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Sudhir Sesungkur, expert-comptable chez « Mazars » : «le rapport de l’audit demeure trop superficiel sur des gros dossiers»

19 janvier 2013, 07:29

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Le rapport de l’Audit comprendra dorénavant un volume spécial qui mentionnera les mesures correctives prises par le gouvernement. Cette décision du directeur de l’Audit fait suite à la demande du chef de la Fonction publique. Mais, selon Sudhir Sesungkur, expert- comptable, cela pourrait poser des problèmes d’éthique.

Quel est le rôle principal d’un auditeur du gouvernement ?

Le bureau national de l’Audit est l’institution supérieure de contrôle des finances publiques à Maurice. Elle est garantie par la Constitution. Son rôle principal est de contrôler les fi nances publiques. Après inspection et vérifi cation, l’auditeur général fait son rapport sur la façon dont l’argent public a été utilisé. Ce rapport est ensuite soumis au Public Accounts Committee du Parlement pour être examiné.

Outre l’inspection des comptes publics, le National Audit Office a, selon les termes de son mandat, le pouvoir de faire un rapport sur l’efficacité et l’optimisation des ressources de l’Etat. Le rapport de l’Audit peut également apporter une valeur ajoutée, en faisant un certain nombre de recommandations au gouvernement pour améliorer la gestion des fi nances publiques et les services publics en général.

Considérez-vous, à la lumière des rapports publiés à ce jour, que le bureau de l’Audit a bien rempli ce rôle ?

Chaque année, l’auditeur général publie son rapport avec un certain nombre de commentaires sur les écarts, le non- respect des lois et des procédures ou la mauvaise gestion des finances publiques. Mais il y a une perception dans la population que la gestion publique ne s’améliore pas pour autant. Souvent, les gens prennent connaissance de cas de mauvaise gestion ou de malversation à travers les médias. Des cas qui ne sont même pas mentionnés dans le rapport de l’Audit ! .

Est- ce à dire que le bureau de l’Audit pourrait mieux faire ?

Disons que le bureau de l’Audit pourrait avoir un peu plus de répondant. Sur des dossiers comme Neotown ou Jin Fei, qui ont englouti des millions, il aurait pu demander un audit approfondi. Le rapport de l’Audit demeure trop superfi ciel sur ces gros dossiers. Il pourrait avoir plus d’impact.

Pourtant, la Finance and Audit Act stipule que le directeur de l’Audit a le devoir de s’assurer, entre autres, que « all laws, directions or instructions relating to public money have been and are duly observed » .

Les pouvoirs du bureau de l’Audit seraient donc plus conséquents qu’on ne le croit ?

La Constitution donne des pouvoirs importants à l’auditeur général. S’il soupçonne qu’il y a eu mauvaise gestion, malversation ou conflit d’intérêts dans la passation du marché et que tout cela n’est pas dans l’intérêt public, il peut demander une enquête approfondie. Par exemple, un Forensic Audit pour établir des preuves afin sanctionner les coupables.

Dans certains pays, l’auditeur général peut entamer des poursuites contre ceux qui sont coupables de mauvaise gestion, de nonrespect des procédures ou de corruption.

La publication d’un rapport en deux volumes, comme le propose Rajun Jugurnath, directeur de l’Audit, est- elle justifiée ?

Il semble que l’auditeur général apportera quelques changements dans la présentation de son rapport avec un volume contenant les recommandations faites antérieurement et les actions prises par les différents départements. C’est une pratique bien établie dans la profession que de faire un suivi des faiblesses antérieures et de s’assurer que des mesures correctives ont été prises par les personnes concernées.

Mais cette partie ne doit pas avoir le dessus sur l’objectif principal qui est de vérifi er les comptes de l’exercice précédent et d’en faire un rapport. Le public s’intéresse surtout aux observations et commentaires sur l’exercice écoulé et les failles notées par l’auditeur général pour la période.

Si le rôle de l’auditeur est de déceler les failles, publier un volume qui énumère les mesures correctives n’est- il pas en contradiction avec ce rôle ?

Vous avez raison, car une telle présentation peut defeat the very purpose du rapport.

Le public doit avoir des informations pertinentes.

Les recommandations faites dans les exercices antérieurs ne sont pas d’un grand intérêt public.

Le directeur de l’Audit parle de « fairness » envers le gouvernement pour se justifier. Mais le rapport inclut déjà, dans le même volume, un suivi des points mentionnés dans le rapport précédent. Cela ne suffit- il pas à assurer un équilibre dans le contenu ?

Le rapport de l’Audit doit, a priori, couvrir les transactions de l’année précédente et les failles notées dans l’utilisation des fonds publics ou les autres cas de malversations. Les recommandations des exercices antérieurs ne sont pas plus importantes que cela ! Leur présentation en priorité peut causer un déséquilibre dans la manière dont les informations les plus importantes sont communiquées au public.

Il y a un risque réel de rater le coche !

Rajun Jugurnath affirme que les normes de l’« International Organisation of Supreme Audit Institutions » préconisent la publication du suivi fait par le gouvernement sur les failles relevées. Interprétez- vous ces normes de la même façon ?

Il faut surtout se concentrer sur les informations qui sont les plus susceptibles d’intéresser le public. C’est ce qu’on appelle « substance over form » dans notre jargon. L’argent utilisé en 2012 est ainsi plus pertinent que les observations et commentaires de l’auditeur général. Dans la mesure où de nombreuses recommandations demeurent sans suite, il est de moindre importance pour le public de savoir que telle ou telle recommandation n’a toujours pas été appliquée.

Est- ce que cette proposition de changement ne serait pas, en fin de compte, une tentative de faire en sorte que l’opinion publique soit favorable au gouvernement ?

On ne peut pas impute motives , mais il serait toujours possible d’essayer de noyer le poisson en camoufl ant les failles. Comme je viens de vous le dire, si la mission principale de l’auditeur général est de soumettre son rapport sur l’utilisation de l’argent public pour l’exercice écoulé, le core du rapport doit y être consacré.

Peut- on, dans ce cas, dire que la publication d’un deuxième volume n’est pas éthique ?

Préparer un volume ne va pas contre l’éthique en soi. C’est dans la présentation que le problème peut se poser. L’éthique stipule que le rapport de l’auditeur général doit être pertinent et compréhensible. La manière dont l’auditeur général communique ses observations et conclusions sont bien établies par les normes de l’audit. Aller à l’encontre de ces normes serait contraire à l’éthique. L’auditeur doit être perçu comme quelqu’un d’indépendant dans tous les sens du terme. La moindre perception de perte d’indépendance peut nuire à l’institution.

Un chef de la Fonction publique qui fait une requête au directeur de l’Audit, cela vous choque- t- il ?

Oui ! Cela peut être perçu comme étant une infl uence externe. L’auditeur général doit préserver son indépendance à tout prix.

Une mauvaise perception peut nuire à son image, au rôle clé qu’il joue dans un système démocratique comme le nôtre et à la préservation de la bonne gouvernance.

Rajun Jugurnath aurait- il dû rejeter cette demande ?

Oui. Il doit être perçu comme quelqu’un d’indépendant et qui remplit ses fonctions sans influences externes.