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Reaz Chuttoo : « Le comité tripartite actuel est une farce »

22 septembre 2010, 10:20

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? Vous publiez un relevé du panier de la ménagère. En quoi consiste-t-il ?

C’est un exercice que nous avons commencé il y a quatre ans. La loi est particulièrement dure en matière de compensation salariale. Et la compensation ne représente jamais la véritable hausse des prix.

Dans le secteur privé, la loi ne prévoit pas de rattrapage et les employeurs en profitent dans le cadre des négociations. Dans le public, par contre, un rattrapage existe tous les cinq ans avec le rapport du Pay Research Bureau (PRB). Il fallait donc créer un instrument simple afin de révéler les véritables hausses de prix.

Nous enquêtons deux fois par an, en juillet et en décembre, auprès d’une centaine de travailleurs. Il s’agit d’un panier de 55 produits de base représentant la consommation d’une famille de condition modeste.

? Comment procédez-vous pour relever les prix ?

Nous allons dans les grandes surfaces. Nous relevons le prix commun dans les supermarchés, et quelques hypermarchés. Pour les légumes, nous établissons une moyenne de prix. En ce qui concerne les quantités, nous nous sommes basés sur les réponses des 100 familles interrogées. Il faut remarquer qu’en quatre ans, tous les articles composant le panier sont restés les mêmes.

? De combien est la hausse de ce panier ?

Sur 8 mois, nous avons constaté une augmentation de 18%. De décembre 2009 à août 2010, la perte de pouvoir d’achat des familles à revenus modestes représente environ Rs 700. Aucun produit n’a connu de baisse de prix. Le riz est resté stable, mais avec la crise alimentaire qui se profile, nous anticipons une forte hausse des produits céréaliers. A noter que souvent les familles pauvres ne peuvent pas profiter des promotions. En effet, s’il faut acheter trois boîtes de fromage pour bénéficier d’une promotion, cela dépasse en général le budget d’une famille modeste.

? Que pensez-vous de l’éventuelle mise en place d’un observatoire des prix ?

Nous sommes tout à fait favorables à la création de cet observatoire des prix. On parle beaucoup de ce concept, mais rien n’a été mis en place pour le créer.

Alors que notre panier pourrait servir de référence. Il faudrait également créer une hotline afin de dénoncer les abus. On peut, par exemple, remarquer qu’on ne retrouve que très rarement dans les poubelles des supermarchés les produits à date de péremption courte qui ne sont plus consommables.

? Que souhaitez-vous en matière de compensation salariale ?

Nous souhaitons un débat ouvert sur la mise en place d’un mécanisme de compensation salariale. Le comité tripartite actuel est une farce. Nous proposons la création d’un salaire minimum national indexé sur le taux d’inflation. Pour les employeurs qui ne peuvent pas payer, il faudrait la mise en place d’un mécanisme de rattrapage. Ce salaire minimum devrait être compris entre Rs 10 000 et Rs 11 000. Pour ceux qui touchent moins de Rs 5 000, il faudrait une intervention de l’État sous la forme d’une exemption de TVA sur l’électricité ou le téléphone, d’une aide à la consommation, ou encore d’une aide à l’éducation des enfants. Nous sommes également partisans d’une contribution des employeurs à un «welfare state fund», sous la forme d’un pourcentage de leur chiffre d’affaires.

Il s’agirait de changer de critère : ne plus penser contribution par tête, mais contribution généralisée.

Nous remarquons que les employeurs contribuent de moins en moins aux fonds de pension. C’est notamment le cas du secteur financier, qui emploie de moins en moins de personnel. Cet argent du «welfare state fund» permettrait d’agir en complément des faibles salaires à la manière d’un «indirect wage». Il s’agirait donc d’une nouvelle approche qui resterait toutefois compatible avec l’économie de marché. Ca marche en Suède, pourquoi pas chez nous ?

? Vous avez déclaré litige à 300 entreprises pour non-respect des lois sur la sécurité au travail. Où en est cette action ?

Notre action a payé. Le gouvernement a pris conscience du problème, et nos propositions font aujourd’hui l’objet de débats. Nous souhaitons qu’un «risk assessment» clair soit proposé aux syndicats, aux employeurs et aux employés. Et en cas d’infraction manifeste en matière de sécurité du travail, nous proposons que l’amende passe de Rs 75 000 à Rs 500 000.

? Vous annoncez que 324 employeurs ignorent le «recycling fee» destiné aux employés licenciés. Que comptez vous faire en la matière ?

Normalement l’employeur doit payer lorsqu’il licencie. Il n’y a pas d’exemption.

Mais nous sommes dans un cul-de-sac légal.

La section du «recycling fee» tombe sous la juridiction du ministère de la sécurité sociale, qui dit ne pas disposer d’informations, et qui ne peut donc pas agir. De son côté, le ministère du travail estime que cela ne le concerne plus. Il y a un manquement dans la loi qu’il s’agit de corriger. Les employés ne peuvent, par exemple, que poursuivre au civil. Nous exigeons un amendement immédiat, car cela concerne 324 employeurs, mais aussi des milliers d’employés.

? Faut-il réformer la loi en matière de licenciement ?

Il faut réformer, car l’idée fondamentale c’est de protéger les employés contre les abus. Il faut aussi introduire un Portable Severance Allowance Fund. Il s’agirait d’un fonds géré par le gouvernement auquel chaque employeur devrait contribuer à hauteur d’une journée de salaire par mois pour chaque travailleur qu’il emploie. Cela permettrait une plus grande égalité entre employeurs et employés. Cela faciliterait également la mobilité des travailleurs.

? Les suspensions à la MBC et à Air Mauritius constituent-elles un risque pour le syndicalisme ?

Il est clair que dans ces entreprises, il y a tellement d’ingérences politiques que le syndicalisme y est menacé. La MBC n’a aucun droit d’imposer une «objection to departure», elle n’est pas au-dessus des lois.

Il y a un front syndical uni contre ces deux sociétés où les employés sont carrément pris en otage. Dans les deux cas, le combat doit être mené en dehors sur un front plus large. La MBC et Air Mauritius sont des entreprises publiques, elles nous appartiennent.

J’appelle donc à une fédération de tous les syndicats pour dénoncer leurs pratiques.

? Justement, la solution passe-t-elle par un regroupement syndical ?

La solution réside dans une véritable prise de conscience syndicale, qui passe par une refonte des repères politiques. Il faut que la vieille garde syndicale passe la main. Elle ne représente plus rien. Nous avons besoin d’une réforme en profondeur du syndicalisme à Maurice. Et logiquement, le regroupement syndical interviendra après.

? Vous venez de rencontrer le ministre des Finances, Pravind Jugnauth. Qu’attendez vous du prochain budget ?

Il faut que le ministère des Finances se préoccupe moins du concept de Duty Free Island et plus des structures de la justice sociale. Avec la nouvelle loi, on a légalisé le licenciement injustifié.

Nous estimons que l’exercice budgétaire doit prendre en compte l’aspect économique mais également la dimension sociale. Nous proposons la création d’un «stabilising fund» pour pallier les hausses de prix exorbitantes sur les produits de base. Il pourrait être financé par une taxe sur les transactions «offshore», par la création d’une TVA spécifique sur les produits de luxe ou l’affectation de 50% des recettes de la loterie. Nous souhaitons aussi, comme je l’ai déjà dit, la création d’un Portable Severance Allowance Fund. Il faudrait également mettre en place un forum permanent de dialogue afin de discuter des grands sujets publics.

Enfin, nous souhaitons l’établissement d’un salaire minimum social qui servirait de référence pour la compensation salariale.