Publicité

Ramesh Rughooputh, ex-vice-chancelier de l’Université de Maurice : «Pourquoi Jeetah et Jugessur m’ont éliminé…»

12 août 2013, 09:48

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Ramesh Rughooputh, ex-vice-chancelier de l’Université de Maurice : «Pourquoi Jeetah et Jugessur m’ont éliminé…»

Mercredi (7 août), l’université a dévissé au burin son vice-chancelier, deux ans avant le terme de son contrat. « Humilié », « poignardé », Ramesh Rughooputh règle ses comptes avec son administration. Et il y va au mortier.

 

Alors, ces vacances : vous partez où ?

 

(Abattu) Des vacances ? Je n’ai ni les moyens, ni la tête à ça. Je viens de prendre la plus grosse claque de ma carrière. On m’a débarqué sans la moindre explication (il appuie), personne n’a eu la décence de me dire ce qui m’était reproché. Je me suis senti humilié.

 

C’est le sentiment qui domine ?

 

C’est un mélange de tristesse et d’abattement. De la colère, aussi. La manière dont on m’a traité ne passe pas. (Très ému) Après 37 ans d’université, 37 ans d’efforts, mon sort s’est joué en deux minutes. J’ai pris un coup de poignard dans le dos.

 

Qui tenait le poignard ?

 

Le conseil d’administration et son chairman [le Pr SoodursunJugessur, pro-chancelier de l’université,ndlr]. Ce board est la marionnette du ministre. Les membres du conseil prennent leurs instructions de Rajesh Jeetah.

 

Quelles sont vos relations avec le Pr Jugessur ?

 

Courtoises, sans plus. Cet homme a mon respect mais c’est un frustré. Il pensait devenir président de la République à la place de Kailash Purryag. Au fond, ça n’a jamais vraiment marché entre nous. Contrairement à lui, je ne fais pas de politique.

 

Et avec Rajesh Jeetah, quel était le problème ?

 

Au début, nous avions des relations correctes. Ensuite, il est parti dans ses fantasmes d’universités étrangères. Je crois que l’épanouissement de l’Université de Maurice n’a jamais été sa priorité, il avait autre chose en tête. Je suis un administrateur, un chercheur, un pédagogue. Lui, il fait de la politique, sa priorité est de plaire. Li ti kapav dir nimport kwa, personn pa dir li nanye. C’est lui et le Pr Jugessur qui ont décidé de m’éliminer. Comme par hasard, la veille, ils se sont rencontrés.

 

Vous avez enquêté ?

 

J’ai simplement consulté notre logbook. Jugessur est allé voir Jeetah mardi matin. Je n’ai jamais été dans les petits papiers du ministre. Dès le départ, je n’étais pas son choix. Peut-être qu’il souhaitait un vice-chancelier plus docile, un homme à ses ordres. Il a bien essayé mais ça n’a pas marché. C’est un malin, il n’a jamais rien exigé par écrit. Mais moi aussi je suis malin (sourire en coin).

 

Cette « résistance » vous a-t-elle coûté votre poste ?

 

Je pense que oui, en grande partie. Le chairman et le ministre attendent d’un vice-chancelier qu’il soit obéissant. Ils veulent diriger l’université à leur guise, en pratiquant le clientélisme. Ils m’ont éliminé parce que je n’ai pas voulu être leur marionnette.

 

Pourquoi maintenant ?

 

Je ne sais pas, demandez-leur. La campagne de recrutement qui arrive a peut-être joué. L’université s’apprête à embaucher une armée de nouvelles têtes, dont deux pro-vice-chanceliers. MM. Jeetah et Jugessur savent que je ne suis pas la personne idéale pour sélectionner les petits copains.

 

Le jour de votre nomination, le 19 juin 2012, vous avez dit vouloir « rehausser l’image » de l’université. Et si c’était là que vous aviez failli ?

 

Non, ce serait injuste. J’ai ramené l’ordre et la discipline, j’ai intégré de nouveaux cours et proposé 34 projets de recherche, je suis fi er de mon bilan. Regardez ce document : il y a encore quelques semaines, le board me félicitait pour la qualité de mon travail, zordibizin met mwa deor. Quelle hypocrisie… C’est comme ce ranking paru la semaine dernière. On a dit partout que l’Université de Maurice était 97e en Afrique, mais ce classement n’a rien à voir avec la qualité des enseignements. C’est un indice de visibilité sur le Web. Ce qui a été noté, c’est la popularité des sites Internet des universités africaines [ce qui a effectivement échappé à presque tous les commentateurs, ndlr].

 

Votre sort se serait donc joué en deux coups de cuillère à pot. Que s’est-il passé mercredi ?

 

Le matin, le board avait un special meeting. Rien à voir avec moi, nousdevions étudier les recommandationsd’un comité. A la fin de la réunion, lePr Jugessur nous a invités à prendreune tasse de thé. Bizarrement, tout lemonde est resté. Le professeur s’estapproché pour m’annoncer la tenueimmédiate d’un second meeting. Jesuis tombé des nues.

 

Vous n’étiez pas au courant ?

 

Non ! J’ai reçu ma convocation juste avant le début de la réunion. L’ordre du jour était vague : « Post of vice chancellor ». Nous sommes entrés, le Pr Jugussur a pris la parole : « Nous sommes là pour discuter de la fin du contrat de M. Rughooputh». On m’a demandé de sortir, out… Deux heures plus tard, ils m’ont rappelé. Il restait le Pr Jugessur et deux autres membres du board, qui me regardaient comme un criminel. Du bout des doigts, le Pr Jugessur m’a tendu une enveloppe: « Prenez ça et signez. » Rupture de contrat avec effet immédiat, terminé.

 

Un vote à l’unanimité…

 

Qu’ai-je bien pu faire de si terrible? Ce qui fait mal, c’est que je n’ai même pas eu l’occasion de me défendre. Si j’ai failli, mettez-moi devant un comité disciplinaire!

 

Quand vous ouvrez cette lettre, vous ne posez pas de questions ?

 

Bien sûr que si ! « Damning report », m’a répondu le Pr Jugessur, « toutle monde sait », a-t-il ajouté. Tout le monde sait, mais pas moi ! J’ai insisté mais il n’a pas voulu me répondre. Je me donne le week-end pour faire le point avec des camarades avocats. Je prendrai une décision mardi.

Que voulez-vous dire ?

 

Je n’ai pas dit mon dernier mot, je suis en train de préparer quelque chose…

 

Une action légale ?

 

Pas forcément, vous verrez bien.

 

Pourquoi suscitiez-vous autant d’animosité sur le campus ?

 

C’est faux. Sur mille employés, j’avais peut-être vingt détracteurs, mais ces vingt personnes ont fait beaucoup de bruit. Vous savez pour quoi ? Parce que j’ai mis de l’ordre. A ma prise de fonctions, c’était le bazar, chacun faisait ce qu’il voulait, il n’y avait même plus d’horaires. J’ai dit stop, désormais fi ni les largesses. Et là, à chaque refus de ma part, les déçus allaient pleurnicher dans le bureau de Rajesh Jeetah ou du Pr Jugessur.

 

Quel genre de pleurnicherie ?

 

Par exemple, un jour, une dame du Registrar demande un chauffeur pour se rendre à un cocktail. En examinant le bon de transport, je m’aperçois que ce cocktail n’a rien à voir avec l’université, cette dame s’y rend à titre strictement personnel, donc je refuse. Ce jour-là, je suis devenu un dictateur aux yeux de cette dame.

 

Vous l’étiez aussi pour un paquet d’étudiants…

 

Ce n’est pas vrai. Là encore, quelques râleurs ont crié plus fort que des milliers d’étudiants satisfaits. Vous savez pourquoi la Students’Union m’a black-listé ? Parce que j’ai refusé de débloquer un million pour un tournoi de football à Cape Town. Une équipe a voulu y aller ; un voyage à Rs 950 000, j’ai refusé de payer. Est-ce la vocation de l’université de dépenser autant d’argent dans un tournoi de football ? Je veux bien financer un projet à hauteur d’un million, mais pas pour une vingtaine d’étudiants alors que l’université en compte 13 000 !

 

Si vous aviez accepté…

 

(Il coupe) J’aurais probablement eu moins d’ennuis avec la Students’Union. Sauf que je travaillais pour une institution publique, pas pour quelques jouisseurs.

 

On vous a souvent reproché de mettre votre nez partout…

 

If you want to kill a dog, give it a bad name. J’étais payé pour mettremon nez partout ! A l’université, ily a des chasses gardées. Un certainnombre de personnes profitent delargesses en toute impunité. Récemment,le département financiera réclamé Rs 500 000 d’heures supplémentaires,juste pour calculer lesnouveaux salaires préconisés par lePRB. Un demi-million, c’était clairementde l’abus !

 

Qu’avez-vous fait ?

 

J’ai dit non, j’ai renégocié et je me suis fait de nouveaux ennemis. Un bon vice-chancelier est-il censé rester dans une tour d’ivoire, loin de tout ? Je ne suis pas comme ça. En plus, je n’avais pas d’adjoint, si je ne m’impliquais pas, le travail n’avançait pas. Le board m’a même demandé d’assurer l’intérim sur plusieurs postes vacants. J’aurais aimé déléguer, mais à qui ? Tenez, cette semaine on est tombé en panne de papier toilette, j’ai eu à m’occuper de ça aussi !

 

Votre réputation de psychorigide de la discipline est-elle également surcotée ?

 

La discipline, c’est quoi ? Le respect des horaires et du règlement, la courtoisie, la bonne gestion financière. Là-dessus, j’ai toujours été intransigeant, il fallait l’être pour stopper les abus. Un jour, une entreprise est venue couper une branche qui gênait le passage sur le campus de Réduit. L’intendance m’a présenté une facture de Rs 25 000 (il la montre). Forcément, j’ai tiqué. On m’a expliqué : « Oui, mais ils ont coupé trois arbres également ». Ah bon, montrez-les moi. Les trois arbres en question avaient été abattus deux ans plus tôt. Aurais-je dû payer les Rs 25 000 ? Mais enfin, on parle d’argent public ! Venez avec moi, vous allez comprendre (Il nous demande de lesuivre dans sa cour)... Voilà, c’est ici que je vis. Le chemin n’est même pas asphalté. Regardez le voisinage. Là, c’est un terrain vague et ici on dirait une cité. Chez moi, vous ne trouverez ni Jaguar, ni Mercedes. Par contre, on pourrait tomber sur un rhinocéros tellement les herbes sont hautes. Regardez cette jungle....

 

Que fait-on ici ?

 

(Submergé par l’émotion) Je suis juste un homme simple, un homme droit, sans cravate ni limousine. La misère, je l’ai côtoyée de près. Depuis ce temps-là, j’ai le gaspillage en horreur. Alors oui, j’exigeais systématiquement des devis. Oui, ça ne plaisait pas toujours. J’ai payé cette impopularité au prix fort. Ramesh Rughooputh pa bon, bizin koup so latet.Zot zouen minis, zot zouen Jugessur. Une fois, deux fois, trois fois. Au bout de la vingtième fois, ils ont eu ma peau.

 

Si vous aviez la possibilité de refaire quelque chose différemment…

 

Je ne changerai rien, je n’ai aucun regret, sauf de n’avoir pas eu suffisamment de temps pour réaliser mes projets. Je voulais que mon université grandisse. En un an, j’ai eu à peine le temps de lancer le travail.

 

Vous avez commencé en évoquant un coup de poignard dans le dos. Une heure plus tard, vos vertèbres vont mieux ?

 

Pas vraiment. Peut-être que les douleurs diminueront avec le temps, mais la plaie, elle, restera longtemps.