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Reza Uteem : « Je me bats pour me faire un prénom »

26 juin 2011, 05:27

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Sa voix est douce, posée, rassurante. Jamais un mot plus haut que l’autre chez cet ex-premier de la classe, « fils de », avocat brillant et député fringant. Reza Uteem n’a pas encore 40 ans et on lui donnerait déjà le bon Dieu sans confession. Ça vaut quand même le coup de vérifier.

Vous êtes à jeun ce matin ?


Non, j’ai déjà pris trois tasses de café.

Et de bières, combien ?

Je n’ai jamais bu une goutte d’alcool de ma vie.

Sur votre page Facebook, votre premier friend s’appelle « Drink Master », ça interpelle…

C’est probablement une pub []vérification faite, ce n’en est pas une, ndlr]. Je vous l’ai dit, je ne bois pas d’alcool, ma religion me l’interdit… (Il est interrompu par le azaan) Même à l’université, où la tentation était grande, je n’y ai jamais succombé. Quand j’ai vu l’état dans lequel se mettaient mes amis, ça m’a immunisé. Je les ai vus faire des conneries monumentales et le lendemain ne se souvenir de rien.

Vous souvenez-vous pourquoi vous faites de la politique ?

La disparition de mon frère Omar en 2007 a précipité les choses. En fermant les yeux, il a ouvert les miens… (Très ému)

Vous l’aimez, votre nouvelle vie de député ?

J’aime participer aux débats nationaux, interroger le gouvernement au Parlement. Mais je reconnais que faire de la politique, c’est difficile. Etre un bon député exige du temps et des sacrifices. Si vous n’avez pas la flamme, si vous n’avez pas une peau de crocodile, mieux vaut faire autre chose.

Il vous arrive de douter ?

Bien sûr, parfois je me demande ce que je fais-là. Et soudain, quelqu’un vous téléphone, il a besoin de vous. Quand je raccroche, je ne doute plus. (L’index pointé) Je fais de la politique pour ça, pour aider.

Pour aider Showkutally Soodhun à se casser le nez ?

(Rires) Non, ce n’était pas le but.

C’est pourtant en répondant à l’une de vos questions au Parlement qu’il s’est mis dans l’embarras sur le dossier Betamax.

Effectivement. Mais ce n’est pas Reza Uteem qui a fait tomber Soodhun. C’est sa franchise, sa transparence qui l’ont perdu. Il a voulu alerter l’opinion publique sur les dangers du tanker de Betamax. Or faire ça, indirectement, c’était critiquer le précédent gouvernement qui avait accordé ce contrat. Soodhun a été éjecté du Commerce parce que Navin Ramgoolam a voulu mettre en garde ses ministres : « Réfléchissez bien avant de critiquer mon gouvernement », voilà ma lecture. Parenthèse : vous savez comment Michael Sik Yuen m’appelle aujourd’hui ? Mon frère...

Un frère à qui vous mordillez les chevilles au Parlement.

Absolument pas. J’interroge le ministre du Commerce, c’est différent. Mon père me l’a toujours dit : « En politique, ne personnalise pas le débat. Discute des problèmes et des solutions. » Malheureusement, Sik Yuen est pire que Soodhun.

Vous n’avez pas retenu la leçon de papa, c’est pas bien.

Sik Yuen se cache derrière les comités. A chaque fois que l’opposition soulève un problème, c’est la même rengaine, il propose de mettre en place un comité. Avec Soodhun, au moins, on avait des réponses.

Vos scènes de ménage avec Rashid Beebeejaun, c’en est où ?

Depuis qu’il est vice-Premier ministre, sa famille prospère et ses mandants souffrent. Y a-t-ilun lien ? Je ne peux pas le prouver. En revanche, je sais que parmi les gens les plus pauvres du pays, vous avez des habitants de Vallée-Pitot et de Tranquebar. D’autres, un peu mieux lotis, ont pu acheter en 2009 un lopin de terre pour faire construire leur maison. Aujourd’hui, ils découvrent que leur terrain est inconstructible depuis 2005, car il se trouve sur le tracé de la Ring Road. Vous imaginez leur situation ? Ils sont où les Beebeejaun, les Hossen ? Ça ne les intéresse pas de défendre ces gens-là ? D’abord l’incompétence, ensuite l’indifférence.

Si le MMM avait remporté les législatives 2010, vous auriez été ministre du Commerce. Quelles auraient été vos premières mesures ?

Ma priorité aurait été de revoir le fonctionnement de la Stade Trading Corporation.

La démanteler ?

Non. Placer des gens compétents aux postes importants.

Megh Pillay appréciera…

Ce n’est pas à lui que je pense. Le problème de la STC, c’est l’absence de contrôle, chacun fait ce qu’il veut. Le rapport Dobson sur le hedging insiste sur ce point : la STC a failli par manque de monitoring. Et ça continue.

Autres mesures ?

Dynamiser le secteur industriel.

Jolie formule bien creuse…

Je parle de diversifier nos produits et nos marchés. On l’évoque souvent, mais concrètement, que fait-on ? Ce n’est pas en envoyant Soodhun faire un tour au Moyen- Orient que l’on décrochera des contrats. Nous avons un handicap, nous sommes loin de tous nos marchés. Orientons-nous vers des industries à forte valeur ajoutée, faisons du high-tech, l’assemblage d’ordinateurs par exemple.

En parlant de valeur ajoutée, quelle est la vôtre au MMM ?

J’apporte du sang neuf. Des compétences dans le conseil légal et dans le secteur offshore []il est avocat d’affaires, ndlr].

Votre leader pourrait être votre père : vous êtes précoce ou il est tenace ?

Un peu des deux. Mais je ne suis pas un partisan du changement à tout prix. J’ai toujours comparé le MMM à Manchester United, mon équipe favorite...

Guardiola vous passe le bonjour…

(Rire) On les aura la prochaine fois ! Man U est la parfaite illustration d’un amalgame réussi entre les jeunes et les anciens, entre un Chicharito et un Ferguson. Au MMM, c’est pareil.

Ferguson arrêtera un jour.

La succession de Paul Bérenger n’est pas une question taboue. Nous en discutons ouvertement au sein du bureau politique. La transition se fait en douceur.

Etes-vous parmi les successeurs potentiels ?

Non, je n’en ai pas les capacités pour ça. Plusieurs personnes sont dans la short list, pas moi.

Des noms !

(Sourire courtois) Je n’en donnerai pas. Tout ce que je peux vous dire, c’est que la relève ne se trouve pas forcément au Parlement.

On vous dit dépensier, c’est vrai que vous avez les poches percées ?

C’est faux.

Hoosain Atchia, votre ex-colistier, prétend que vous avez claqué un million lors de la campagne, soit quatre fois plus que la somme autorisée par la loi...

(Légèrement agacé) Je ne veux pas faire de commentaires sur ce monsieur. Il me réclame 15 millions de roupies parce que j’ai été élu et pas lui. Une enquête est en cours, passons.

S’appeler Uteem, c’est un atout ?

Mon père est quelqu’un de respecté, je suis fi er de porter ce nom. Mais ça n’a pas toujours été facile. Je vais vous confi er une anecdote. (Il ferme les yeux) 1983, j’ai 12 ans, je vais à l’école primaire de Beau-bassin, pas une star school, je sors 20e au CPE avec trois « A » et je débarque au Collège Royal de Port-Louis. Le premier jour, un élève m’interpelle : « Tu es le fils de Cassam Uteem, le ministre ? ». Je confirme. Il se retourne vers ses copains : « A koz so papa minis li vinn dan kolez rwayal ». Depuis ce jour-là, je me bats pour me faire un prénom, pour créer le label Reza.

Désolé, mais vous n’allez pas y couper…

A quoi ?

Au questionnaire « fils de ». Est-ce que, comme Xavier-Luc Duval, il vous est arrivé de détester votre père ?

Jamais. J’ai trop d’amour et de respect pour mon père. C’est mon modèle, mon héros même. (La voix tremblotante) J’ai été profondément blessé par les propos de Pravind Jugnauth. []« Reza Uteem so papa pa Cassam Uteem ? Ou swa Bérenger konn kitsoz ki mem Bye Cassam pa kone », avait déclaré le leader du MSM, avant de s’excuser, ndlr].

Est-ce que, comme Jésus, il vous est arrivé de vous prendre pour le fils de Dieu ?

Blasphème !

Est-ce que comme Cassam Uteem, vous auriez refusé de signer la Prevention of Terrorism Act ?
Oui.

Est-ce que comme Charlotte Gainsbourg, ça vous embêterait de ressembler à votre père en vieillissant ?

Je la comprends ! Mais moi, non. D’ailleurs, avec ma barbe…

Est-ce que comme Michael Douglas, vous conseillez votre père ?

Non, c’est plutôt l’inverse. Je lui ai quand même suggéré de faire un régime !

Est-ce que comme Navin Ramgoolam vous avez encore beaucoup d’ambition pour votre père ?

(Longue réflexion) Contrairement à Ramgoolam je n’instrumentaliserai jamais le nom de mon père à des fi ns électorales.


SES DATES

1971. Naissance à Rose-Hill.
1990. Boursier de l’Université de Buckingham.
1993. Premier prix aux examens d’avocat en Angleterre.
1997. Avocat d’affaires à Hong-Kong, puis Singapour.
2007. Décès de son frère Omar et premiers pas en politique.
2010. Elu député de Port-Louis (circonscription n°2).

Entretien ralis par Fabrice Acquilina (Source : lexpress dimanche, 26 juin 2011)