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Shakeel Mohamed : « La loi actuelle sur l’avortement est anti musulmans »
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Shakeel Mohamed : « La loi actuelle sur l’avortement est anti musulmans »
Son speech au Parlement a fait jaser.  Adoubé par la presse, flingué par une partie de son électorat, Shakeel Mohamed n’a laissé personne indifférent. Le revoici pour une explication de texte.
Dure semaine ?
Fatigante. Je pars pour Genève ce soir []jeudi, ndlr] pour assister à une conférence du B ureau international du travail, il y a eu pas mal de préparatifs. En plus, le ministre du Travail des Emirats arabes unis veut me rencontrer là-bas, il souhaite recruter des Mauriciens. Il cherche des comptables, des médecins, des infirmières, des avocats, des serveurs, de tout en fait.
Un vilain petit canard, ça l’intéresse ?
N on, ils n’ont pas assez d’eau dans la région pour importer des canards.
Ce n’est pas usant, à la longue, d’être ce vilain petit canard ?
Développez, s’il vous plaît...
Sur le Best Loser System, vous étiez déjà en porte-à-faux avec vos électeurs. Maintenant, c’est sur l’avortement. Ce n’est pas épuisant toutes ces critiques, surtout de la part de ceux qui vous ont élu ?
Je ne suis pas critiqué par ceux qui m’ont élu mais par ceux qui ne veulent pas que je sois réélu nuance. Sur la question de l’avortement, vous avez deux catégories de personnes. D’abord, ceux qui instrumentalisent le débat, qui font de la récupération politique. Ceux-là, je n’essaie même pas de les convaincre, ça n’en vaut pas la peine. Et puis vous avez la grande majorité des Mauriciens, y compris dans ma circonscription, qui comprennent ma position.
La grande majorité, c’est vous qui le dites. Votre posture, très républicaine, a eu les faveurs des éditorialistes. Mais elle a aussi entraîné du rejet parmi votre électorat. Cela vous a échappé ?
Non, je le sais. Des musulmans, effectivement, ne se retrouvent pas dans mes propos. J’ai envie de leur poser une question : fallait-il, pour la loi sur l’avortement, créer un chapitre pour les musulmans ? U n chapitre pour les catholiques ? Un autre pour les hindous, les bouddhistes ou les athées ? Ce n’est pas mon point de vue. Que les sceptiques soient rassurés : quand la nouvelle loi sera votée, ils seront toujours musulmans. N on seulement cet amendement n’est pas anti musulmans, mais il corrige une anomalie qui interdit aux musulmans d’être en accord avec leur religion.
Parce que le Coran s’intéresse à l’avortement ?
Le Coran, les oulémas, les hadith, les fatwas tous disent la même chose : l’â me est insufflée au foetus au terme du 120e jour. Durant les quatre premiers mois de grossesse, j’ai le droit, en tant que musulman et dans certaines circonstances, d’aller de l’avant avec un avortement. O r la loi à Maurice me l’interdit. Croyant, je le suis. Musulman, je le suis. Pratiquant, je le suis. Si un jour dans ma vie familiale la question de l’avortement se posait, j’aimerais pouvoir faire un choix d’après les préceptes de ma religion. O r aujourd’hui, c’est impossible.
Vous voulez dire que la loi actuelle est anti musulmans ?
(Avec aplomb) Elle est anti tout : anti musulmans, anti femmes, anti choix. La loi actuelle est criminelle. Elle oblige les femmes à se conformer à une loi qui date de 18 3 8 , il y a presque deux siècles. U ne loi de l’époque coloniale, inspirée from canonical law, la loi de l’Eglise. Il y a donc dans cette loi une inspiration religieuse catholique. Certes, l’intention de l’époque était noble : protéger la vie. Mais aujourd’hui la loi ne protège plus la vie. U ne femme qui souhaite avorter parce qu’elle sait son bébé condamné n’a pas le droit de le faire, même si sa propre vie est menacée.
Et elle le fera quand même…
Oui, avec un rayon de bicyclette. Dans ma circonscription, j’ai assisté à deux enterrements, deux avortements clandestins qui ont mal tourné. Je préfère que cette pratique soit encadrée, sauver la vie de ces femmes et être en accord avec ma religion.
Quand des oulémas réclament un référendum sur l’avortement, que leur répondez-vous ?
Primo, constitutionnellement, c’est impossible. Secundo, le « oui » l’emporterait. Le Parlement est un bon baromètre : une bonne cinquantaine de députés vont voter pour.
Des habitants de la n°3 (Port-Louis-Maritime/Port-Louis-Est) ont croisé Adil Ameer Meea en pèlerinage. Il sillonne la circonscription pour délivrer un message...
(Il coupe) Adil Ameer Meea ne sillonne jamais la circonscription, c’est d’ailleurs son problème : il ne fait pas assez d’efforts.
Un message faisant de vous un « mauvais musulman ». Avez-vous eu les mêmes échos ?
Je sais exactement ce que fait Ameer Meea, je suis très bien informé. Il n’est pas au contact de la masse, non, il se contente d’aller d’un groupuscule à l’autre avec des extraits de mon discours : « Shakeel a dit ceci, Shakeel a dit cela, Shakeel a renié sa religion. » C’est enfantin et je n’ai pas de temps à perdre avec les enfantillages. Je suis au courant parce que les gens qu’il rencontre viennent ensuite me faire un compte-rendu détaillé (tout fier).
Revenons aux vagues provoquées par votre discours au Parlement. Vous dites qu’être musulman et voter cette fameuse loi n’a rien d’incompatible…
Parfaitement.
Que l’on peut être musulman et républicain….
Of course.
Que l’on peut croire en Dieu dans sa vie intime tout en étant un député laïc...
Tout à fait.
Pourquoi ces messages ont-t-il du mal à passer ?
Parce que les gens choisissent la facilité. Ils bougent avec the crowd, c’est notre côté moutonnier. Vous dites que ces messages passent mal, mais auprès des jeunes, ils passent bien. C’est au niveau de leurs parents que ça coince parfois, là où le conservatisme est plus fort. It’s a clash of generations, rien d’autre. (Il répète) D’où la stratégie d’Ameer Meea et de ses amis du MMM : me décrédibiliser en tant que musulman auprès des plus jeunes.
Vous démusulmaniser ?
On peut le dire comme ça. Le MMM a peur de ma réélection. D’où cette tentative de coup d’Etat sur les consciences de la jeunesse. Ils veulent descendre sur le terrain religieux ? Très bien, allons-y. L’Islam dit : « There is no compulsion in religion », tu ne peux pas imposer ta croyance aux autres. Mais eux, c’est ce qu’ils font en défendant la loi de 1838 . Ils vont à l’encontre de l’Islam.
Vous dites que vous n’avez pas été élu pour imposer vos convictions religieuses et morales. Ne craignez- vous pas d’avoir à en payer le prix ? Une sorte de fatwa électorale...
(Agacé) Mais non, pas du tout.
Vous n’êtes pas en train de vous « griller » politiquement ?
Sincèrement, je ne crois pas. Et puis, peu importe. Si à chaque fois que j’avais à prendre position je devais choisir sa ki pass bon, je ne m’en sortirais plus. Mo pa kone fer sa mwa. Et tant pis si ça me coûte un ticket en 2015 .
Là, vous n’êtes plus crédible.
Honnêtement, ce ne serait pas un problème. Mais alors, pas du tout ! Je ne suis pas élu pour faire plaisir à tel ou tel groupuscule socio-culturel influent. Ce n’est pas moi, ça. Ce genre d’attitude fait souffrir mon pays.
Vous êtes donc prêt à jouer votre peau politique ?
(Direct) Ah oui ! Ma profession, c’est avocat. Et plus important encore, je suis un mari et un papa.
On nous aurait menti, alors : vous n’êtes pas le digne successeur de Rashid Beebeejaun ?
Je souhaite bonne chance à son successeur (Sourire malicieux) Est-ce que ce sera moi ? Dieu seul le sait, je ne lis pas dans l’avenir. Certains disent qu’il y a une posture à adopter pour lui succéder, qu’il faut dire et faire certaines choses. J’ai plutôt tendance à penser qu’il faut être vrai. Etre en accord avec soi-même. You cannot make people happy if you’re not happy yourself.
Cader Sayed Hossen ou Reza Issack sont moins tranchés que vous sur la question de l’avortement. Vous ne vous sentez pas un peu seul, parfois ?
(Il réfléchit) Je l’aime bien, ma solitude.
Votre père, qui a une longue carrière politique, en pense quoi de tout ça ?
Il m’a appelé le lendemain de mon discours pour me dire que j’avais « totalement raison » . Ce sont ses mots. Il m’a dit qu’il fallait en avoir pour dire ce que j’avais dit, et que je lui faisais penser à mon grand-père. Sir Abdool Razack était un homme franc et direct. Lui aussi se sentait seul parfois. Chez nous, tu dis ce que tu penses. Et surtout, t’évites d’être conformiste.
Il vous arrive de regretter la circonscription n°13 (Rivière-des-Anguilles/ Souillac) ?
Regretter, non. Par contre, je me sens redevable. J’ai acquis là-bas une certaine ouverture d’esprit.
Ouverture d’esprit, c’est bien joli. En tant que membre du Conseil des ministres, de toute façon, vous êtes bien obligé de voter les lois.
Je suis obligé à rien du tout.
Tiens donc…
Si je ne suis pas d’accord, je peux aussi démissionner.
Vous quittez le pays ce soir. Serez-vous de retour pour le vote ?
Non.
Le petit malin…
(Sourire) Je ne serai pas rentré malheureusement.
Vous n’avez rien trouvé de mieux comme excuse bidon ?
(Détendu, il joue le jeu) Cette conférence était planifiée depuis longtemps. J’étais censé être à Genève de fin mai à mi-juin. Quand j’ai su que nous aurions à débattre de l’avortement, j’ai demandé au Premier ministre l’autorisation de partir plus tard et il a accepté. J’ai envoyé mon directeur de ministère à Genève, il rentre demain, je pars ce soir. Si je loupe cette conférence, les syndicats ici vont me tuer.
Là, c’est Yatin Varma qui va s’en charger…
Mais non.
Mais si. Il avait demandé à tout le monde d’être là au moment du vote. Vous n’étiez pas au courant ?
Mouais... Il sait que le « oui » l’emportera, alors…
C’est quoi cette arnaque ?
(Toujours aussi détendu) Quelle arnaque ?
Vous vous faites le chantre du parlementarisme éclairé et au moment de passer au vote, vous disparaissez : cela s’appelle une arnaque. Vous préférez imposture ?
Je vote par l’intermédiaire de cette interview. Je vous donne mon proxy. (Rires)
Sérieusement, vous êtes un petit futé. Cette absence est un bouclier : vous pourrez toujours dire que vous n’avez pas voté la loi .
Non, je dirai que je l’ai votée. J’ai même fait plus que ça, monn amen mo blok dans l’édifice. Que je sois là ou pas au moment du vote, ça ne change rien : le « oui » est acquis, c’est ce qui compte. Et je sais que j’ai contribué un peu à ça, du moins je l’espère.
Vous décollez dans quelques heures. Quel livre emportez-vous ?
L’Islam pour les Nuls, de Malcom Clark et Malek Chebel. And it’s not a joke !
Entretien réalisé par Fabrice Acquilina
(Source : l’express-dimanche, 10 juin 2012)
 
 
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