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Sunil Dowarkasing : « Pravind Jugnauth m’a jeté à la poubelle »
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Sunil Dowarkasing : « Pravind Jugnauth m’a jeté à la poubelle »
Le vendredi 22 juin, il a « signé » au Parti travailliste. Sunil Dowarkasing s’explique enfin sur son départ du MSM et sort la boîte à gifles. Les Jugnauth et Nando Bodha doivent avoir les oreilles qui sifflent.
Vous avez choisi l’hôtel Saint-Georges, à deux pas du Sun Trust. Un acte manqué ?
Pas du tout. C’est que je me sens à l’aise ici, j’ai des amis.
Etes-vous passé saluer vos anciens amis du Sun Trust ?
Non. Mais je le ferai si je les croise. Y compris mon ex-leader.
Que s’est-il passé avec Pravind Jugnauth ?
Il m’a laissé tomber. Paul Bérenger n’a pas voulu de moi dans le remake et Pravind a cédé. J’ai été exclu dès la première conférence de presse conjointe MSM-MMM. Quand j’ai demandé pourquoi je n’étais pas invité, on ne m’a pas donné d’explication franche. On m’a juste dit que ma présence posait problème. Je n’en sais pas plus.
Bien sûr que si vous en savez plus…
J’ai ma petite idée, mais ce n’est qu’une hypothèse. Selon moi, Pravind ne voulait pas d’Ashok Jugnauth dans le remake. Bérenger a accepté de l’évincer, à condition que Pravind m’écarte. Des militants de la base MMM ne voulaient pas de Dowarkasing à Curepipe. Ont-ils influencé Bérenger ? Je me pose la question. Je connais Bérenger, il aurait pu fermer leur bouche. Il a déjà renversé des régionales pour faire accepter des gens.
Peut-être a-t-il estimé que vous n’en valiez pas le coup.
Probablement. N’empêche que mon leader m’a lâché.
Apparemment, le MSM ne vous regrettera pas.
Le temps nous le dira.
Nando Bodha l’a déjà dit. Pour lui, « Dowarkasing était parti depuis longtemps ».
Nando Bodha est-il capable de juger ma contribution ? Pour moi, c’est un secrétaire général fantôme. Ses propos ne me font ni chaud ni froid. Il verra demain []vendredi, ndlr].
Demain ?
Je réunis mes lieutenants à Curepipe. Nous allons faire le saut ensemble au Parti travailliste. M. Bodha verra alors ce qu’il reste du MSM dans la n°17 []Curepipe-Midlands, ndlr]. C’est moi qui ai tout construit là-bas.
L’officialisation de votre adhésion au PTr, c’est pour quand ?
Le Premier ministre m’a dit qu’il l’annoncerait lors d’un congrès le mois prochain. Moi, j’ai déjà adhéré. Cette adhésion est synonyme d’ambition. Je veux poursuivre ma carrière politique. Or le choix était simple : rejoindre le PTr ou arrêter la politique.
Cela aurait été si grave d’arrêter ?
Pour moi, oui. Je suis trop jeune pour prendre ma retraite politique []53 ans, ndlr]. J’ai encore de l’ambition pour mon pays et pour ma circonscription.
La fidélité est-elle devenue un vice au MSM ?
La fidélité ne paie pas au MSM.
Vous êtes amer ?
Un peu. J’ai passé 20 ans au MSM []1983-1992 et 2003-2012, ndlr] et je n’ai même pas été informé de ce qu’on me reprochait, mon leader n’a pas eu cette décence. Il fait une conférence de presse avec le MMM, quinze MSM sont invités, neuf députés et les autres sont choisis par le leader. Je n’y suis pas. Quand je demande des explications, on me dit qu’on a choisi des « profils ». Mais il y a des gens qui ont le même profil que moi et qui sont là. Il y en a que je devance dans la hiérarchie du parti. Donnez-moi une explication ! Je ne l’ai jamais obtenue. Finalement, j’ai compris en écoutant les bruits de couloir du Sun Trust que Bérenger avait réclamé ma tête.
Il pourrait la redemander. Un rapprochement avec le PTr serait dans l’air…
(Hésitant) Je fais confiance à Navin Ramgoolam.
Sentez-vous venir ce rapprochement ?
Non.
On vous dit bien informé, c’est flatteur manifestement…
(Long silence) Si vous me dites que le remake ne marche plus, là, je suis d’accord. Cela rejoint la discussion que j’ai eue avec Pravind Jugnauth avant de le quitter.
Que lui avez-vous dit ?
De faire bien attention à Bérenger. Pour moi, Bérenger va réussir le hat trick sur la famille Jugnauth. Il a attiré Ashok avant de le laisser sur la plaine. Il a incité Pravind à quitter le gouvernement avec cinq de ses ministres. Et il a poussé Anerood à quitter la présidence. Bérenger va les brûler tous les trois : c’est ce que j’ai expliqué à Pravind.
Vous étiez très proches, tous les deux. Comment passe-t-on si vite du statut de bras droit du leader à celui de traître au parti ?
Ce sont eux, les traîtres ! S’ils avaient agi comme il fallait, j’aurais eu ma place et mon dû au sein du MSM, et je ne serais jamais parti.
Vôtre dû, c’est-à-dire ?
La reconnaissance. Après ma défaite en 2010, mon leader m’a proposé le poste de secrétaire général du parti. J’ai refusé car je craignais de m’isoler. Je ne voulais pas me placardiser au Sun Trust, mais rester sur le terrain, au côté de mon leader. Et deux ans plus tard, il me jette à la poubelle.
Au moins il trie ses déchets, lui. N’êtes-vous pas déjà recyclé ?
On peut le dire comme ça ! (Eclat de rire) N’empêche que ça fait mal. Après tout ce que j’ai fait pour le parti… En neuf ans, je suis devenu l’ombre de Pravind Jugnauth. Ça ne s’est pas fait comme ça. Mon sérieux, mon courage sur le terrain, mon amour pour le parti m’ont fait gravir les échelons. J’ai risqué ma peau pour le MSM. La partielle au n°8 []en mars 2009, ndlr], c’était chaud. Après 17 heures, il n’y avait plus personne sur le terrain. Où était M. Nando Bodha ? Tous les pépins de la campagne, c’était à moi de les régler.
Le Premier ministre vous a t-il promis un ticket pour 2015 ?
Non.
Vous avez été recruté gratis, alors ?
Nous n’avons pas discuté de cela, mais c’était sous-entendu. Entre politiciens, on se comprend.
Pourquoi le MSM est-il devenu le parti le plus cocufié du moment ?
Plusieurs explications. D’abord, il y a eu le départ d’un leader fort Pravind n’est jamais parvenu à se hisser à la hauteur de son père. Deuxièmement, le MSM et le PTr visent le même électorat, mais la majorité des hindous votent travailliste car le PTr est solidement ancré au pouvoir.
Résultat, le MSM se retrouve avec un pourcentage très infirme (sic) qui empêche le parti de grandir. Troisièmement, le poumon d’un parti, c’est son secrétaire général. Or Nando Bodha est là pour la galerie. Si le MSM coule aujourd’hui, c’est parce que la direction du parti - Bodha et Soodhun notamment - ne s’est jamais remise en question. Que se passera-t-il si le remake s’arrête? Ce sera le crash, le MSM sera rayé de la carte. C’est que je vois venir.
Le début de la fin ?
Je le pense. Mon analyse, c’est que SAJ n’aurait jamais dû revenir à l’avant-plan. Quand il a quitté la scène politique, moi, avec d’autres, nous avions pour mission de bâtir un nouveau leader. A partir de 2003, c’était notre travail : projeter Pravind sur le devant de la scène, en faire un leader national. Soudainement, SAJ réapparaît et réduit à néant tous nos efforts depuis neuf ans. Anerood Jugnauth a créé le MSM, aujourd’hui il le détruit. Le père va tuer le fils en essayant de le ressusciter.
Il a dû estimer que le jeu en valait la chandelle…
Malheureusement, il est revenu avec une valise vide. Et ça, Bérenger vient de le comprendre. Il va le laisser tomber. En fait, Bérenger n’a jamais voulu du MSM, seul Anerood l’intéressait. S’il avait pu intégrer SAJ au MMM, il l’aurait fait. A défaut, il a trouvé la formule du remake.
Si vous étiez toujours son conseiller, que suggéreriez-vous à Pravind Jugnauth ?
(Il réfléchit longuement) C’est une question difficile. Pravind n’a plus que du mauve devant lui, son seul salut est le remake. Je lui avais toujours dit de garder une porte ouverte pour tous les partis, mais il a complètement fermé la porte au Parti travailliste. C’est une erreur stratégique. Bérenger, lui, n’a pas commis cette erreur.
Finalement, vous étiez un conseiller peu écouté…
Les rêves que vendait Bérenger ont pesé plus lourd que mes conseils. Souvenez-vous de ce qu’il disait : « Une demi-douzaine de députés vont faire le saut », « Le gouvernement n’en a plus pour longtemps ». Pravind y a cru.
Vous étiez un homme de l’ombre au MSM. Cette place vous convenait-elle ?
Oui, j’étais à l’aise. Etre peu exposé m’arrangeait bien. Mais surtout, j’aimais ce travail, je croyais à ce que je faisais.
Et que faisiez-vous, précisément ?
Un travail de fourmi. Or les fourmis ne font pas de bruit...
Il y a prescription…
Construire, consolider les assises du parti : c’était mon job.
Ce sont des concepts. Concrètement ?
Le MSM a été au pouvoir 14 mois. Durant cette période, nos dirigeants étaient trop occupés pour rencontrer les sympathisants. Et puis, nous avions des circonscriptions sans député, la 13 et la 18 notamment []Rivière-des-Aguilles/Souillac et Belle-Rose/Quatre-Bornes, ndlr]. Eh bien c’est moi qui partais là-bas les dimanches. Quand M. Bodha était à la mer, j’étais avec nos mandants à l’Escalier. Quand les ministres ne voulaient pas, ou n’avaient pas le temps de recevoir les gens, moi je prenais le temps. Là où il y avait le feu, on m’envoyait. Et des pépins, il y en a eu. Quand vous êtes au pouvoir, les gens ont des attentes. Si vous ne les comblez pas, c’est le feu. J’étais le pompier de service, à Quatre-Bornes, à Grand-Bois, à Bois-Chéri…
Une sorte de Robin des Bois, en somme.
J’aimais ça. Le problème, c’est qu’on m’a pris pour un pion.
Qu’est-ce qui vous dit que le Parti travailliste n’a pas recruté un pion ?
(Il réfléchit) Je n’ai ni garantie ni certitude, mais je prends le risque. Deux rencontres avec le Premier ministre, le mois dernier, m’ont convaincu.
Comment ça c’est passé ? Si vous évitez le mot « cordial », le lecteur ne vous en voudra pas.
C’était très très cordial. Au-delà de mes espérances. J’ai eu devant moi un personnage extraordinaire, formidable…
Et qui vous a déjà formaté !
Franchement ? Oui. Si vous rencontrez le Premier ministre en tête à tête, le lendemain, vous devenez travailliste.
Entretien réalisé par Fabrice Acquilina
(Source : l’express dimanche, 24 juin 2012)
 
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