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Paul Lemière : « Une démocratie vivante c’est un peu le cirque »
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Paul Lemière : « Une démocratie vivante c’est un peu le cirque »
L’un des plus anciens  membres de l’exécutif du Parti travailliste a préféré émigrer en Australie plutôt que faire carrière en politique. Dommage. Car Paul Lemière diffuse large : franc-maçonnerie, Adecco, reine Victoria, poulets du Mozambique, Esprit Saint, tours de magie et même une baston avec un canasson… Interview tout en ruades, catégorie Ovni.
Cela vous arrive souvent de donner rendez- vous à l’arrière d’une station-service ?
Ici ou ailleurs… La loi divine a voulu que je vous reçoive dans cet espace convivial []un local industriel de Petite-Rivière, ndlr]. On aurait pu se voir à la municipalité, mais je pratique la décentralisation.
Sérieusement, c’est votre lieu de travail ?
Je suis Mauricien, j’habite cette île dans tous ses recoins, du nord au sud, de l’est à l’ouest. Et je suis aussi dans le monde virtuel.
Posons les choses d’emblée : vous en êtes où, niveau psychotropes ?
Non, non, ça n’a jamais été mon fort. Ni drogue, ni alcool. Nous sommes ici chez les bâtisseurs de la société moderne. (Il met bien en vue sa chevalière équerre-compas.) La Triple Espérance du Grand Orient de France, vous connaissez ? Nous sommes tous des maçons. Moi, j’en suis un, mais sans tablier, juste pratiquant. D’une façon ou d’une autre, nous sommes tous des bâtisseurs.
Vous vous êtes surtout bâti une drôle de réputation…
Ah bon ? Dites m’en plus…
En disparaissant six mois sans donner la moindre nouvelle au maire…
Nuance, monsieur : j’étais invisible mais je n’avais pas disparu. J’étais en Australie. Pour me voir, il suffisait de se connecter. Facebook, la webcam, le monde est tellement petit aujourd’hui.
L’herbe est plus verte chez les kangourous ?
Définitivement. Mes enfants et mes petits-enfants vivent à Sydney. Moi-même, j’ai ma carte de résident permanent. Ce pays est tellement immense que l’on pourrait y installer tous les Mauriciens. Et là, tout le monde verrait que leur dollar a de la valeur. L’Australie possède tous les minerais du monde, elle ne doit rien à personne. J’étais encore à Sydney en début de semaine, mais je suis revenu comme un boomerang.
Vous comptiez vous y installer, paraît-il, mais ça n’a pas marché…
(Il hausse le ton.) Nullement. Je suis reparti parce que la Constitution de mon pays m’autorise à voyager. Maurice n’est pas un pays communiste. Il n’y a pas d’objection to departure sur ma tête. Si une femme a un enfant, elle a droit à trois mois de maternity leave. Alors si je pars une semaine pour aller voir ma famille, pour revoir le pays, pour manger un bon steak, boire du vin rouge et regarder les jolies filles de Kings Cross, qui m’en empêche ?
Personne…
C’est la raison pour laquelle je suis revenu sur Air Austral, qui est meilleur marché qu’Air Mauritius. Je ne suis pas une mouette qui vole et qui cherche des poissons. Je ne suis pas un goéland non plus. Je suis un aigle, je vois grand (il mime le vol en écartant les bras). J’aime la vie, j’aime voyager.
Vous vivez toujours à Maurice, ce n’est pas très clair ?
Mon vrai chez-moi, aujourd’hui, c’est Sydney. J’y ai deux pied-à-terre, un chez mon fils, un chez ma fille.
Votre prochaine disparition du conseil municipal, c’est donc pour quand ?
J’y suis, j’y reste. Au moins jusqu’aux prochaines élections municipales.
Les redoutez-vous ?
Nullement. Autrefois, le Parti travailliste était fort surtout dans les villages. Aujourd’hui, notre électorat habite aussi en ville. Navin Ramgoolam pourrait même poser à Stanley/ Rose-Hill s’il voulait.
Pourquoi les réunions du conseil municipal, chez vous, c’est le cirque ?
Parce qu’une démocratie vivante, c’est un peu le cirque. Nous ne sommes pas tous nés de la même mère au conseil, nous pensons différemment. Mais nous avons un objectif commun : le bien-être des citoyens. J’ai ça dans le sang, vraiment. Mon ancêtre était le premier homme de couleur à l’assemblée coloniale. Il a également été maire de Port-Louis. Moi, je me considère comme un missionnaire de Beau-Bassin/Rose-Hill. Je suis biblique, je marche avec le Très-Haut. Oh, il m’arrive parfois de flancher. Alors je m’assois et je prie. Et comme Saint-Jacques de Compostelle, je retrouve mon bâton et je poursuis mon chemin. Dans la vie, pour cueillir la rose, il faut passer par les épines, c’est comme ça. L’homme n’est qu’un apprenti, la douleur est son maître.
Un proverbe sadomasochiste ?
(Sourire) La douleur te rend plus coriace. Elle te fait comprendre la vie.
De quoi vivez-vous aujourd’hui ?
D’amour, d’eau fraîche et d’Esprit Saint. (Il sort de sa poche un chapelet et disserte sur sa foi.)
C’est tabou, le chômage ?
Le chômage n’existe pas quand on est occupé comme moi. Lundi, si je veux, je commence un nouveau boulot chez Unico, les climatiseurs. Mais Adecco m’a fait une proposition plus alléchante, alors faut voir. Le chômage, ne pas avoir 5 sous et rouler sa bosse, j’ai connu. En bon capitaine, j’ai toujours su naviguer dans la galère. Même en 1995, quand ma vie a basculé sous le sabot d’un cheval.
Un accident d’équitation ?
Ma passion. Le sabot m’a sectionné les nerfs optiques. Ça s’est passé très vite, en un clin d’oeil (sic). A deux centimètres près, le cheval m’éclatait la cervelle, j’aurais pu y passer. Mais je ne lui en ai pas voulu, nous sommes restés amis. Aujourd’hui, je ne monte plus, j’ai pris trop d’embonpoint. Cet oeil perdu a eu des conséquences, j’ai appris mes leçons. Je suis sorti du néant pour marcher vers le temps. Vers le présent et le futur. Un jour je partirai vers le monde astral, un peu comme le trou de la serrure.
On ne comprend plus rien, vous parlez comme un gourou...
Je ne suis pas un gourou, je suis polyvalent, c’est différent. J’ai fait du poulet au Mozambique, de la limonade, de la bière. J’ai fait disparaître des éléphants. J’ai vu naître l’oeuf et la poule. Quelque part, je suis quelqu’un qui fait le pont entre le bien et le mal. Je crois dans la force progressive, dans la profitabilité. Mais tout bon début à une fi n et la mienne n’est peut-être plus très loin. En attendant, je vis pleinement.
C’est quoi cette histoire d’éléphants ?
J’ai été magicien. La prestidigitation, l’illusionnisme, c’est ma spécialité. Je suis un homme de scène. Dans les années 80 et 90, je sillonnais les hôtels pour gagner ma vie. J’avais aussi un orchestre qui s’appelait Le Malibu. Je tournais dans les écoles primaires pour jouer, chanter, faire le clown et des tours de magie. A Rs 10 l’élève, ça faisait Rs 10 000 la prestation. Je faisais trois écoles par jour, faites l’addition. Avec ça, je faisais vivre des artistes au chômage. J’ai formé une pépinière : Gérard Louise, Ronny Appadoo, Dean Nukadoo et tellement d’autres.
Vous pourriez improviser un tour de magie ?
Si vous aviez eu un jeu de cartes, oui.
Tenez, c’était plus commode que l’éléphant…
Petit malin, vous aviez prévu le coup ! (Il glisse une carte dans la paume de sa main) Vous voyez cet as de carreau ?... Hop, disparu ! Bon, j’ai un peu perdu la main. (Il enchaîne sur une série de tours assez bluffants.)
Si vous deviez faire disparaître quelqu’un, vous commenceriez par qui ?
Je n’ai pas d’ennemi. Si j’en avais un, je ne chercherais pas la vengeance. J’irais plutôt m’asseoir au bord d’une rivière pour voir passer son corps sur les flots.
C’est une option, en effet. La réapparition de SAJ, vous y êtes pour quelque chose ?
Je n’ai pas ce don-là. Son come-back a un goût de mayonnaise, vous ne trouvez pas ? On verse de l’huile, ça monte, ça monte… et ça finira par retomber.
La nouvelle alliance MMM-SAJ vous inspire quoi ?
Malheur Misère Martyr à celui qui s’allie au Soleil Austère Javellisé, voilà ce que j’en pense ! Je suis un homme de l’Ouest, j’ai vécu à Albion, j’aime les couchers de soleil.
Et…
A chaque coucher de soleil, je pense à sir Anerood. C’était l’heure du sunset, il nous a fait un sunrise. Tout faux, monsieur l’ex-président.
Paul Lemière au Réduit, ça aurait de l’allure…
Allons donner le temps au temps.
La moustache, c’est par mimétisme avec l’autre Paul ?
Il y a peut-être un peu de ça. Nous sommes de très bons copains. Je l’accepte tel qu’il est. C’est un grand stratège, vous savez. Nous n’avons jamais travaillé ensemble. Pas encore. Pour l’instant, nous sommes aux antipodes, comme le Paul nord et le Paul sud.
Sur votre blog, vous dites être propriétaire d’une partie des Chagos. C’est quoi cette histoire ?
C’est une histoire de famille, une histoire vraie. Hyppolite Lemière, mon arrière grand-père, avait obtenu de la reine Victoria, en 1865, une concession à vie de huit îles des Chagos. J’ai conservé tous les titres de propriété. Mes ancêtres fabriquaient de l’huile de coco qu’ils envoyaient à Londres pour éclairer la ville. Les Lemière, en somme, éclairaient l’Angleterre. Mais ça, c’est de l’histoire ancienne. Aujourd’hui je compte bien récupérer mes îles.
Comment ?
Ce sera un très long combat. J’attends que Maurice retrouve sa souveraineté sur les Chagos pour mettre un case contre le gouvernement britannique. Le titre de propriété des Anglais n’est pas clair à 100 %, ça joue en ma faveur. 2/90e des Chagos appartiennent à mes ancêtres. Demain matin, si je décidais de vendre ce territoire aux Américains, les Anglais ne pourraient plus les déloger de Diego. Grâce à moi, les Américains pourraient conserver leur base à vie et en même temps contrôler la route du pétrole. Vous imaginez un peu ?
Pas vraiment. Mais c’est ce que vous comptez faire, vendre aux Américains ?
L’autre option serait de m’autoproclamer président de mes îles, m’asseoir sur une chaise longue au bord de l’eau et contrôler ma zone maritime. Pourquoi pas, hein ?
Entretien réalisé par Fabrice Acquilina
(l’express-dimanche, 1er avril 2012)
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