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Rada Gungaloo : «C’est grave de créer une société de copinage»

29 avril 2010, 09:59

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L’avocate promène son regard de citoyenne et de femme engagée sur
la société mauricienne en cette période de campagne électorale. C’est un regard critique et sévère. Tout en saluant le rôle accru que joue la société civile, elle dénonce certaines pratiques...


Quelle est votre lecture de la campagne en cours ?

Il est important que les partis n’aient pas sali l’environnement comme ils avaient l’habitude de le faire. Ils respectent plus ou moins l’environnement. Cependant, je regrette que le communalisme soit aussi présent dans cette campagne, que ce soit pour la sélection des candidats ou dans le langage utilisé par certains d’entre eux.

En sus de cela, ces politiques soutiennent les actions de quelques groupes ouvertement sectaires qui tiennent, par exemple, un discours à l’effet que le Premier ministre doit provenir de la communauté majoritaire. A l’opposé, je relève que des groupes dits minoritaires réclament que leurs droits soient
respectés en tant que citoyens à part entière de ce pays. Hormis ces faits, nous avons droit à une campagne relativement calme.

Quel a été jusqu’ici le rôle de la société civile dans cette campagne ?

Je note que des groupes de citoyens s’organisent pour interpeller les politiques. C’est une mouvance vers une nouvelle manière de faire de la politique. J’espère que cette dynamique va pousser les politiques à un autre discours et à un autre type d’action politique. L’engagement de la société civile est louable et permet enfi n un véritable débat d’idées et des échanges constructifs. La société civile commence à occuper un espace qui était monopolisé par les associations dites socioreligieuses. Là, c’est la société qui fi xe l’agenda.

Au niveau des citoyens euxmêmes, je constate qu’ils évoquent davantage leurs problèmes immédiats. Ils sont de plus en plus nombreux à dire aux politiques qu’on ne peut pas les leurrer. Les Mauriciens veulent rendre les politiques comptables de leurs actions. Il se peut que d’autres considérations prennent le dessus sur l’appel de la société civile. Pourtant, l’histoire le montre : lorsqu’il y a une dynamique qui s’appuie sur des courants sociaux, elle s’amplifi e avec le temps. C’est à nous d’élargir le mouvement.

Pensez-vous que les politiques sont sensibles à ces changements d’attitude et qu’ils vont modifi er d’approche en conséquence ?

Ils seront bien contraints de le faire. Sinon, ils vont disparaître. Il y a un réveil. D’autre part, il y a une pression exercée par Rezistans ek Alternativ qui va les obliger à changer de fonctionnement. Moi qui ne suis aucunement communaliste, je salue le courage de Rezistans ek Alternativ et de toutes ces personnes qui se sont portées candidates sans décliner leur appartenance ethnique.

Notre ethnicité ne peut pas être un critère pour décider si oui ou non nous pouvons représenter tout le pays et toute la population au Parlement. Je pense que ce mouvement va s’amplifi er.

En outre, s’il n’y a pas une réforme constitutionnelle durant les cinq prochaines années, on aura bien plus que 104 personnes qui iront se présenter comme candidats en 2015 sans déclarer leur ethnie.

Quels sont, selon vous, les principaux enjeux des cinq prochaines années ?

J’estime qu’il faut une réforme en profondeur de l’éducation. Je suis plus partante pour la réforme qu’avait initiée Steven Obeegadoo. Je suis révoltée lorsque j’entends certaines personnes parler d’élite.

L’élite, c’est une autre manière de casser l’enfant mauricien, de violer son avenir. Nous ne pouvons pas parler d’égalité de chances si nous pratiquons l’élitisme. J’évoquerai également la question de la pauvreté. Je pense qu’on ne peut pas continuer à avoir une approche fondée sur la neutralité des genres. Il y a une différence entre une femme et un homme pauvres. Les femmes sont encore plus pauvres que les hommes. Il y a des besoins spécifi ques non seulement pour des groupes spécifi ques mais aussi en termes de genres. Par ailleurs, j’entends souvent dire qu’on construit des maisons pour les pauvres. Cependant, n’est-ce pas une insulte que de construire des maisons de seconde zone ? Le critère humain doit primer. Il faut des maisons où la taille et les besoins de la famille sont pris en compte.

Il y a eu toute une campagne pour une plus grande représentation des femmes au Parlement. Qu’en pensezvous ?

Le Parlement ne peut pas continuer à être dirigé par des hommes pour des hommes. Il y a deux sexes qui composent la société. Les femmes représentent 52% de la société mauricienne. Elles doivent être davantage présentes au Parlement. Nous avons droit à la parole dans le processus
décisionnel.

Ayant dit cela, je ne voterai pas pour n’importe quelle femme. Par exemple, si j’avais été française, je n’aurai jamais voté pour une Marine Le Pen. Je ne suis pas d’accord lorsque j’entends dire qu’il faut voter pour toutes les femmes.

De plus, je ne comprends pas non plus comment on peut dire qu’on est apolitique tout en demandant plus de femmes au Parlement. Il faut un débat de fond sur toute cette question.

Les critères de sélection des candidats doivent être revus. Nous voulons d’un Parlement national et non d’un Parlement hindou ou musulman ou créole.

Qu’est-ce qui manque dans cette campagne et qu’est-ce qui vous a le plus dérangée ?

Je crois qu’on ne parle pas assez de combat contre la pauvreté. Il faut que les partis proposent des mesures plus drastiques dans cette lutte. Je suis outrée également lorsque j’entends Navin Ramgoolam déclarer qu’une circonscription n’aura pas de ministre s’il n’y a pas trois-zéro en sa faveur. C’est du chantage et cela ne participe d’aucune tradition démocratique.

Je dénonce aussi l’institutionnalisation de cette pratique qui consiste à effectuer des nominations politiques après les élections pour récompenser les siens. C’est grave de créer une société de copinage. C’est grave d’entendre une personne déclarer qu’elle n’obtiendra rien parce qu’elle n’a pas de contact au niveau des ministres.

Comment peut-on, dans de telles circonstances, parler de société de droits égaux ?


Propos recueillis par Nazim ESOOF

 

Nazim ESOOF