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Sunilduth Koonjoo, Je paie le prix de la complicité de certains de mes collègues avec les détenus »

10 juillet 2010, 09:36

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L’homme semble cassé. Du reste, il a eu du mal à retenir ses larmes au début de l’entretien. Premier gardien de prison à être arrêté pour complicité dans le sillage de la grande évasion de Grande-Rivière-Nord- Ouest (GRNO), Sunilduth Koonjoo est actuellement suspendu.

? Etes-vous complice dans l’évasion de la prison de GRNO ?

Pas du tout. Et je mets au défi quiconque de venir prouver cela !

? Comprenez-vous pourquoi on vous a arrêté et inculpé, même provisoirement, de complicité ?

Cette question est extrêmement difficile à répondre car je suis toujours troublé par les événements. Quand la police a commencé son enquête, tous les officiers, qui étaient de service le jour de l’évasion, ont donné une déclaration à la police. Puis subitement, sans que je ne comprenne trop ce qui se passait, notre avocat, Kishore Pertab, m’a informé que mon cas était un peu différent de mes collègues.

? Quelle a été votre réaction quand la police vous a informé de votre arrestation ?

Ils m’ont dit que quatre des 34 évadés avaient soutenu que je les avais aidés. J’ai donné ma version des faits. Je leur ai expliqué dans quelles circonstances nous travaillons. Puis, ils m’ont conduit en cour, où la police a objecté à ma remise en liberté conditionnelle. Je sais que je n’ai rien fait de mal et ceux qui, comme moi, ont déjà été injustement accusés d’un crime, comprendront ma confusion et ma peine.

? Mais comment expliquez- vous le fait que quatre des évadés ont dit que vous étiez leur complice ?

Vous savez, je respecte les détenus, je respecte mes supérieurs et je respecte mon travail. Néanmoins quand je trouve qu’il y a des anormalités, je les dénonce ou je prends les mesures nécessaires pour les corriger. Je ne sais pas si c’est lié mais, en juin, j’ai intercepté un colis que quelqu’un a envoyé par dessus le mur. Le paquet est tombé dans la cour de la prison. Il est clair qu’il aurait dû atterrir dans la cour C et qu’il a été mal envoyé. Je l’ai ramassé, je l’ai remis à mon supérieur et nous avons appelé la police.

? Et qu’y avait-il dans ce colis ?

Autant que je m’en souvienne, il y avait, du gandia et des seringues neuves. (Hésitations)

Je ne me souviens plus.

? Selon vous, ce colis était destiné aux détenus de la cour C ?

Oui. C’est dans la cour C que la mutinerie a commencé.

J’y travaille. Peut-être – je ne sais pas si c’est le cas mais c’est la seule explication plausible – que les détenus ont voulu se venger de moi. Ce n’est pas la première fois que j’intercepte des colis ou de la drogue.

D’ailleurs, quand j’étais à la Prison Security Services (PSS), j’avais saisi de la drogue sur un détenu…

? Vous étiez, donc, membre de la PSS ?

Oui. Jusqu’au jour où l’on m’a transféré sans aucune explication.

? Est-ce à dire que les détenus ne vous tiennent pas, disons, en haute estime car vous étiez membre de la PSS ?

Je ne sais pas. Mais il est vrai que beaucoup d’officiers de la PSS ont reçu des menaces de la part des détenus. Quand j’étais à la PSS, je ne travaillais pas directement avec eux mais là, on les côtoie tous les jours.

Le shift n’est pas évident. On vous envoie directement dans la gueule du loup.

? Vous interceptez un colis destiné à des détenus.Sachant qu’ils ont un compte à régler avec vous, vos supérieurs ne songent pas à vous transférer. Plutôt intriguant, non ?

Je ne sais pas quoi vous dire. J’ai aussi pensé qu’on aurait dû me transférer mais ce n’est pas à moi de prendre ces décisions. J’obéis aux instructions.

? Les quatre ex-évadés ont dit à la police qu’ils vous ont vu parler longuement au détenu Kamlessing Beerbul, qui aurait orchestré l’évasion. Est-ce vrai ?

Oui. Vous savez les détenus n’ont plus le droit d’avoir en leur possession un briquet ou des allumettes. Or, ils fument à longueur de journée. Beerbul m’a approché pour que j’allume sa cigarette. 95 % des détenus fument et j’allume leurs cigarettes !

? L’on parle d’une longue conversation entre vous. Qu’est-ce que vous vous êtes dit d’autre ?

Mais cela fait partie de mon travail de parler aux détenus !

Je suis le seul garde chiourme à travailler dans une cour avec 121 détenus ! Avec Beerbul, on a parlé de football. On a aussi parlé de coups de téléphone. Il souhaitait appeler sa femme et je lui ai dit qu’il fallait en parler au welfare officer.

? Vous étiez seul avec 121 détenus ce jour-là… Comment est-ce possible ?

C’est extraordinaire, n’est ce pas ? Mais cela fait partie de notre réalité.

? Combien de fois par semaine y a-t-il un officier pour un aussi grand nombre de détenus ?

Mais c’est la routine.

? Voulez-vous dire que ce n’est pas le cas uniquement les dimanches ?

Bien sûr que non ! C’est le cas tous les jours.

? Savez-vous que le PM a dit au Parlement qu’il y avait un officier pour chaque deux détenus ?

Ce n’est pas de sa faute si le Commissaire des prisons lui ment. C’est pire à la prison de Beau-Bassin. Il faut compter quelque 300 détenus par cour et il n’y a qu’un officier par shift dans chacune d’elle.

? Mais que se passe-t-il en cas d’incident ?

Je porte le chapeau.

Comme je le fais actuellement.

? Mais qui prend ces décisions ?

Il y a une parade au début de chaque shift et nous recevons nos directives.

? Et personne ne s’en est jamais plaint ?

Ce n’est pas notre rôle de nous plaindre. Nous sommes des exécutants. A la prison, la devise est «Don’t complain, comply». Je m’étais rebellé une fois quand j’étais à la PSS. On m’avait demandé d’accompagner un high risk detainee à l’hôpital. Or, quand ce même détenu changeait de centre de détention, il était escorté par je ne sais combien d’officiers.

Dans ce cas précis, il se rendait dans un endroit public et j’étais supposé être seul à l’accompagner. J’ai demandé des informations sur le détenu puisque je devais savoir à quels risques je m’exposais. Ils n’étaient pas contents. Peu de temps après, j’ai eu mon transfert de la PSS.

? Avez-vous été blessé lors de la mutinerie ?

Pas vraiment. En fait, ils m’ont frappé, m’ont traîné dans une cellule. Puis, ils m’ont enfermé.

? Trois de vos collègues ont aussi été arrêtés dans le sillage de l’enquête. Y a-t-il eu complicité de leur part ?

Je ne peux vraiment pas vous le dire. C’est une question délicate. On se côtoie tous les jours et je sais que la plupart de mes collègues sont des gens honnêtes. C’est difficile de dire qui sont ceux qui sont complices avec les détenus ou non.

? Mais y a-t-il eu, selon vous, complicité dans l’évasion de GRNO ?

Je ne sais pas. Il vaut mieux laisser le soin à la police de le déterminer.

? Vous faites toujours confiance à la police ?

(Hésitations) Je pense qu’ils font leur travail.

? Mais vous admettez qu’il y a des officiers de la prison qui sont de mèche avec les détenus ?

Une autre question délicate. On sait que cela se passe mais il est très difficile de dire qui fait quoi. En décembre, l’on a arrêté un gardien de prison avec de la drogue.

Avant cela, on ne savait pas que cet officier s’adonnait à ces activités. Donc, il est très difficile pour moi de répondre à votre question. C’est malheureux que certains gardes chiourmes agissent ainsi car ils mettent en danger la vie de leurs collègues. Voyez ce qui m’arrive aujourd’hui.

Je paie le prix de la complicité de certains gardes chiourmes avec les détenus.

Propos recueillis par Deepa BHOOKHUN

 

Deepa BHOOKHUN