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Obligée de s’exiler pour fuir la concupiscence d’un colonel d’armée en RDC

31 janvier 2013, 00:00

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Obligée de s’exiler pour fuir la concupiscence d’un colonel d’armée en RDC

Sur ordre de son père, Mélanie*, une jeune congolaise de 12 ans, a dû fuir le Sud Kivu, province de la République Démocratique du Congo (RDC),  secouée par un conflit armé, de même que son pays, pour ne pas finir dans le lit d’un colonel de l’armée.... Lire son témoignage.

Réfugiée en Afrique du Sud, bien qu’elle soit exploitée par sa tante qui la traite comme une domestique, elle supporte en silence, étudiant d’arrache-pied pour devenir une professionnelle et arriver à faire sortir ses parents de l’enfer qu’est devenu leur village. Récit.                                             

«Je suis l’aînée d’une famille de quatre enfants, établie à Bukavu, dans le Sud Kivu. Mon village est peuplé d’hommes et de femmes simples. Mes parents, bien que presque analphabètes, ont fait de leur mieux pour élever leurs enfants, les nourrir convenablement et les envoyer à l’école. Je n’ai pas eu une enfance rose, remplie de peluches et de jouets, ni normale car au lieu de jouer sous la pluie, sauter à la corde ou jouer au papa et à la maman, je devais aider mes parents aux champs car les cultures vivrières leur permettaient de payer notre scolarité.

Je marchais régulièrement des kilomètres en compagnie de ma mère pour aller vendre des fruits sur les marchés, que ce soit des bananes ou des avocats. Je sais que j’ai raté des tas de choses durant mon enfance mais quand j’y repense, je suis fière d’avoir pu aider mes parents. Ils étaient très fiers de moi.

Avant la guerre, la vie dans mon village était paisible. Les familles n’étaient pas riches mais elles étaient unies. Les pères étaient fiers de leurs filles. Les mères aussi. Il y avait même un rite culturel que l’on pratiquait le jour du mariage des filles et qui voulait qu’en sus de la dot, le marié doive offrir des moutons supplémentaires à la mère de la mariée du fait que cette dernière était vierge. Cette cérémonie rendait les gens heureux.  Les pères se sentaient riches et puissants lorsqu’ils contemplaient leurs troupeaux. Ils étaient respectés de toute la communauté, pour cette raison. Les femmes vaquaient à leurs occupations l’après-midi et les hommes se rencontraient en soirée et bavardaient autour d’un verre de lait frais ou de bière artisanale. Personne ne se sentait pauvre car c’était la seule façon connue de vivre.  Les enfants étaient scolarisés et s’ils étaient chanceux, ils complèteraient leurs études secondaires et se marieraient. Le cycle perdurerait ainsi.

Puis est arrivée la guerre et tout a changé. Les pères ont perdu leur fierté du fait que leurs femmes et leurs filles étaient abusées par ces monstres et sous leurs yeux. Les gens ne se parlaient plus et étaient aigris. L’harmonie ne régnait plus au village. Les villageois ont commencé à se trahir entre eux, racontant aux soldats où se trouvaient les fermes les plus prospères. Ce n’était pas par méchanceté qu’ils agissaient ainsi. Ils étaient obligés de le faire car autrement, c’était leurs familles qui seraient tuées. Ces temps là étaient durs et cruels.

En fermant les yeux, je peux encore voir toutes les atrocités des soldats: les fusillades en masse, les tortures gratuites infligées aux fils, des mères éplorées emmenant à la hâte leur enfant défiguré ou démembré à l’hôpital. C’était la pagaille dans ce centre de soins tant les blessés ne se comptaient plus alors qu’il n’y avait plus ni médicaments, ni lits de libres. Les soldats n’avaient pas de limites dans l’horreur. Ils torturaient les femmes enceintes, leur ouvraient le ventre, obligeaient certaines à cuisiner leur fœtus mort. Les plus sadiques violaient les enfants sous les yeux de leurs parents et vice-versa.

Je me souviens aussi de toutes ces fois où les fusillades nous tiraient de nos salles de classes en hurlant. C’était alors la débandade, les instituteurs se sauvant d’un côté et les enfants de l’autre. Il fallait aller se cacher vite et n’importe où et trouver un endroit où dormir en attendant le retour au calme. Il n’était pas rare d’être obligé de marcher au-dessus de cadavres qui jonchaient les rues.

Je n’aurais jamais cru qu’un jour, j’aurais été obligée de faire des choix de vie très durs. Cela a commencé comme une blague. Un des colonels de l’armée avait pris l’habitude de venir à la maison où il faisait comme chez lui. Mes parents étaient obligés de le tolérer. Un jour, j’ai remarqué que ses yeux ne me quittaient pas. Il s’est mis à dire à mon père en rigolant qu’il m’épouserait un jour. Gardant son calme, mon père répliquait invariablement que j’étais trop jeune pour me marier car j’étais encore scolarisée.

Le colonel ne se démontait pas pour autant. Il renchérissait que le jour où il repartirait chez lui, il m’emmènerait avec lui et je pourrais alors continuer ma scolarité. Je pensais qu’il plaisantait car il était aussi vieux que mon père, si ce n’est plus. Cette plaisanterie revenait si régulièrement sur le tapis qu’à un moment, mon père m’a demandé d’aller lui apporter de la nourriture au camp. Les soldats que je croisais ne m’embêtaient pas comme ils le faisaient avec les autres filles car le colonel leur avait dit que j’étais sa femme.

Au début, je ne comprenais pas que mon père était en réalité contraint et forcé de m’envoyer au camp et qu’il s’y pliait davantage par peur des représailles en cas de refus que par respect pour le colonel. A chaque fois que je me rendais à cette caserne, je ne me sentais pas en sécurité. Mes parents avaient peur pour moi mais ne me le disaient pas.

Si bien qu’un jour, mon papa a décidé de demander de l’aide à sa sœur qui vit en Afrique du Sud. Ce n’était pas mon choix. J’ignorais même que l’Afrique du Sud existait. Je sais seulement que le jour où mon père m’a dit qu’il fallait que je quitte le pays pour aller vivre chez ma tante en Afrique du Sud, il fallait lui obéir.

La séparation s’est faite en deux étapes. Lorsque j’ai eu 12 ans, on m’a envoyée à Kinshasa, la capitale, afin que je termine ma scolarité et que j’accomplisse mes formalités de visa pour l’Afrique du Sud. C’est à 14 ans que j’ai quitté la capitale, mon pays, à destination de l’Afrique du Sud. Moi qui croyais retrouver la paix d’esprit, j’ai vite déchanté car ma tante m’a fait immédiatement comprendre que je n’étais pas là pour me payer du bon temps.

Elle m’a inscrite à l’école, tout en sachant que je ne parlais pas un traître mot d’anglais. Je me sentais stupide car je ne comprenais rien de ce qui se disait autour de moi. Comme je n’arrivais pas à communiquer, je fermais ma bouche et je fixais le tableau. J’étais très malheureuse et la seule chose qui m’ait empêchée de me laisser aller est le souvenir des paroles encourageantes de ma mère à mon égard. Elle me disait toujours que j’étais une fille intelligente et que j’allais réussir dans la vie. Là, j’avais le sentiment que l’on me niait tout. J’étais en colère contre le monde entier car j’étais malheureuse.

J’ai toutefois réagi en décidant de m’imposer un défi, à savoir, parvenir à parler l’anglais en trois mois. Je me suis dit que si je n’y arrivais pas au bout de ce laps de temps, j’abandonnerais l’école. Je me souviens alors que je me suis mise à marcher avec mon gros dictionnaire bilingue que je transportais même en classe.

Ma persévérance a, Dieu merci, porté ses fruits. Le miracle s’est produit et mes enseignants ont été agréablement surpris de voir à quel point j’arrivais à maîtriser l’anglais. Ma prononciation et mon vocabulaire étaient certes approximatifs mais j’arrivais à comprendre ce qui se disait autour de moi et à me faire comprendre. J’étais très fière.

Mais j’étais loin d’être heureuse chez ma tante. Les amies que j’avais n’étaient jamais à son goût. De plus, elle me traitait comme une domestique. Autant mes amis d’école avaient hâte de regagner leur maison l’après-midi après les classes, autant moi, je traînais les pieds car je savais qu’une tonne de travaux ménagers m’y attendaient. J’appréhendais les week-ends car cela signifiait deux fois plus de tâches ménagères à accomplir, notamment le repassage des vêtements de six personnes habitant la maisonnée. Ma tante n’était jamais satisfaite de mon travail, elle n’arrêtait pas de me critiquer et de me rabaisser. Elle me disait des choses qui me brisaient émotionnellement.

La seule chose qui m’a permis de tenir le coup a été ma volonté de devenir une professionnelle. Je consacre beaucoup de temps à mes études supérieures afin de pouvoir faire mes sœurs et mes parents venir me rejoindre en Afrique du Sud.

Cela fait maintenant sept ans que je vis dans le pays de Nelson Mandela. Je n’ai jamais revu mes parents, même lorsque j’étais à Kinshasa. Ils n’ont pas les moyens de me rendre visite en Afrique du Sud. Nous nous parlons parfois au téléphone mais les appels ne sont pas réguliers car les communications coûtent cher.

Je ne dis pas à ma mère que je suis malheureuse car je sais que son cœur de mère n’y résisterait pas. Je lui dis que tout va bien et elle me croit. J’aurais donné beaucoup pour la revoir et en même temps, j’appréhende ces retrouvailles car je me dis qu’elle a dû beaucoup vieillir alors que je conserve d’elle que le souvenir d’une femme jeune et enjouée. Parfois lorsque je pense à mes parents, je me sens comme engourdie, comme si que la séparation avait tué mes sentiments pour eux.  Je me mets alors à pleurer. Après,  je me raisonne et je me dis qu’ils m’ont éloignée pour ma propre survie.

Je pensais ne jamais pouvoir raconter mon histoire qui n’est pas vraiment celle d’une survivante car j’en suis encore à lutter pour vaincre. Et le combat est loin d’être gagné. Mais je me suis livrée pour ceux qui doutent de leurs choix. A ceux-là, je dirai: quelque soit vos décisions et même si vous pensez que vous vous êtes trompés, si sur le moment, vous avez cru que c’était la décision à prendre, ne la regrettez pas. J’ai commis des erreurs dans ma vie qui m’ont brisée et à un moment, j’ai même pensé mettre fin à mes jours. Mais croyez-moi, ces choix m’ont ouvert des portes inattendues. Il faut toujours résister et se battre pour un avenir meilleur.»

• Prénom modifié

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