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Rama Valayden avocat : «Pourquoi la police veut me broyer»

21 octobre 2013, 16:58

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Rama Valayden avocat : «Pourquoi la police veut me broyer»

Il tombe la robe et offre le thé. Jeudi, l’avocat sulfureux a basculé de l’autre côté de la barre, en tant qu’accusé. Il dénonce une cabale policière et se prépare à la guerre. Contre-interrogatoire d’un drôle d’animal, qui se voit mi-tigre, mi-rossignol.

 

Vous paraissez lessivé…
Je dors mal. Au réveil ce matin [vendredi, ndlr], j’ai eu peur. C’est la première fois que je ressens de la peur dans ma vie d’adulte.

 

Peur de quoi ?
Toute cette histoire avec la police, c’est allé loin. Jeudi, j’ai senti qu’ils allaient m’accuser d’avoir commandité l’assassinat de Denis Fine. Ils ne l’ont pas fait mais ce n’était pas loin. Jusqu’à ce matin, ça m’a hanté.

 

Vous avez essayé les tranquillisants ?
Non, ça mange l’esprit ces trucs-là, ça vous transforme en légume, or c’est précisément ce que la police veut faire de moi.

 

Qu’est-ce qui pourrait vous détendre, là ?
Rentrer chez moi et arroser mon pommier. Rien que pour ça, ça m’aurait contrarié de finir en cage.

 

En cage comme une bête féroce ou un oiseau rare ?
Les deux. Je me sens tigre, j’aime cet animal. Je suis un peu rossignol aussi, mais je ne chante pas.

 

Vous faites chanter ?
Non plus.

 

Vous êtes accusé d’avoir entravé le cours de la justice dans l’affaire des pots-de-vin à la Cour suprême. Akee Bhikajee, qui fait partie des prévenus, prétend que vous l’avez incitée à revenir sur sa déposition. Vous plaidez quoi ?
Non-coupable, cette dame ment. En vingt ans de carrière et quelque 20 000 affaires traitées, pas une fois, pas une, j’ai demandé à un client de revenir sur sa déposition. Zame, zame, zame ! Je mets au défi le Central CID de prouver le contraire.

 

Pourquoi cette dame aurait-elle inventé cette histoire ?
Pour foutre dans l’embarras l’un de ses employeurs, Mahendranath Dindyal. Ce monsieur accuse Akee Bhikajee d’avoir volé 26 millions à Jean-Michel Lee Shim. Pour se protéger, Bhikajee est allée raconter à la police que Dindyal et moi, nous avions comploté ensemble pour qu’elle revienne sur son témoignage. C’est lui qu’elle veut faire tomber, pas moi. Je suis un collateral damage. [Mahendranath Dindyal et Akee Bhikajee étaient tous deux partenaires de Jean-Michel Lee Shim, le patron de SMS Pariaz, ndlr.]

 

Un avocat n’est pas plus convaincant, normalement ?
Elle ment, je vous dis ! Son histoire de brutalité policière ne tient pas la route, jamais je ne lui aurais conseillé d’inventer une chose pareille. A chaque fois que j’ai eu affaire à un cas de brutalité, j’ai fonctionné de la même manière. D’abord je médiatise, ensuite j’écris à la Human Rights Commission et au commissaire de police, et enfin j’informe le magistrat.

 

Pourquoi soudainement aurais-je changé mon mode de fonctionnement ? C’est grotesque.
Elle a voulu se venger, c’est tout.

 

Se venger de quoi ?
Fin juillet, Mme Bhikajee a débarqué furieuse  dans mon bureau, li vinn zour mwa. Elle m’a reproché de ne pas être venu à son secours le jour de son arrestation. Selon elle, si je m’étais présenté aux Casernes centrales, elle aurait été relâchée et elle n’aurait pas fait deux semaines de prison. Elle se trompe. Aucun avocat n’aurait pu lui éviter ça, sauf peut-être le Premier ministre...

 

Pourquoi l’avez-vous « plantée » là-bas ?
Je ne l’ai pas plantée, elle n’était pas ma cliente ! Des proches de cette dame m’ont sollicité après son arrestation, mais ce n’était pas franc, ils tergiversaient. En plus, elle avait déjà un avocat. Au bout d’un moment, j’ai dit à ces gens : mo pa le rant ladan. Mi-août, Mme Bhikajee est revenue à de meilleurs sentiments, et là, je l’ai représentée officiellement. Ça a duré un mois et demi, jusqu’à ce qu’elle vienne déposer contre moi.

 

Ils sont passés où les 26 millions qui ont disparu du coffre de M. Lee Shim ?
Je n’en sais rien. (Il prend un ton ironique) Demain, ça ne m’étonnerait pas que Mme Bhikajee vienne dire qu’elle m’a remis cet argent. Je m’attends à tout maintenant.

 

Pourquoi un avocat a-t-il besoin de six confrères pour le défendre ?
Quinze avocats étaient avec moi, pas six.

 

Pour impressionner qui ?
Le but n’était pas d’impressionner. A chaque fois que j’ai eu un problème avec la justice, je me suis présenté avec un panel d’avocats (on coupe)….

 

A chaque fois, c’est combien de fois ?
Quarante-sept.

 

Votre panel, c’est un bataillon en fait…
Ce sont tous mes amis, ils m’offrent leurs services, je n’ai aucune raison de refuser. D’autres confrères encore voulaient venir m’assister, mais la police a dit stop, pas plus de quinze.

 

Vous avez passé la semaine en mode Calimero, «la police me persécute», «on veut ma peau», etc. On vous a connu plus créatif…
Attendez, je ne joue pas là. La police m’a inculpé pour complot sans même aller vérifier des choses basiques, comme un texto de Mme Bhikajee me disculpant. Ce n’est pas compliqué de faire parler le téléphone de cette dame, mais non, « nou pa pou gete », ont dit les enquêteurs. Ils ont même refusé de consigner toute ma défense, «nou aret la mem, nou ale». La vérité, c’est que la police veut me broyer. Ils m’ont interrogé sur l’assassinat de Denis Fine et sur la fraude à la Bramer Bank. Evidemment, aucune charge n’a été retenue parce que ces accusations ne tiennent pas la route. La police le sait mais elle s’acharne, c’est comme ça, je suis devenu une cible.

 

Ça flatte votre ego, pas vrai ?
Non, ce n’est pas mon ego qu’ils visent. Ils veulent me rendre fou, or c’est l’inverse qui s’est produit jeudi. Non seulement j’ai répondu à toutes les questions, mais en plus j’ai fourni systématiquement des documents qui attestaient mes dires. Je sais ce qu’ils cherchent à faire, ils veulent me transformer en légume. Avant, pour supprimer quelqu’un, on appuyait sur une gâchette. Aujourd’hui, on s’en prend à sa capacité de penser, on anéantit son cerveau. Mais ils ne m’auront pas, pas comme ça. C’est moi qui remettrais mon esprit au seigneur.

 

Pourquoi seriez-vous une cible ?
Je milite pour la création d’un syndicat de policiers, ça ne plaît pas aux Casernes centrales. Quand j’étais Attorney General, j’ai dit qu’aux yeux de la police, « enn rasta se enn pie gandia ki pe marse », ils n’ont pas oublié. Aujourd’hui, je m’apprête à contester juridiquement la nouvelle carte d’identité biométrique, ça passe mal. J’ai également travaillé sur l’affaire Harte, sur celle de l’Amicale, deux damning reports pour la police. J’ai clairement démontré comment les enquêtes sont bâclées. Je ne dis pas que les enquêteurs sont malhonnêtes, non, ils travaillent de bonne foi, mais ils se précipitent ; la précipitation est l’art des cons. Bref, pour toutes ces raisons, une section de la police m’a désigné comme l’ennemi. Je ne mets pas tous les policiers dans le même panier, je ne crois pas à un complot généralisé, mais je sais que l’ordre pour me nuire vient de très haut.

 

Une référence divine ?
Non, je cherche plus bas. Des enquêteurs eux-mêmes m’ont dit qu’ils ont eu des directives. Pendant l’interrogatoire, l’un d’eux était dans ses petits souliers, il s’est excusé, «sorry gourou, nou gagn lord, ki pou fer».

 

Lord la, be kot sorti ?
Je cherche, j’ai commencé ma petite enquête.

 

Vous cherchez où ?
Dans l’entourage du commissaire de police.

 

La police a très officiellement démenti vos propos.
Elle prétend mener une enquête de façon «indépendante» et «impartiale»… Manifestement, nous n’avons pas le même dictionnaire.

 

Vous chercheriez en fait à intimider les Casernes centrales…
(Rire) C’est m’accorder trop de pouvoir ! Ah ça, j’aurais aimé pouvoir intimider la police… Vous savez ce qui les dérange aussi ? Mon indépendance. Je défends tout le monde, des ministres mais aussi les ennemis du gouvernement.

 

Qui êtes-vous, en fait ?
Bonne question. Je me cherche... Sincèrement, qui se connaît dans ce monde ? Je suis comme Socrate en arrivant à Delphes, je cherche à me connaître.

 

On dirait que ça rend philosophe les ennuis…
Je ne suis pas philosophe, juste moi-même, un homme qui se cherche.

 

On dit que l’homme qui se cherche était récemment dans les petits papiers du Premier ministre…
Avec lui, c’est difficile de savoir. Peu importe, la vraie question est de savoir si le Premier ministre est dans mes petits papiers (rire)… La réponse est oui, c’est un ami. Même Bérenger était dans mes bons papiers jusqu’à jeudi, jusqu’à ce qu’il déblatère des imbécillités en faisant mon procès.

 

Le poste d’Attorney General…
(Il coupe net d’un ton ferme) C’est non. La politiquepou pass diber ne m’intéresseplus. Je suis pour lemouvement des idées.

 

Quelles idées ?
Républicaines, laïques, modernes, libertaires. En 1992, je militais déjà pour le droit de vote à 16 ans.

 

En 2015, pas de comeback en vue ?
Non, j’ai mûri, j’ai décidé de faire de la politique autrement. Je ne veux plus avoir à quémander un vote.

 

Vous êtes blasé ?
Non, c’est juste que je n’ai pas la force d’aller mentir aux gens.

 

C’est ce que vous faisiez ?
Non… et j’ai perdu à chaque fois. J’ai été élu une seule fois, la première, aux municipales de 1996, ensuite j’ai toujours été battu. Les Mauriciens croient au loup-garou, c’est malheureux. Enn pep ki krawr dan lougarou, fer zot per, fer zot krwar tou zafer et vous gagnez leurs votes. Je n’ai aucune envie de participer à cette mascarade.

 

C’est qui le loup-garou ?
Le religieux, l’irrationnel, la superstition, les castes, les tribus socio-économiques.

 

La prison, vous vous y préparez ?
Non. J’y ai goûté une fois, ça m’a suffi. Remarquez, c’était pour une bonne cause, j’avais enfariné Jean-Marie Le Pen à l’aéroport. J’avoue que je suis assez fier de ce coup-là…