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Rama Sithanen : « «Le problème ce n’est pas le BLS, mais la delimitation des circonscriptions »
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Rama Sithanen : « «Le problème ce n’est pas le BLS, mais la delimitation des circonscriptions »
L’ancien ministre des Finances qui est aussi  docteur en sciences politiques et dont la thèse de doctorat porte sur les systèmes électoraux commente le rapport Carcassonne. 
? Le rapport Carcassonne a l’air plutôt simple, mais on n’en saisit pas nécessairement les implications. Quelle est votre avis ?
C’est un rapport incomplet. Un rapport qui propose un nouveau mode de scrutin, basé sur de nouvelles circonscriptions, et qui ne donne pas les délimitations de ces nouvelles circonscriptions, est un rapport qui est incomplet.
? Ce n’est donc pas à l’«Electoral Boundaries Commission» de le faire ?
Non. C’est du jamais vu et c’est une insuffisance extrêmement importante. La délimitation des circonscriptions est plus importante que le mode de scrutin. Croyez-moi, le plus grand problème n’est pas le Best Loser System (BLS), mais la délimitation des circonscriptions.
? Ces grands experts ne le savent pas ?
Je ne sais pas, mais ce que je peux vous dire, c’est que ce sera extrêmement difficile d’avoir un accord entre les partis politiques sur la délimitation des circonscriptions. Si pour les élections municipales on parle de gerrymandering, imaginez ce qui va se passer pour accéder au pouvoir
central !
? Cela impliquerait-il un nouveau statu quo ?
A mon avis, cela va être le plus grand obstacle à un accord sur le rapport Carcassonne.
? Nous venons donc, une nouvelle fois, de perdre notre temps…
Le problème qu’on avait avec Sachs était qu’en utilisant le modèle C – celui qui avait presque fait l’unanimité et qui a montré ses limites à Rodrigues quand une élection est serrée – on peine à déterminer la majorité. Ainsi, le spectre de Rodrigues a un peu hanté le modèle C de Sachs, et il fallait trouver une solution à ce problème.
? Vous avez bien dit que ce rapport est incomplet et qu’il apporte peu de solutions…
Non, soyons justes, il y a certes des choses intéressantes. Mais je trouve que c’est un tremblement de terre, alors qu’on n’a pas besoin de séisme pour régler deux problèmes. Ces problèmes sont le manque de balance entre la stabilité et l’équité, et le besoin de trouver une alternative efficace qui assure la représentativité de toutes les composantes de la population. Et ce sans passer par le BLS. Il faut de la stabilité pour pouvoir diriger le pays, mais c’est important que le nombre de députés d’un parti reflète le pourcentage de votes. Or, la solution est une mixité entre le First Past the Post (FPTP) – dont la plus grande qualité est qu’il produit une grande majorité et offre donc la stabilité – et la Représentation proportionnelle (PR), dont le plus grand atout est qu’il est juste. Ainsi, c’est un équilibre entre les deux qu’il faut. Mais Carcassonne propose que l’on change le mode de scrutin, la façon dont nous votons, la façon dont nous choisissons les députés ou encore la façon dont nous nommons les ministres. En toute modestie, je pense que la résolution de ces deux problèmes ne justifie pas la radicalité des propositions. Je ne dis pas qu’ils ont tort, je dis qu’ils sont radicaux et que c’est précisément ce qui risque d’empêcher la reforme.
? La radicalité des propositions, l’absence de délimitations, l’abolition du BLS… Ne pensez-vous pas que cela fait beaucoup d’obstacles ?
C’est faux de dire que le rapport Carcassonne a recommandé l’élimination du BLS : il l’a simplement substitué. Notamment par le remplacement du FPTP par le PR. Et tout le monde sait que le PR assure la meilleure représentation sur trois niveaux – les idées, les femmes et la diversité.
? Comment cela se passera-t-il concrètement ?
Si un parti a 40 % de voix, il a 40 % de sièges. Mais le parti n’est pas un concept abstrait – il est fait d’hommes et de femmes et ces derniers ont les mêmes caractéristiques que les électeurs, n’est-ce pas ? Quand on met ces gens la sur la liste, on a la pluralité ! C’est ce qu’on fait ailleurs. Maurice n’est pas le seul pays au monde ou il y a des gens de différentes cultures, races, ethnies et religions ! 95 de ces pays utilisent le PR sans le BLS ou des sièges réservés, et tout le monde est représenté. Quand on a le PR, on n’a pas besoin de BLS.
? Mais vous dites qu’on l’a substitué ?
Oui par le PR – les partis politiques vont s’assurer que toutes les communautés sont sur leurs listes. Deuxièmement, il y a la liste bloquée – c’est-à-dire que ce sont les partis qui décident de l’ordre de préséance dans lequel ils vont mettre leurs candidats. Cela empêchera ceux qui votent selon la communauté de rejeter tel ou tel candidat sur cette base comme cela se passe quelques fois. Le problème, c’est qu’on encourage la dictature des partis. Néanmoins, pour Maurice, c’est la seule façon de résoudre le problème du BLS.
? Imaginons que dans une circonscription, il y ait trois partis qui obtiennent 30 % de votes chacun. Les trois premiers candidats de chaque parti seront donc élus. Si ces candidats viennent d’une même communauté, qu’adviendra- t-il à la représentation des minorités ?
Je pense que ce problème arrivera car le nombre de sièges par circonscription – de 4 à 7 – est trop bas. Plus le nombre de sièges est élevé, moins il y a ce problème.
? Tout cela est très bien mais, déjà, le MMM dit qu’il n’est pas d’accord avec la substitution du BLS !
Je comprends qu’il y a une charge émotionnelle à l’affaire, mais il y a deux choses que les gens ne réalisent pas. La première, c’est qu’on fonctionne dans une nouvelle architecture. De plus, le BLS est compatible avec le FPTP, mais pas avec le PR et une liste bloquée qui va assurer une bonne représentation de la population.
? Pourquoi alors Paul Bérenger pense-t-il qu’il serait possible d’introduire le PR sans enlever le BLS ?
Ce n’est pas possible. Tout le monde le sait. Je le dis clairement – il n’y a aucun expert constitutionnel qui va recommander que l’on passe au PR et que l’on garde le BLS. Les deux sont incompatibles. Je crois qu’il est important de faire la distinction entre les faits et la fiction.
? Quelle est votre opinion sur le fait d’avoir des ministres non élus ?
Dans l’absolu, je suis d’accord. Je suis cependant contre cette exigence de maximum ou de minimum. Je crois qu’il faudrait donner la flexibilité au PM de choisir quelques ministres en dehors du Parlement, mais ne pas l’obliger. N’oubliez pas que Manmohan Singh, le Premier ministre Indien, n’est pas élu ! Idem pour Christine Lagarde. Cette pratique a pour but d’élargir le bassin de talents, d’expertise et d’expérience.
? Qu’en est-il de la proposition par rapport aux transfuges, qui rejoindraient un groupe d’indépendants ?
C’est mauvais parce que cela risque de changer la majorité. Ce qu’il faudrait, c’est que ceux qui choisissent de partir perdent leurs sièges et soient remplacés par une personne figurant sur la liste. Et ce, car, dans le système actuel, on vote pour la personne, alors que dans le système de PR, on vote pour le parti.
? Quelles autres mesures contestez-vous ?
Le nombre de 4 à 7 députés recommandé est trop bas ce sera difficile d’avoir une majorité. Il faut un minimum de 10 députés. A Rodrigues, la proposition est un non-sens. On ne peut pas avoir un système de PR avec deux sièges. On aurait dû garder le FPTP parce que le parti qui aura 65 % aura un siège. Idem pour l’autre parti, qui aura récolté 35 % des votes. Cela dit, il y a aussi des mesures que je trouve intéressantes et qui peuvent être retenues sans avoir nécessairement besoin d’adopter le mode de scrutin. La proposition selon laquelle on ne déclare plus sa communauté est une avancée. Il en va de même pour la représentation féminine, qui ne devrait pas poser de problème s’il y a la volonté politique.
? N’est-ce pas justement là le problème ? Nous débattons de quelque chose qui ne dépend que des politiques…
Je vais écrire un rapport que je vais soumettre à Navin Ramgoolam, Paul Berenger et Pravind Jugnauth. Je pense qu’il faut tirer ce qui est bon des rapports Carcassonne, De Smith et Sachs. J’en ferai donc une synthèse et je crois que nous pourrons trouver une solution à nos problèmes.
? Vous pensez donc qu’un troisième rapport, qui n’aura pas été commandité, pourra faire la différence ?
Je ne peux pas vous le dire. Mais ce que je peux dire, par contre, c’est que le PR est une meilleure alternative au BLS et va assurer une meilleure représentation de toutes les composantes de la nation. Je compare le BLS à une machine de dactylographie qui est rude, brutale, qui fait des erreurs et qui ne marche pas toujours. L’alternative proposée par Carcassonne est, elle, un iPad.
Propos recueillis par Deepa Bookhun
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