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Sondage d’opinion sur l’évolution de la société mauricienne

16 décembre 2013, 11:32

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Sondage d’opinion sur l’évolution de la société mauricienne

Il nous est apparu intéressant, à dix ans d’intervalle, de sonder à nouveau le public mauricien et de prendre son pouls sur un certain nombre de grandes questions. La base de comparaison du sondage de 2013 est un sondage de Taylor Nelson SOFRES publié en 2003 par Business Magazine. Des questions supplémentaires ont été posées en octobre 2013 sur les mariages mixtes, le sentiment d’appartenance nationale et la «démocratisation» de l’économie. Le questionnaire, posé en créole par des équipes de Moriscopie auprès d’un échantillon de 612 personnes, selon la méthode des quotas, mène à une marge d’erreur estimée à 3,8 %. 

 
 
Analyse des résultats 
Premier volet: LE PAYS 
 
LE PASSÉ, BIEN NOTÉ 
Les Mauriciens restent, ce n’est pas une surprise, très positifs envers l’indépendance. De toute manière, il n’y a plus le choix ! Ainsi 84 % pensent que l’indépendance a été plutôt une bonne chose (87 % en 2003). Les plus enthousiastes sur les questions liées à l’indépendance sont les jeunes, les femmes, les universitaires et les non chrétiens.  Quand questionnés sur la réussite du pays depuis l’indépendance « compte tenu des ressources du pays», les opinions positives restent fortes et, de plus, s’améliorent: 54 % de la population pensant que l’on a mieux fait que prévu et 20 % que l’on a fait aussi bien qu’on ne pouvait l’espérer ; soit 74 % de vues positives, contre seulement 63 % en 2003. Ce score est d’autant plus significatif que, depuis la crise financière de 2008-2009, le pays connait quelques difficultés économiques non négligeables et que 44 % de la population ne croyait tout simplement pas à l’indépendance il y a 45 ans ! Les plus critiques sur cette question sont les universitaires. 
 
LE PRÉSENT, ON HÉSITE 
Par contraste au passé, le ton change quand il s’agit de la situation actuelle du pays. En effet, alors que 47 % se disaient plutôt satisfaits en 2003, ils ne sont plus que 30 % à l’être 10 ans plus tard. Globalement les opinions positives à ce sujet ont baissé de 14 % en 10 ans, soit de 69 % en 2003 à 55 % en 2013 (Tableau I). En parallèle, les opinions négatives progressent de 12 points. Ces dernières se retrouvent surtout en ville. 
 
 
 
LE FUTUR ? PAS SÛR DU TOUT… 
Quand on demande aux sondés de porter, ensuite, leur regard vers l’avenir, l’évolution est encore plus tranchée (Tableau II). La question était «Enn dan lot, ou [. ] pei pe al dan bon direksion [.] pei pe al dan mauvais direksion [.] pas conne». Et alors que les partisans de la première option chutaient dramatiquement de presque 20 points, ceux qui choisissaient la deuxième option progressaient de 8 points. Non moins significatif, les indécis triplent leur nombre sur la période de 7 % de l’échantillon à 20 % ! 
 
 
C’EST L’INSECURITÉ QUI INQUIÈTE 
Qu’est ce qui cause ainsi de l’anxiété sur l’état actuel et la direction prise par le pays ? En 2013, c’est l’insécurité qui domine l’attention du pays avec 58 % de mentions comme étant le principal problème de l’île. L’insécurité ne faisait même pas l’objet d’une mention dans le questionnaire en 2003 ! Partiellement liée, la question de la drogue est citée par 45 % des intervenants, suivie de la corruption avec 28 % de mentions. La comparaison avec 2003 est, quant à elle, stupéfiante (Tableau III). C’est ainsi que les problèmes principaux d’il y a 10 ans ; la corruption à 35 %, le « trop de politique » à 33 % et le communalisme à 17 %, chutent respectivement à 15 %, 12 % et 7 % ! Par contre, un quarto de problèmes liés aux difficultés existentielles (drogue, chômage, pauvreté, augmentation de prix) occupe désormais 65 % des réponses exprimées contre… 6 % en 2003 ! C’est tout simplement transformationnel pour le pays, d’autant que le problème existentiel dominant, l’insécurité, doit maintenant y être rajoutée ! Faisons quand même attention : la chute marquée de la corruption, le «trop de politique» et le communalisme, globalement de 85 % à 34 %, ne veut sûrement pas dire que ces questions sont moins graves… elles pourraient simplement avoir été dépassées en 2013, par comparaison au quarto existentiel déjà mentionné… 
 
 
LE DOUTE S’INSTALLE 
En conséquence, au niveau de la confiance dans l’avenir du pays, il n’est pas étonnant d’enregistrer que ceux qui étaient plutôt confiants régressent de 52 % en 2003 à 47 % en 2013, alors que les «indécis» doublent, révélant une fois de plus l’état de doute dans lequel se trouve la population actuellement. Les plus jeunes, les habitants des villes, les chrétiens et les universitaires sont les catégories les plus pessimistes sur l’avenir du pays. 
 
Deuxième volet : LES SITUATIONS PERSONNELLES 
Au-delà du regard extérieur des sondés sur les problèmes du pays, le sondage se voulait de préciser des positions plus personnelles aussi. Une majorité (52 %) pense ainsi que sa situation personnelle s’améliore, alors que 35 % pensent que ça empire. Ce qui est par contre inquiétant c’est que ces deux pourcentages étaient, respectivement, situés à 65 % et 28 % en 2003, ce qui, ajouté à un doublement des indécis, souligne le doute grandissant de la population ; d’autant que la pluralité positive a chuté de (65-28)=37 % à seulement (52-35)=17 %. 
 
OPTION ÉMIGRATION 
Pourtant, le Mauricien ne souhaite pas pour autant fuir son pays et émigrer. Ainsi, 72 % de ceux interrogés veulent personnellement vivre à Maurice (68 % en 2003). Par contre, quand la question demande de réfléchir pour les enfants (Tableau IV), le pourcentage de vue positive pour le pays baisse dramatiquement de 26 % alors que 39 % de ceux interrogés souhaitent désormais que leurs enfants « vivent dans un autre pays » (6 % de plus qu’en 2003), ce qui devrait inquiéter les dirigeants nationaux au plus haut point. Environ 15 % des parents ne savent quoi recommander à leurs enfants .Plus cinglant encore pour le leadership national : plus on est jeune et plus on est éduqué, plus fortement voudrait-on émigrer ailleurs ! 
 
LA FIERTÉ ASSURÉE 
Rejoignant les échos positifs sur la réussite passée du pays, une très forte majorité de 92 % se dit «très fier» (72 %) et «plutôt fier» (21 %) d’être Mauricien. Remarquablement, aucun clivage n’existe sur cette question entre ville (91 %) et campagne (93 %), entre classes économiques (entre 90 et 95 %), entre hommes et femmes (92 %), entre groupes ethniques (91 % à 93 %) ou entre groupe d’âge (91 à 94 %). Cette fierté en tout point remarquable n’empêche cependant pas que seulement 62 % considèrent qu’ils ont une bonne qualité de vie, alors que 34 % ne sont pas satisfaits et le déclarent. Avec cette question (qui n’avait pas été posée en 2003), il faut, une fois encore noter la très grande homogénéité des réponses à travers l’échantillon. 
 
DÉMOCRATISATION DE L’ÉCONOMIE : POUR QUI ? 
Objet d’une politique déclarée et volontariste des plus récents gouvernements, le sondage voulait établir l’impact et la perception de la démocratisation de l’économie. Si un bloc solide de 36 % dit que la démocratisation «donne sa chance à tous les Mauriciens», il est par contre une majorité de 51 % qui considère que cet exercice profite plus particulièrement à ceux qui sont «proches du pouvoir». Les 13 % des sondés qui sont indécis regroupent à la fois ceux qui n’ont pas d’idée arrêtée sur la question ainsi que ceux disant ne pas comprendre le principe même… Les plus critiques ? Les jeunes (63 % des 18-29 ans), les classes moyennes (60 %) et les universitaires (69 %). 
 
 
MAURICIENS AVANT TOUT ! 
S’ensuivent des questions sur le mauricianisme, 45 ans après l’indépendance et les conclusions sont plutôt rassurantes à ce niveau. En effet, plus de 2 Mauriciens sur 3 (67 %)se déclarent «senti ou kouma ene morisien , samem tou», ce qui est admirable, car même si on peut supposer qu’un certain pourcentage de ceux-ci choisissent cette réponse pour être «politiquement correct », il est quand même positif de savoir que c’est le mauricianisme qui serait perçu comme «politiquement correct» ! (Pie Chart V). Tout aussi seyante, la deuxième réponse la plus populaire (17 %) provient de ceux qui se disent mauriciens d’abord, «ensuite tel communauté, tel relizion». Seulement 12 % de la population se dit d’abord membre d’une tribu et... ensuite mauricien. Avis à qui de droit ! Même les musulmans qui sont les plus «séparatistes» ne sont que 20 % à se sentir musulman d’abord (+8 points sur la moyenne nationale). 
 
Plus fort encore: en 2003, seulement 40 % des personnes interrogées considéraient Maurice comme une vraie nation mauricienne alors que 49 % la considéraient comme un «collectif d’ethnies». Les chantres du mauricianisme, Nazim, Henri, Philippe peuvent bien dormir… 
  
Quant à l’«accorité» entre les communautés (concept cher à Emmanuel Richon), il n’y a que 10 % qui pensent qu’il n’y a pas d’entente entre les communautés; 43 % pensant le contraire, avec 42 % déclarant qu’il reste encore des progrès à faire. Fait marquant, cependant, qui mérite une explication: les plus sceptiques (aux côtés des universitaires) sont les jeunes de 18 à 29 ans qui, à 59 %, disent qu’il reste des progrès à faire ! Seraient-ils tout simplement plus exigeants, plus idéalistes que leurs ainés ? Les musulmans, à 58 %, sont ceux qui sont les plus optimistes sur l’entente entre communautés. 
 
La question sur les mariages mixtes élicite des réponses plutôt progressistes aussi: 67 % de ceux interrogés déclarant que si leur enfant voulait se marier avec quelqu’un d’une autre communauté ou religion, ils trouveraient cela acceptable, s’ils s’entendent bien. La population générale et les universitaires sont les plus libéraux. Il y a, tout de même, 23 % de la population qui pense toujours que le mariage mixte n’est pas acceptable de toute façon. Espérons qu’ils ne seront plus que 0.23 % dans 10 ans !