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Rama Sithanen expert en systèmes électoraux : « Le Best Loser System est mort à Genève »

24 février 2013, 12:21

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Blâmé par les Nations unies, le gouvernement a jusqu’à jeudi pour dire ce qu’il compte faire de la déclaration d’appartenance ethnique imposée aux candidats des élections. Que va- t- il se passer ? « Monsieur réforme électorale » a sa petite idée, et bien plus encore.

Alors, ce come- back au ministère des Finances, ça se précise ?
Non, du tout ! ( Rires) J’ai fait un choix, j’ai oublié la politique.

La politique, elle, vous a- t- elle oublié ?
Hélas, non. J’ai eu des propositions que j’ai déclinées.
Quels postes vous a- t- on proposés ?
Je ne souhaite pas répondre à cette question.

Les soucis actuels de Xavier Duval vous rappellent- ils les vôtres ?
J’ai eu d’autres problèmes qui étaient peut- être plus compliqués.

Quel regard portez- vous sur le psychodrame du PMSD ?
Ça me laisse totalement indifférent. Savoir qui insulte qui ne m’intéresse pas. J’observe tout cela de loin, je ne lis même pas les journaux tous les jours. Cela dit, je sais que c’est compliqué pour Xavier en ce moment. Le poste de ministre des Finances est extrêmement exigeant, vous avez besoin de sérénité pour pouvoir faire le boulot, j’en sais quelque chose. Enfin, c’est de l’histoire ancienne, revenir là- dessus ne m’intéresse pas.

Qu’est- ce qui vous intéresse ?
L’économie, le global business , l’Afrique, l’énergie, l’île durable, la réforme électorale. En août dernier, le Comité des droits de l’homme des Nations unies nous a rappelés à l’ordre. Maurice viole le « Pacte relatif aux droits civils et politiques » en obligeant les candidats aux élections à déclarer leur appartenance ethnique. L’ultimatum de 180 jours donné au gouvernement pour remédier à cette situation arrive à échéance la semaine prochaine. Que va- t- on leur répondre ?

D’après vous ?
Je ne suis pas dans le secret des Dieux.

N’êtes- vous pas, sur ce dossier, l’interlocuteur favori du Premier ministre ?
Nous n’en avons plus parlé depuis six mois.
 

Vous n’avez pas rédigé la réponse du gouvernement à l’Onu ?
Certainement pas. On ne m’a même pas demandé mon avis.

C’est vexant ?
Du tout.

Qu’est- ce que le gouvernement va proposer, selon vous ?
Rappelons les faits. Que nous ont dit les experts de l’Onu ? Un, la déclaration d’appartenance ethnique est une violation des droits des citoyens car le recensement de la population n’a pas été actualisé depuis 40 ans. Deux, cette violation ne doit pas perdurer. Trois, l’Onu nous laisse le choix : soit remettre à jour le recensement de 1972, soit réformer le système électoral - ce qui nécessite dans chacun des cas d’amender la Constitution. Et quatre, le gouvernement a 180 jours, c’est- à- dire jusqu’à jeudi prochain, pour proposer « an effective and enforceable remedy ». A partir de là, je vois quatre options possibles pour le gouvernement. La première consiste à dire que ce remède, nous ne l’avons pas. Le gouvernement explique qu’il n’a pas de majorité pour modifier la Constitution, c’est le deadlock.

Deuxième option…
Le gouvernement essaie de gagner du temps. Il dit à nos amis de Genève : « Ce sujet est complexe, nous faisons de notre mieux, accordez-nous un délai supplémentaire. » A mon avis, c’est ce qui devrait se passer. Cependant, pour être crédible, le gouvernement devra donner une feuille de route détaillée. Ne nous leurrons pas : les experts de l’Onu ne s’attendent pas à ce qu’on leur donne une solution défi nitive jeudi 1 er mars à 00H01.

« State party is under an obligation to avoid similar violations in the future » , dit le jugement de l’Onu.
Autrement dit, la date butoir, ce sont les prochaines élections. La troisième option serait d’actualiser le recensement de 1972. Je n’y crois pas puisque le Parti travailliste et le MMM ont rejeté cette éventualité. Et quand bien même ils changeraient d’avis, ils se heurteraient à un casse- tête, car la classification en quatre communautés ne correspond plus à la démographie de 2013.

Dernière option…
On revoit notre système électoral en le « décommunalisant » . A moyen terme, c’est la seule solution.

Cette solution s’appelle la réforme Sithanen.
Ou une partie du rapport Sachs. Ou la réforme Carcassonne. Son projet respecte aussi les recommandations des Nations unies, même s’il crée d’autres problèmes par ailleurs. []]]En décembre 2011, à la demande du Premier ministre, le constitutionnaliste français Guy Carcassonne a formulé un projet de réforme électoral, ndlr].

Autrement dit, Genève a ressuscité le rapport Sithanen.
Pour la simple et bonne raison que les deux grands partis refusent de toucher au recensement ethnique.Sur le menu, il ne reste plus grand- chose (rires) : soit Sithanen, soit Carcassonne, soit une partie de Sachs.

N’y a- t- il pas une cinquième option : s’asseoir sur le jugement des Nations unies ?
En théorie, c’est possible. D’ailleurs, certains responsables politiques me disent : « Si nou pa kapav, nou pa kapav » . Après tout, ce ne serait pas la fin du monde, personne n’irait en prison. Mais tout de même, nous avons pris des engagements internationaux, ne pas les respecter serait désastreux pour l’image du pays. De plus, nous pourrions être sanctionnés par la Cour suprême ou par le Conseil privé. Tôt où tard, il faudra faire cette réforme.

Dans l’immédiat, d’après vous, le Premier ministre préfèrera- t- il se fâcher avec le Human Rights Committee ou avec une partie de l’électorat musulman ?
Le même problème se pose pour le MMM. Chacun voudra préserver l’électorat et enverra valser le jugement du comité. Cependant, ce dilemme n’a plus lieu d’être si un travail de pédagogie est fait pour convaincre nos concitoyens musulmans du bienfondé de la réforme. Leurs craintes ne sont pas justifiées. Avec le système que j’ai proposé, les musulmans seront au moins aussi bien représentés au Parlement qu’ils le sont aujourd’hui.

Qu’est- ce qui vous permet d’en être sûr ?
Les mathématiques ne mentent pas. J’ai sollicité des amis mathématiciens qui ont mis au point un algorithme, toutes les simulations concordent. Ma proposition est donc celle- ci. Premièrement, on supprime la déclaration d’appartenance ethnique. Dès lors, nos amis de Genève sont satisfaits. Problème, le Best Loser System ( BLS) devient inopérationnel. La parade consiste à trouver un système qui satisfait aux mêmes objectifs, mais qui n’est pas basé sur une classification ethnique des candidats.

Concrètement ?
On conserve 62 députés élus au First- past- the- post , plus une vingtaine de sièges ( entre 20 et 24) attribués à la proportionnelle. Les candidats peuvent postuler sur les deux listes, ainsi ils peuvent être repêchés par la proportionnelle s’ils échouent dans les circonscriptions. Autre précision importante, on ne touche pas à la taille et à la délimitation des circonscriptions, afin de protéger nos compatriotes musulmans dans les circonscriptions• N 2 ( Port- Louis- Sud/ Port- Louis- Central) et N ° 3 ( Port- Louis- Maritime/ Port- Louis- Est). Avec ce système- là, je le répète, les musulmans n’ont rien à craindre, ils pourraient même avoir un député supplémentaire.

Pourtant, ce message ne passe pas. Portez- vous la responsabilité de cet échec ?
J’ai parfois ce sentiment. A ma décharge, je suis impuissant face à un blocage politique. Mes amis au PTr et au MMM m’ont souvent dit : « Rama, je suis d’accord avec toi, mais mon parti ne voudra pas être accusé d’avoir sabordé les Best Losers. » Personne ne veut prendre le risque de se mettre à dos une partie de l’électorat musulman, sachant que cette communauté pourrait désigner le vainqueur des prochaines élections.

Pensez- vous que cette réforme verra le jour avant 2015 ?
(Long silence) Question difficile. Avant le jugement de l’Onu, j’étais très pessimiste. Aujourd’hui, je le suis un peu moins car les Nations unies nous facilitent la tâche. Puisque la remise à jour du recensement ethnique a été d’emblée écartée, le sort du BLS est scellé. D’une certaine manière, l’Onu a pris la décision que ni le MMM, ni le Parti travailliste ne voulait assumer. Conserver ce système n’est plus une option, il est mort à Genève. La question n’est plus de savoir s’il disparaîtra ou pas, mais quand il disparaîtra. Les Néo- Zélandais ont mis 75 ans à revoir leur système électoral, les Anglais piétinent depuis un siècle. Plus on approchera des élections de 2015, plus un consensus sera difficile à trouver.

Vous jouez les conseillers de luxe sur la réforme électorale, sur le traité de non- double imposition et sur d’autres sujets moins médiatisés. Rassurez nous : vous ne jouez pas aussi les coachs amoureux ?
 (Il éclate de rire) Certainement pas ! Je n’ai aucune expertise en la matière.

Madame Sithanen appréciera… Après s’être débarrassé de vous comme un vulgaire Kleenex, le Premier ministre continue à solliciter, en privé, vos conseils. Comment l’expliquez- vous ?
Je n’ai pas la réponse.

Si vos analyses sont si brillantes, pourquoi vous avoir éjecté ?
(Rire gêné) C’est une vieille histoire. A défaut d’oublier, j’ai pardonné. Il n’y a pas de rancune, je ne veux pas vivre dans un rétroviseur.

Cette vieille histoire, comme vous dites, vous en avez tiré des enseignements ?
(Direct) Bien sûr. J’ai appris qu’en politique il n’y a pas d’amis, il n’y a que des intérêts. Les amitiés, si elles existent, sont temporaires, et elles ne pèsent pas lourd à côté des intérêts conjoncturels. Il faut être capable de l’accepter.

Maintenant que vous êtes chaud, je vous repose la question posée à froid, tout à l’heure. Si le Premier ministre vous propose de revenir en politique, que lui répondezvous : « Oui » , « un jour peut- être » ou « plus jamais » .
(Sans hésiter) Plus jamais.

N’avez- vous pas appris qu’en politique, on ne peut jamais dire jamais ?
(Il tapote nerveusement sur la table) Après ce qui s’est passé, revenir en politique ne m’intéresse plus. Certains pensent qu’en 2015, je reposerai ma candidature à Quatre-Bornes, ils se trompent. J’ai tiré le rideau. La politique est une passion dont on se défait plus facilement qu’on ne le pense.

Pourtant, un ancien collègue ministre s’est laissé aller à une confidence…
Laquelle ?

« Rama a tiré un trait sur la politique. Cependant, il serait prêt, en cas de circonstances exceptionnelles, à revenir sur sa décision. Mais il ne l’avouera à personne, même pas à lui même.» Cet homme- là vous connaît mal ?
Je me mentirais à moi- même ? Je ne pense pas. Je suis entré en politique par accident, à 36 ans. J’en suis sorti dans une irréparable injustice, à 56 ans.

Revoir notre système électoral en le « décommunalisant » : à moyen terme, c’est la seule solution. Nous avons pris des engagements internationaux. Tôt où tard, il faudra faire cette réforme.

Avec le système que j’ai proposé, les musulmans n’ont rien à craindre, ils pourraient même avoir un député supplémentaire.