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Montée de la criminalité

7 janvier 2010, 16:42

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Ibrahim Koodoruth : «La justice a perdu sa force de dissuasion»

Le 1er janvier 2010, l’île Maurice s’est réveillée groggy en apprenant le meurtre d’un jeune homme à Quatre-Bornes. Et depuis, la rubrique des faits divers rapporte d’autres  cas du même genre.

Pourtant, nous ne sommes qu’au début  de la nouvelle année. Que nous réserve donc 2010 ?.

Devrons-nous craindre le pire ? Le sociologue et chargé de cours à l’Université de Maurice, Ibrahim Koodoruth, dans une interview accordée à lexpress.mu, ce mercredi 6 janvier, nous donne sa lecture de la situation.

QU- Qu’est-ce qui explique, selon vous, cette montée de violence?

IK- Les valeurs morales sont en pleine mutation. Tuer une personne est facile, et cela devient un acte banal. Il y a également la disparition des contraintes morales. L’action de faire du tort à l’autre est devenu banal. La conscience de faire du mal diminue dans le cœur des hommes et des femmes de notre temps.

La deuxième explication vient de la loi. Aujourd’hui, la loi ne joue plus son rôle de garde-fou. Les criminels perçoivent la loi comme une porte de sortie. Etre arrêté ne fait plus peur. Nous avons entendu récemment des menaces proférées en direction de l’inspecteur Tuyau : «J’ai des ministres dans la main». L’essentiel pour les récidivistes, c’est d’avoir de bons contacts : avocats, politiciens,…etc. La situation est telle que nous pouvons jouer de la loi. C’est tout un système qui ne fonctionne plus.

Les institutions s’écroulent, il n’existe plus de régulateurs dans notre société. Le crime est commis impunément. J’ai en tête de nombreux cas de crimes et de meurtres qui trainent en justice. Des procès qui durent des années et, pendant ce temps, le coupable est en liberté en attendant le verdict, où très probablement il y aura un non lieu, ou il sera innocenté. Les institutions pénitentiaire et judiciaire s’affaiblissent. Nous assistons à un effritement des institutions…surtout qu’il s’agit d’institutions  qui devraient nous assurer une certaine sécurité.

QU- Les institutions religieuses sont-elles dégagées de toute responsabilité ?

IK- Les institutions religieuses à Maurice ne jouent plus leur rôle. Elles ont également leur part de responsabilité dans cette montée de violence. Les religions des livres sacrés ont perdu peu à peu le sens de leur responsabilité dans la société. Elles ne fonctionnent plus pour guider les croyants sur le droit chemin. Elles s’égarent et n’arrivent plus à toucher le cœur des gens.

Si la situation s’est détériorée, c’est tout simplement parce que les institutions religieuses sont dépassées. Elles utilisent des méthodes dépassées et n’arrivent pas à communiquer leur message de paix et d’amour.

L’utilisation de la peur pour faire changer les gens, par exemple, est un procédé archaïque dans notre société aujourd’hui. Les institutions religieuses n’invitent plus à l’amour, mais elles font peur et restent hors du temps présent. Pour beaucoup de nos contemporains, la religion n’est plus porteuse d’espoir, mais devient une instance de condamnation.

QU- Comment les institutions religieuses en sont-elles arrivées là ?

IK- Les gens perdent actuellement confiance en la religion. Et pour cause, les institutions ne sont plus crédibles. Elles n’inspirent plus confiance puisque, pour la plupart d’entre nous, la religion ne fait pas bon ménage avec la politique. Leur message ne passe plus puisque les gens veulent que la politique soit la prérogative des politiciens, non pas celle des religieux. Selon moi, les religieux doivent se consacrer à l’étude de textes religieux. Que voyons-nous aujourd’hui ?  Les religieux se servent de la religion pour faire de la politique. C’est une erreur !

QU- Que préconisez-vous ?

IK – Les valeurs morales changeront avec le temps. Nous n’avons aucun pouvoir pour faire accélérer les choses de ce côté. Toutefois, l’enseignement de la morale auprès des jeunes doit être beaucoup plus assidu.

Ce que nous pouvons améliorer c’est le fonctionnement de nos institutions. Par exemple, la justice doit prévoir un «fast track» pour régler les affaires graves. La population doit comprendre que quand un crime est commis, la justice est là pour réprimander sévèrement ce geste. Plus une affaire traine en justice, plus les gens oublient les raisons du procès. Les hommes de loi devraient prendre conscience de l’aspect de moralité en jeu dans les cas de viols, meurtres, incestes…etc. Il ne s’agit pas de trouver, à tout prix, des vices de procédures. De pareils cas marquent la conscience collective. Ils sont érigés en exemple. Et c’est là où tout devient possible et permis.

La force policière agit rapidement, c’est louable, mais la justice devrait suivre rapidement. Ceci dit, la police doit continuer son effort pour être plus professionnel et présenter un visage beaucoup plus humain, accueillant et protecteur. La population doit se sentir en sécurité en présence des policiers, et non pas le contraire. Donc, j’encourage la force policière à continuer dans la même direction, mais, par contre, je recommande qu’on recadre les religieux par rapport à leur rôle au sein de notre société.

Jean Pierre Bertrand