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Reeaz Chuttoo: «La compensation est un aveu de l’Etat que le salaire minimal est de Rs 7 000»

17 septembre 2011, 08:49

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Reeaz Chuttoo, secrétaire de la Confédération des travailleurs du secteur privé (CTSP), tempère le triomphalisme exprimé après l’annonce du taux de compensation et explique la difficulté d’avoir Shakeel Mohamed comme interlocuteur. Il revient sur la faillite du Conseil syndical et explique pourquoi il ne peut travailler ni avec Ashok Subron ni avec les syndicats du secteur public.


? Votre cri triomphal après l’annonce du quantum de la compensation aura un peu surpris. Ce sont les Rs 460 qui vous font jubiler ainsi ?

Non, nous ne sommes pas satisfaits du quantum car nous maintenons qu’il reste un long chemin. Cela dit, nous avons eu deux victoires. D’abord, pour la première fois, ceux qui touchent Rs 3 000 par exemple auront une compensation plus élevée que les autres, soit 11 %, alors que le taux de l’inflation est à 6,6 %. Donc, sur le principe, nous avons gagné cette bataille, même s’il est important de souligner qu’une famille ne peut vivre avec Rs 3 330 par mois. Notre deuxième victoire est que le salaire minimal a été élevé à Rs 7 000.

? Où voyez-vous cela ?

Les gens touchant jusqu’à Rs 7 000 auront droit à une full compensation. En 2008, Rama Sithanen avait ramené le salaire minimal de Rs 4 500 à Rs 2 700.

? Si le salaire minimal était à Rs 7 000, comment se fait-il que, selon vos propres chiffres, 100 000 personnes touchent moins de Rs 5 000 ?

Je ne dis pas que cela veut dire qu’un salaire minimal est en vigueur, mais que selon le barème du gouvernement, ceux touchant jusqu’à Rs 7 000 ont droit au full compensation, donc c’est un aveu que jusqu’à ce point, ces gens ont besoin d’une full compensation. Cela apporte de l’eau à notre moulin car en acceptant ce principe, le gouvernement accepte que ce n’est pas normal que certains travailleurs gagnent moins.

? Entre-temps, le débat sur le salaire minimum n’a pas eu lieu comme l’a proposé Ashok Subron de la Confédération Syndicale de Gauche !

Ce n’était pas le forum ! Les négociations pour la compensation ne concernent que la compensation de la perte du pouvoir d’achat en un an. C’est au National Tripartite Forum que la discussion sur le salaire minimum doit se faire.

? C’est quoi ce «Tripartite Forum» ?

C’est un slogan que Shakeel Mohamed a inventé et qui n’existe pas. À chaque fois que nous avons soulevé la question de salaire minimum, il nous a dit qu’il fallait en discuter au sein du National
Tripartite  Forum, excepté que selon un expert du Bureau International du Travail (BIT), ce genre de forum ne peut pas exister s’il n’a pas force de loi mais jusqu’ici, malgré ses promesses, il n’y a eu aucune proposition de Mohamed au cabinet de voter une loi pour instituer un Tripartite Forum.

? Ses actes ne suivent pas ses paroles, un peu comme les syndicalistes. Vous aviez dit que vous n’iriez pas aux réunions mais vous avez capitulé jeudi !

Ce n’est pas la même chose. Nous avons refusé de participer aux réunions techniques parce que c’est une farce mais nous nous sommes rendus à la réunion de jeudi, où le ministre a annoncé la décision du gouvernement parce que nous voulions que notre réaction sur la décision politique soit diffusée par la MBC puisque dans le passé, les autres confédérations avaient exprimé des sentiments que nous ne partagions pas.

? Ashok Subron dit que vous avez tort de jubiler car il y a des risques que le budget de novembre soit inflationniste comme celui de l’an dernier et absorbe la compensation.

Il a raison et nous ne jubilons pas. Quand on voit que le patronat qui se plaint généralement beaucoup le fait timidement cette fois, on a des raisons de croire qu’on lui a peut-être fait des promesses et qu’il aura quelque chose en retour dans le budget. C’est pourquoi j’appelle à la vigilance.

? Cet exercice a encore démontré la désunion au sein de la classe syndicale. Cela ne sert pas la cause des travailleurs !

Oui et cette désunion a même été notée par le BIT. Mais à Maurice, il y a une classe syndicale hétérogène dont certains refusent la confrontation avec l’État puisque les dirigeants sont eux-mêmes fonctionnaires et ont peur de ne pas avoir de promotion ou d’être victimisés.

? Mais être syndicaliste n’est-il pas en soi une protection contre ces choses-là ?

Vous savez, le problème c’est que certains siègent sur les conseils d’administration et ce genre d’activité est payant. Mais cela donne aussi de facto un contrôle de l’Etat sur ces syndicalistes. Mais en tout cas, désormais au niveau de la CTSP, nous ne croyons plus que nous pouvons fonctionner dans le conseil syndical, qui avait été mis sur pied à l’occasion des négociations sur la compensation salariale. Nous avions proposé que Tulsiraj Benydin  devienne le Président du conseil – c’était d’ailleurs une proposition de la CTSP – mais il nous a déçus et bien qu’il n’y eût pas consensus, il s’est permis de s’exprimer au nom du conseil.

? N’aurait-il pas été plus judicieux que les syndicats du privé se regroupent car vous avez le même combat ?

Définitivement. Il est clair que nous devrons aller dans ce sens. Il y a cependant un problème entre la CTSP et Ashok Subron de la CSG. Ashok Subron a tendance à imposer ses idées alors que dans les syndicats, c’est la démocratie large car il faut permettre que le débat se fasse dans la contradiction. Dans le cadre de la compensation, Ashok Subron a dit qu’il se joindrait au conseil si tout le monde acceptait quatre conditions qu’il voulait imposer. C’est le genre de chose qui fait que c’est difficile de travailler ensemble aujourd’hui, alors que nous partageons les mêmes principes et avons le même combat.

? En tout cas, c’est Subron qui a eu raison en refusant de se joindre au conseil ! Alors que vous avez donné aux politiciens l’occasion de vous traiter avec mépris.

Oui, mais il faut comprendre que l’exercice de compensation salariale est une occasion pour nous de dénoncer le système. C’est vrai que Shakeel Mohamed a dit des syndicats qu’ils sont enfantins. Contrairement à lui, moi, je ne suis pas né avec une cuillère d’argent dans la bouche. Je comprends la souffrance des travailleurs, lui pas. Il n’a pas vécu dans ce milieu et il ne comprend pas à quel point les travailleurs sont en train de souffrir car aujourd’hui, ce ne sont pas les patrons mais le ministère qui fait souffrir les travailleurs. Nous avons atteint un record en terme d’accidents de travail et Shakeel Mohamed prononce toujours de beaux discours. Et il a le toupet de nous traiter d’«enfantins» ? C’est un beau parleur. Il nous avait donné la garantie que les amendements à la loi du travail seraient présentés au cabinet avant le 1er Mai. Nous sommes en septembre.

? Le PM vous conseille de vivre dans la réalité «d’aujourd’hui ». Qu’en dites-vous ?

Avant le début des réunions, Ramgoolam nous avait dit de ne pas faire de surenchère. Les chiffres du bureau de statistiques démontrent qu’il y a 100 000 travailleurs du privé qui gagnent moins de Rs 5 000 par mois et sont en dessous du seuil de pauvreté. L’écart entre les riches et les pauvres augmente. Le PM vous dit de faire des sacrifices mais on apprend qu’il y a un marché en nette croissance pour la marque Porsche. Qui achète des Porsche ? Moi ? Vous ? Il y a un groupe de gens qui n’arrête pas de s’enrichir. Nous ne sommes pas en décroissance l’argent entre dans les caisses de l’Etat mais il y a mauvaise distribution de la richesse.

? Mais quel serait l’intérêt de le faire exprès ?

90% de Mauriciens ne savent pas que les partis politiques n’ont pas d’entité légale et leurs finances ne sont pas auditées. Quand quelqu’un fait un versement, ça va dans le compte d’un particulier ou d’un joint account. Il y a aujourd’hui, une institutionnalisation du trafic d’influence à cause du financement des partis politiques. Donc, si j’ai donné de l’argent à un parti, quand ils arrivent au pouvoir, ils me doivent quelque chose.

Propos recueillis par Deepa Bookhun

Deepa Bookhun

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