurs…

 

La rumeur vous porte pâle pour le 1er-Mai...

 

Je serai à Londres pour voir ma fille qui est sur le point d’accoucher.

 

Fille ou garçon ?

 

C’est un secret.

 

Non, l’enfant que vous vous apprêtez à faire dans le dos de Pravind Jugnauth…

 

(Rires) Je n’ai pas l’intention de lui faire un enfant dans le dos.

 

Votre leader peut dormir tranquille, c’est sûr ?

 

Je ne sais pas ce qu’il pense de moi. Je ne sais pas ce que Pravind Jugnauth a dans sa tête...

 

Et vous, qu’y a-t-il dans votre tête à part votre ex-futur ministère ?

 

De l’impatience. J’ai hâte de faire la connaissance de mon deuxième petit-enfant. Je pars mercredi le coeur léger. Avant d’être une politicienne, je suis une mère.

 

Entretien réalisé par Fabrice Acquilina