Publicité
Rama Valayden : «Nous pataugeons dans un conservatisme du XIXe siècle»
Par
Partager cet article
Rama Valayden : «Nous pataugeons dans un conservatisme du XIXe siècle»

Diriez-vous que nous avons une conscience réformiste à Maurice ?
Nous avons un vocabulaire réformiste, parfois même révolutionnaire, mais nous pataugeons dans un conservatisme du XIXe siècle. Tout cela s’accompagne souvent de peurs grandissantes, des peurs de plus en plus irrationnelles. Dans ce continuum réactionnaire, la majorité de nos politiques sont comme des cerfs-volants qui se laissent influencer par la température et l’humeur suscitées généralement par un mélange d’organisations obscurantistes et des intérêts privés qui sont très forts à Maurice. Et là, je ne parle pas que des intérêts du secteur privé.
Nos structures politiques bloqueraient-elles les réformes ?
Il faut savoir que la notion de République ne se manifeste que le jour de l’annonce des résultats des élections à Maurice. Le système démocratique aide les forces obscurantistes et les intérêts privés que je viens de nommer à faire perdurer certaines pratiques.
Vous avez été «Attorney General» et en tant que tel, avez tenté des réformes. Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Voyons d’abord comment un ministre procède pour mettre en place une réforme. Il se fonde sur le programme gouvernemental, sur ses engagements personnels et s’appuie sur la vision du chef du gouvernement. Il peut aussi avoir recours aux rapports réalisés précédemment et qui ne sont pas controversés. Tout cela est ensuite décliné dans le discours du président de la République. Toute réforme à Maurice passe par l’Assemblée nationale. Or, cette dernière est devenue simplement une machine à passer des lois. Il n’y a pas de débat autour. Généralement, un ministre envoie un projet de loi au bureau du Premier ministre (PM). Le projet de loi est étudié par une équipe de ce bureau et, souvent, par le PM lui-même. Le ministre et son équipe prennent des semaines, voire des mois, à préparer ce projet de loi. Le bureau du PM prend, lui, un jour pour décider si le projet de loi passera au Conseil des ministres. Si la décision est favorable, le projet de loi est envoyé au président de la République. Celui-ci, dans sa sagesse, avisera le PM d’éventuelles réserves. En fin de compte, ce n’est qu’à la veille du Conseil des ministres, soit le jeudi après-midi, que tous les ministres prennent connaissance de l’agenda du lendemain. Donc, le projet de loi passera devant une équipe de ministres qui n’auront même pas eu le temps d’étudier sa pertinence. Au Conseil des ministres, il faut un consensus sur le projet ou alors des ministres demanderont à revoir certaines choses. Ce processus est l’une des grandes difficultés du Cabinet Government.
Le problème est donc structurel et systémique ?
Un véritable débat autour d’une réforme, c’est un exercice pédagogique pour aboutir à un consensus. Or, souvent, les conservateurs avanceront des arguments comme le fait que ce ne serait pas le bon timing. Au fond, il n’y a qu’un pseudo-débat à Maurice. C’est le système qui fait cela. Nous avons encore un système de War Cabinet de Churchill. Il y a trois types de documents qui sont circulés au Conseil des ministres : le Memorandum, qui invite les ministres à donner leur avis sur un projet de loi l’Info Paper, qui traitera, par exemple, d’une prochaine fête religieuse et de son organisation et enfin les Notes for Mention, où les ministres prennent connaissance de certains faits, à l’instar de l’obtention par des Mauriciens de médailles d’or à des compétitions internationales. C’est pour dire que si nous ne réformons pas le processus décisionnel, nous n’aurons pas de système permettant le débat.
Lorsqu’à 14 heures ou 14 heures 30, le Conseil des ministres décide d’aller de l’avant avec un projet de loi, ce dernier sera présenté le mardi suivant au Parlement. Donc, les députés prennent connaissance de cette décision le samedi car le vendredi, jour du Conseil des ministres, le marché de Port-Louis est bien plus rempli que les bureaux de la capitale. Les députés n’ont pas véritablement le temps d’étudier le projet de loi. Tout cela explique qu’il n’y a pas de débat en fin de compte.
C’est peu encourageant pour la démocratie…
Nous n’avons pas de culture démocratique. Il faut revoir le fonctionnement de l’Assemblée nationale. Il faut réformer la Constitution et le Conseil des ministres. En fait, chaque ministre devrait avoir autour de lui un mini- cabinet, composé de personnes capables de débattre des sujets de fond. Actuellement, les équipes les plus réformistes du lot gouvernemental sont l’Economic Unit et l’équipe au bureau de l’Attorney General. Par ailleurs, il y a le conservatisme du service civil. Ce dernier n’est là que pour la mise en place des projets. Les personnes qui s’y trouvent ne sont pas dans une dialectique de réflexion dans l’intérêt des citoyens.
Que faut-il, par conséquent, faire ?
Il faut commencer avec la Constitution. Nous ne disposons pas d’une Constitution qui a engagé la participation populaire dans son élaboration même. Trente-cinq ans après l’éducation gratuite, il faudrait une Constitution qui favorise la conscience citoyenne de demain. Maurice se doit d’explorer de nouvelles frontières. Il y a des horizons à franchir. Il nous faut une Constitution démocratique car le mode d’élections n’est qu’un seul des outils de la participation citoyenne. Il faudrait élargir cette participation par d’autres moyens. L’égalité des chances doit devenir un droit constitutionnel. Autrement, il y aura toujours des gens qui penseront qu’ils ont besoin de porte-parole.
Comment tenir compte des enjeux aussi vitaux que la liberté d’expression, les droits des animaux, la laïcité ou encore l’environnement dans un monde qui a connu maintes mutations ? Il s’agit donc de revisiter certains concepts. Pour cela, une réforme constitutionnelle est incontournable. Il est vrai que d’aucuns diront que ce n’est pas le «bon timing» ou encore que le «peuple n’est pas encore prêt». Mais, il ne faut pas perdre espoir. Il ne faut pas cesser de se battre. Il faut que des voix continuent à se faire entendre. La République mauricienne contemporaine doit se préparer à faire face à la modernité, voire à la postmodernité.
Nous sommes dans un contexte hautement évolutif où les données peuvent changer à n’importe quel moment. Il s’agit de s’y préparer en conséquence. Nous ne pouvons pas rester fi gés avec des textes qui remontent à des décennies. Nous nous devons de devenir une société réformiste prête à affronter des situations inédites. Si l’on veut s’inscrire dans ce monde moderne, il est inévitable de revoir certaines choses. Nous pouvons le faire. Il faut juste avoir plus de volonté et moins se soucier des lobbies ou des autres susceptibilités. Il y a également la notion de démocratie où nous pouvons aller encore plus loin. Il faut réfléchir au fonctionnement de certains corps parapublics car tout ne se décide pas seulement au niveau d’un ministère. Ainsi, la question de l’eau est traitée par la Central Water Authority, celle de l’électricité par le Central Electricity Board. Ce sont des enjeux majeurs qui touchent à la vie quotidienne des gens. Aujourd’hui, tout le monde veut des élections. Mais, on ne parle pas du financement des élections. Ou encore du fait qu’un candidat ne soit membre que des associations composées d’une seule caste. Personne ne veut sortir du système.
Propos recueillis par Nazim ESOOF
(l’express iD, jeudi 6 octobre)
Publicité
Publicité
Les plus récents




