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Paula Atchia : La dirigeante de Women in Networking s’exprime sur le rôle des femmes en politique et sur l’avortement

17 juin 2010, 10:59

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? Après la campagne de «Women in Politics», quel bilan faites-vous ?

C’est un bilan mitigé. Il y a des points positifs et négatifs. C’est positif dans le sens où nous avons pu passer notre message au niveau de Women in Networking (WIN), surtout que WIN ne dispose pas de grands moyens. Il reste à savoir si les femmes ont bien compris le message et ont effectivement voté pour les femmes comme nous le leur avions demandé. Déjà, il y a des femmes qui ont fait ressortir qu’elles n’ont pas voté pour une femme juste parce que c’est une femme et qu’il fallait surtout prendre en compte le critère de la compétence. Or, je fais remarquer que cela ne marche pas de la même manière pour les hommes. Les hommes votent pour les hommes et selon le critère ethnique. Je dois aussi faire ressortir que, malgré toute notre lutte, il n’y a pas eu de candidatures féminines accrues. Aujourd’hui, nous n’avons que treize parlementaires femmes, trois femmes ministres et trois autres Permanent Private Secretaries. On aurait dû avoir un minimum de vingt femmes parlementaires et cinq femmes ministres. Le message qu’on reçoit, c’est que le travail de ministre, c’est fait pour les hommes. Le travail doit donc continuer. Peut être faudra-t-il aussi revoir notre stratégie.

? Dans quel sens ?

J’ai été une championne de Women in Politics (WIP) pendant une année et demie. Nous avons fait beaucoup de choses mais il reste beaucoup à faire encore. Je suis pour un renouvellement de leadership. Je ne veux pas avoir à diriger cette instance pendant les cinq prochaines années.

? Pourquoi ?

Un leader n’est pas là pour diriger éternellement. Il gère, donne ses idées et ensuite il part. Il en est de même en politique. On ne peut pas être Premier ministre durant 25-30 ans. Au plus, on l’est sur deux mandats. Il faut savoir passer le relais. Moi, je veux que les jeunes femmes puissent prendre le relais à WIP. A Maurice, il y a beaucoup de jeunes femmes qui ont la capacité de leadership. Autrement, WIN et WIP deviennent l’affaire de Paula Atchia et de Jane Valls. Je suis un peu féministe mais pas de manière extrême.

? Un peu féministe…

C’est-à-dire ? Je ne suis pas le genre féministe à tout casser. Je veux seulement que les femmes puissent jouir de tous leurs droits dans la société. On n’est d’ailleurs pas des extrémistes. On aurait pu demander une candidature féminine à hauteur de 51% aux élections. Cependant, on s’est arrêté à 35%.

? Peut-être que vous auriez dû demander 51% pour obtenir 35%...

C’est une question de stratégie. Moi, je ne suis pas vraiment un stratège. Je demande ce que je trouve faisable et raisonnable. C’est pourquoi nous n’avions demandé qu’une candidate par circonscription. Toutefois, il faut aussi dire que les femmes ne sont pas encore libérées dans leur tête.

? En quel sens ?

Elles n’ont pas encore réalisé la force qu’elles représentent en tant que composante majoritaire de la population. Elles continuent d’ailleurs, en politique, à suivre les directives des époux et des pères. C’est quelque chose qui nous fait réfléchir à WIN et WIP. Si les femmes décidaient de voter en fonction des intérêts des femmes et non en fonction de l’appartenance ethnique, les choses changeraient de manière radicale au sein de la société mauricienne.

? Comment l’action de WIP est-elle perçue par les hommes ?

Beaucoup d’hommes ont été d’un grand soutien. Ils trouvent nos revendications raisonnables. Par rapport aux hommes, c’est surtout une question de génération. Quoi qu’il y ait des hommes âgés qui nous soutiennent, en général ce sont les plus jeunes qui approuvent nos initiatives.

? Seriez-vous en train de dire que nous pouvons avoir de l’espoir pour l’avenir ?

La société est toujours en évolution même si cela peut ne pas être toujours dans le bon sens. Les jeunes hommes sont très ouverts sur la question de la femme. Ce sont les jeunes femmes qui ne veulent pas prendre de risques. Elles sont à la recherche d’un travail et d’un salaire confortables. Il faut que les jeunes femmes se mettent debout et acceptent de plonger dans l’eau. La politique pour les femmes, c’est une question de risque. Il y a aussi le fait qu’elles se demandent comment les maris ou les belles-familles vont prendre la chose. Il y a d’ailleurs un paradoxe. Les femmes veulent plus de femmes en politique mais, personnellement, elles ont peur de s’engager. C’est mieux de commencer la politique lorsqu’on est jeune au lieu de chercher le seul confort professionnel. Je ne dis pas que c’est mauvais d’agir ainsi. Cependant, ce ne sont pas ces personnes-là qui vont changer la société.

? Croyez-vous vraiment qu’on puisse encore changer la société ?

Il faut essayer. Quel autre choix existe-t-il ? Autrement, les conséquences sont inimaginables. Il faut qu’il y ait des gens qui luttent.

? Au-delà de la politique, quelle évolution du statut de la femme à Maurice faites-vous ?

C’est une question de classes sociales. Plus on est aisée et éduquée, plus on a son choix de vie. Le problème se pose pour les femmes pauvres. Avant même d’arriver à l’âge de raisonner, elles sont nombreuses les filles pauvres à être victimes d’inceste ou de violence. Ces femmes-là sont exposées au risque d’enfanter sans mesurer leurs responsabilités ou alors à celui de basculer dans la prostitution.

? Justement en parlant d’inceste, ne pensez-vous pas que l’avortement devient incontournable dans certains cas ?

Je tiens d’abord à dire que toutes les féministes ne sont pas en faveur de l’avortement. Elles pensent qu’on ne peut pas tuer un être pour être libre soi-même. La solution d’une grossesse non désirée n’est pas l’avortement. On ne vote pas une loi sur l’euthanasie parce qu’on ne sait pas quoi faire des vieux ! Ce n’est pas parce qu’on n’a pas de structures sociales qu’on va autoriser la peine de mort ou l’avortement. Je préfère des structures qui puissent accueillir ces enfants nés d’une grossesse non désirée plutôt que pratiquer l’avortement. Combien de femmes à Maurice ne parviennent pas à avoir un enfant et auraient aimé en adopter un ? Il est aussi vrai, néanmoins, que l’adoption est mal vue à Maurice. Là, c’est une question de préjugés qu’il faut combattre.


Propos recueillis par Nazim ESOOF

 

Nazim ESOOF