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Rama Valayden, ancien ministre de la justice : «Après la DBM, ils vont privatiser MK, la STC, l’eau et l’électricité»

25 février 2012, 09:42

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L’ancien «Attorney General» du gouvernement Ramgoolam a pris ses distances de la politique et, en même temps, du recul. RamaValayden tire la sonnette d’alarme sur les intentions du gouvernement de privatiser la DBM et d’autres compagnies. Maurice est en train de perdre son autonomie, dit-il.

? Vous avez quitté votre poste de secrétaire général du PMSD à un mauvais moment, semble-t-il. Ce parti est aujourd’hui un partenaire très important du gouvernement. Pas de regrets ?

Non, je n’ai pas de regrets. J’ai quitté la politique, ce qui fait que j’ai pris mes distances du PMSD. Cela m’aide à me ressourcer, à me rendre compte, par exemple, à quel point les politiciens sont désormais impuissants devant la mondialisation.

Nous sommes devenus des esclaves modernes, dictés par des puissances venues d’ailleurs. Cela sert à quoi d’être ministre si l’on a les mains liées par des organisations internationales qui dictent des décisions qui ne sont souvent pas dans l’intérêt des peuples ?

Les ministres deviendront petit à petit des guignols, et je ne parle pas que de Maurice.

Aujourd’hui, c’est l’Organisation mondiale du commerce qui décide de ce que divers pays doivent faire. Le dernier exemple en date est la Banque de développement (DBM), l’un des derniers vestiges qui est tombé.

? Vous voulez dire que la décision de rechercher un partenaire stratégique pour la DBM est une décision imposée ?

Je prends un autre exemple pour que vous compreniez mieux ce qui est arrivé à la DBM.

On a laissé Air Mauritius pourrir pour que, dans un futur proche, le secteur privé international se l’approprie.

? Il y a effectivement des rumeurs à ce sujet, mais pourquoi ferait-on une telle chose ?

Comprenez-vous pourquoi et comment une compagnie comme Air Mauritius est allée à la dérive ? Avec tout cet argent que l’on investit dans la promotion, avec tous les touristes qui voyagent sur Air Mauritius, je refuse de croire que la compagnie va aussi mal que cela. D’ailleurs, je comprends pourquoi Raj Bungsraz voulait s’entretenir avec Harry Tirvengadum. J’imagine qu’il ne comprenait pas ce qui clochait. L’excédent de personnel est un autre problème, mais ce n’est certainement pas cela qui a causé la déroute d’Air Mauritius. L’on essaie toujours de trouver plusieurs excuses pour justifier la situation.

Hier c’était le hedging, aujourd’hui ce sont les lignes déficitaires. Bref, on ne fait que prendre des décisions qui n’ont pas de sens, et l’Etat continuera à perdre de l’argent.

? Jusqu’à trouver un partenaire stratégique ?

Ecoutez, nous avons perdu Mauritius Telecom (MT), et nous avons perdu des milliards.

Il n’y avait aucune raison de faire ce deal avec France Telecom et pourtant, on l’a fait. Et personne ne veut en parler aujourd’hui, quand c’est trop tard.

De la même manière, nous allons perdre Air Mauritius, la DBM... Nous avons perdu la Mauritius Cooperative Central Bank de la même façon dans le passé. Avant, nous avons perdu la coopérative en tant que notion, mais passons. La même chose va se passer pour le nouvel aéroport qui sera imbriqué avec les Français. Nous allons bientôt perdre la State Trading Corporation parce qu’il y a la volonté de faire croire qu’elle n’est plus utile. L’Etat, petit à petit, est en train de se désinvestir de ses activités – il l’a d’ailleurs annoncé lors du budget.

? Mais pourquoi, si votre théorie est juste, est-ce que l’Etat voudrait tout mettre entre les mains des opérateurs étrangers ?

Parce qu’ils sont tous devenus prisonniers d’une certaine logique, d’une certaine pensée.

? Que gagne le gouvernement en faisant cela ?

Je ne sais pas ce que le gouvernement a gagné, mais je peux vous dire que le pays n’a rien gagné. Ils croient que le peuple est stupide.

Par ailleurs, nous allons vers la privatisation de l’eau. Il n’y aura pas de water rights, ils vont laisser le problème se dégrader et après, ils diront qu’ils vont devoir privatiser l’eau.

S’ensuivra la privatisation de l’électricité. Cela a d’ailleurs déjà commencé.

? Vous étiez au Conseil des ministres quand cela a commencé, à l’époque de la vente des actions de MT aux Français. Quelle était l’explication donnée ?

Non, ce n’était pas nous la décision avait déjà été prise. Mais je vous le redis : le cabinet n’est plus une instance de décision.

Croyez-moi, je sais de quoi je parle. Je me demande même si le bureau du Premier ministre est un centre de décision. Idem pour le ministère des Finances. Allez poser n’importe quelle question au ministre des Finances et il vous dira qu’il ne peut pas s’ingérer. Dans ce cas-là, pourquoi élit-on un gouvernement ? Aujourd’hui, personne n’a plus de vision, car nul ne peut prendre de décision. Cela, parce qu’il y a un bloc qui décide pour tout le monde.

? C’est cela la mondialisation non ?

Non, c’est l’ultra capitalisation. Si c’est la mondialisation pour combattre la pauvreté ou l’inégalité, je dis oui. Mais la mondialisation pour mettre tout entre les mains d’un petit groupe ? Pour augmenter l’inégalité ?

? Un gouvernement peut choisir de ne pas suivre ce courant ?

Oui, mais encore faudrait-il qu’il y ait la volonté ! A différents niveaux, pas seulement à celui des décideurs. Qu’en est-il de la fonction publique aujourd’hui ? Les fonctionnaires ont été paralysés malgré eux. Dans ce cas, comment fait-on ? S’il n’y a pas une prise de conscience de la population, un éclatement, on ne pourra rien faire. Voyez actuellement, il y a des émeutes au Chaudron, à La Réunion, il y a eu des émeutes à Madagascar…

? A Maurice aussi il y en a eu, sauf que c’était pour les mauvaises raisons. A La Réunion, ils manifestent leur mécontentement face au coût de la vie. Ici, on se plaint, mais on ne fait rien. Finalement, on a le gouvernement qu’on mérite...

Oui, le gouvernement est le refl et de soi.

? C’est ce que vous avez retenu de votre incursion dans le pouvoir ?

Ce que je retiens, c’est que le terme «pouvoir politique» est un mensonge. Il y a un pouvoir international très fort et le système vient s’imbriquer sur des lobbies – même pas sectaires ! Les lobbies sectaires, c’est pour la galerie, elles n’ont aucune influence.

? Une façon de détourner l’attention des vrais problèmes ?

Oui. Vous savez, à un moment, il y avait les fous du roi, des clowns qui amusaient non pas le roi mais la galerie, pour que le roi puisse faire ce qu’il voulait. Aujourd’hui, pour ne pas avoir à parler de l’économie et des autres problèmes, nous montrons du doigt les socioculturels.

La vérité, c’est qu’en matière économique, l’influence des socioculturels est nulle.

? Toujours est-il qu’il y a une atmosphère malsaine dans le pays à cause de ces soi-disant socioculturels.

Tout à fait. Et si on ne décante pas cette situation, ce sera dangereux. Mais tout cela est irrationnel. Car ce sont des personnes frustrées qui s’accrochent à ces problèmes imaginaires. C’est la frustration, c’est la constipation intellectuelle. Il y a un abêtissement du peuple. Nous avons atteint un niveau d’inculture extraordinaire.

? Et un abêtissement du peuple aide un gouvernement ?

Bien sûr. On commence à trouver des sujets pour divertir le peuple pour que la classe gouvernante puisse continuer à opérer en toute quiétude. Comme à l’époque des Romains. Et le temps aura passé, on aura privatisé. Je demande aux gens de faire attention quand ils entendent le terme «partenaire stratégique». On prétend que c’est de knowhow dont le pays a besoin. Si c’est de knowhow dont on a besoin, pourquoi faut-il un partenaire stratégique ? Pourquoi ne pas aller chercher des individus qui ont du know-how et qui sont disposés à nous aider ?

? Pourquoi ne posez-vous pas la question à votre ancien leader, Xavier Duval ?

Vous savez, peu importe qui est le ministre des Finances, on n’en a plus besoin, car le système est en pilotage automatique. Et c’est cela l’essentiel : nous sommes en train de perdre notre autonomie.

 

par Deepa BHOOKHUN