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Michel Legris, un homme de son temps
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Michel Legris, un homme de son temps
Pa met malad ar mwa.» Nous l’avons un peu froissé en demandant à Michel Legris s’il souffrait du diabète. Pourtant, c’est avec sollicitude, que nous prenons de ses nouvelles. Le 11 août – hier – Michel Legris a fêté ses 80 ans.
Réponse : un «non» catégorique. Dans le fond, Thérèse son épouse, qui ne perd pas une miette de la conversation, lance, «ena enn ti tras». Mais Ton Michel secoue la tête. Energiquement. Confidence pour confidence, c’est lui qui va chercher sa «bal diri», son «balon gaz» à vélo. «Nimero de (NdlR : sa femme) pa konn tousala, Kapitenn mem ki al tras sa.»
A 80 ans, Michel Legris est un homme de son temps. Avec un regard à la fois lucide, humoristique et acerbe sur le monde. Mémoire des noms, des dates, rien n’a bougé, chez cette figure incontournable du séga.
Tournant sans cesse autour de lui : Adriano, son 19e petit-fils, âgé de cinq ans. Vous êtes arrière-grand-père aussi ? Si la question va de soi, Michel Legris explique : «Pena aryer.» Sa théorie : c’est parce que ses fils sont nés en premier, si ses filles étaient arrivées avant, «be sa monn depass aryer».
Ironiquement, Michel Legris nous recommandera de lire plusieurs petits livres. L’un d’eux s’intitule Rémission, l’autre, Refize. Dépité, il reconnaît que personne ne veut plus lire ces livres, sa façon à lui de nous dire que plus personne n’écoute les paroles de sagesse. Paroles d’un homme qui, à cause des circonstances, ne sait ni lire ni écrire, car il n’a pas dépassé le ti-bilo. Un homme dont l’une des fiertés est de vous réciter Le paresseux, fable qu’il a apprise par coeur, «kan []li] ti dan fers».
Et que 75 ans plus tard, il vous récite avec la même fraîcheur qu’un enfant. La salle verte qui a abrité sa fête d’anniversaire hier soir, c’est lui qui l’a montée patiemment. Sagesse de l’homme de 80 ans : il allait avoir la marquise «kado», mais il lui aurait fallu louer les tringles et payer Rs 500 pour le transport des matériaux. «Lerla mo fer mo lespri travay, mil fwa mo al aste impe tring, mo mont sa, li res pou mwa.»
Quand on lui demande ce qu’il pense du rythme de la vie actuelle, Michel Legris nous prend de loin. «Prezidan ti fek dan mo laniverser swasant-an.» Michel Legris s’explique : à l’époque, le dignitaire n’était pas encore à Réduit et était un élu de Piton- Rivière du Rempart (Michel Legris vit à Plaine des Roches, Rivière du Rempart). «Sorti 60 vinn 80, komie li fer ou ? Je n’ai pas vu le temps passer. Lontan ki lane ti tarde, aster la sa pass vit vit.»
Parler du temps présent, c’est n’oublier ni le passé, ni les chers disparus. Et en la matière, Michel Legris est expert. Lui qui nous raconte sans rire qu’il tient des conversations entières avec son papa, quand il lui rend visite au cimetière. «Mo papa sa, mo pa pou koz ar li ? Selman, mwa mo pou tande ki li dir, ou pa pou tande.» Voilà qui est logique.
Que se disent-ils ? «Mo papa dir mwa Michel, mo res bet kouma sa lane la ena enn kalite malad ki zame dan mo lavi mo fi nn tande.» Sauf que, quand le ségatier enchaîne avec les «fam gulagula », là nous avouons que nous avons du mal à suivre.
Sans rire de notre ignorance, il nous explique avec une infinie patience : «Zot pa move sa bann fam la. Zot ti vann zot, samem zot travay. Me ou pa ti tann koz sida. Aster la, fode zom met impe frein, fode zot pa gourma.»
Michel Legris, à 80 ans, parle de sensibilisation au VIH/sida. Sans complexe. «Ena malad ladan», chantonne-t-il.
Aline GROËME-HARMON
(Source : l’express & moi)
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