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Tassarajen Pillay Chedumbrum : « J’ai fait ma petite enquête »
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Tassarajen Pillay Chedumbrum : « J’ai fait ma petite enquête »
L’affaire Balaclava le ronge. Une histoire « farfelue » et « montée de toutes pièces », dit le ministre des Technologies de l’information et de la communication. Pour autant, il n’absout pas son staff…
Vous en faites une tête. Qu’est-ce qui ne va pas ?
(La mine déconfite) J’ai pris un sale coup derrière la tête avec cette histoire de conférence. Si j’avais été politicien j’aurais peut-être mieux géré, mais là…
Vous n’êtes pas politicien ?
Pas encore, j’apprends.
On en parle, de cette fameuse conférence ?
Allez-y… (Il s’enfonce dans son fauteuil)
Corrigez si nécessaire : les 5 et 6 octobre 2011, votre ministère organise à Balaclava une conférence internationale sur les TIC et le BPO. Les sponsors sont généreux et lâchent Rs 7,7 millions…
C’est ça.
Sauf qu’un gros million n’a pas été dépensé. Ou est-il passé ?
L’argent du sponsorship a été versé par chèque. Tous les chèques ont été libellés à l’ordre de Government of Mauritius. Donc personne ne peut rien en faire. Il faut savoir aussi que le comité organisateur de cette conférence avait mis sur pied un Finance Committee. Ensemble, ils ont créé un compte bancaire sous la supervision de l’Accountant General.
Donc où est-il ce fameux million ?
Sur ce compte-là. Personne ne pourra y toucher.
L’ICAC enquête sur quoi, alors ?
Autant que je sache, ils enquêtent sur la répartition des allowances. Plusieurs officiers de mon ministère ont travaillé pour préparer cette conférence. Chacun était censé recevoir une somme.
A quel titre ?
They’ve worked after office hours.
Il s’agit donc d’heures supplémentaires ?
Non, pas vraiment. C’était un package pour le coup de main qu’ils ont donné.
Vos officiers ne touchent-ils pas déjà un salaire ?
Si. Mais quand vous demandez à quelqu’un de travailler en dehors des heures de bureau…
Donc on parle bien d’overtime.
Oui. Mais ils ont mis ça dans un package. Cela ne me concerne pas, vous savez.
Ah bon ?
C’est purement administratif, ce n’est pas mon rôle de mettre mon nez là-dedans. J’ai quand même fait ma petite enquête.
Et…
Un fonctionnaire a reçu Rs 75 000, un autre Rs 50 000, un autre Rs 10 000, etc. L’Accountant General a payé une dizaine de personnes.
Sur quels critères ?
M. Deenoo []son ex-Assistant Secretary, ndlr] avait préparé une liste de personnes à rétribuer. Cette liste, il l’a envoyée au ministère de la Fonction publique, pour approbation. Or il paraît que le ministère n’a pas répondu. Arrivé au mois de décembre, il a fallu fermer les comptes, l’Accountant General a donc fait les chèques. Deux semaines plus tard, le ministère s’est manifesté pour réclamer des détails. Le problème, c’est que les paiements avaient déjà été effectués.
Je n’en sais
Les fonctionnaires de votre ministère avaient-ils droit à ces primes ?
 rien, ce n’est pas de mon ressort.
C’est du ressort de qui alors ?
Il y avait l’Assistant Secretary Deenoo []muté depuis, ndlr], ses deux chefs hiérarchiques et le Permanent Secretary Pather (muté aussi, ndlr). Tou sa bann dimoun la, se pa mo travay sa ! Si demain les toilettes éclatent à cause d’un tuyau percé, le ministre est-il responsable ?
Un compte percé, c’est un peu plus embêtant que des toilettes, non ?
Que le Permanent Secretary assume ses responsabilités !
En, clair, ce n’est pas votre problème, vous vous désolidarisez ?
Absolument.
Quelle somme se sont-ils partagés ?
Je n’ai pas le chiffre. Mo pa gayn drwa… Cela ne me concerne pas.
En tant que ministre, vous ne vous sentez pas responsable des fonctionnaires du ministère ?
Non, parce que j’ai tracé une ligne de démarcation claire. Je sais où mon travail commence et où il s’arrête. Mon rôle, c’est le policy.
Ont-ils commis une faute, selon vous ?
Comment pourrais-je le savoir ? Je ne suis pas leur chef, je vous dis ! (Il insiste) Quand je prends un peu de recul, j’ai l’impression que cette histoire farfelue a été montée de toutes pièces pour discréditer les gens.
Les gens…
Le ministre et ceux qui travaillent dans ce ministère. Ce qui me chagrine le plus dans tout ça, c’est que personne ne s’est intéressé aux formidables retombées de cette conférence. Le gratin mondial des technologies de l’information et de la communication était à Maurice. C’était une première. On a placé le pays sur la carte du monde des TIC et… (On coupe).
Et ça donne tous les droits ?
(Sec) Ki oule dir ? Rien de malhonnête n’a été fait dans le cadre de cette conférence. Pour moi, c’est clair et net.
Et vous, combien avez-vous touché ?
(Tout en contrôle) Rien du tout, pas un seul sou ! A part des emmerdements, je n’ai rien gagné dans cette histoire. Ou plutôt si, une chose : la fierté de lire cette inscription à New York, au World Economic Forum : « Mauritius IT Industry : a success story ». Vous pouvez me prendre tout ce que vous voulez, mon argent, mon job, mais ce plaisir-là, personne ne me l’enlèvera.
Parlons un peu de votre nouvel ami…
Qui ça ?
Sarat Lallah, le CEO de Mauritius Telecom. Ça fait bien deux semaines que vous ne lui avez pas envoyé la moindre vacherie. Les gens sont inquiets…
Mo pena oken problem ek Lallah.
Enfin réconciliés ?
Non, pas du tout !
Pourquoi vous agace-t-il autant ?
Li dir mwa li pas tomb sou mwa. He’s not answerable to me. Parfois, quand je l’appelle, il ne prend même pas le téléphone…
Ce qui est un comble vu son poste.
Il fait ça avec tous les ministres. On m’avait prévenu, mais je me fiche de ça moi.
Prévenu de quoi ?
De ne jamais toucher à un nominé politique. Mo pa atase ek sa kouyonad la, mwa. (Il prend un ton de meeting) Etes-vous satisfait du service Internet de MT ? Quand vous êtes en pleine communication et que la ligne coupe, êtes-vous satisfait ? Autrefois, quand votre téléphone tombait en panne, des techniciens de MT venaient réparer illico. Aujourd’hui le service laisse à désirer. J’en ai parlé avec Sarat Lallah, vous savez ce qu’il m’a répondu ? « Mo pa pou kapav fer nanien, al get board. » Pareil pour les travailleurs contractuels, « impossible ! », me disait-il. Alors je suis allé voir le board, je leur ai expliqué et finalement plus de 200 contractuels ont été titularisés.
Qu’est-ce que le pays ferait sans vous…
(De plus en plus vindicatif) Vous croyez que ça m’amuse de recevoir des plaintes d’abonnés à longueur de journée ? Pa mo travay sa ! M. Lallah : « Met inpe lord dan sa bwat la papao ! Si c’était moi qui l’avais nommé, j’aurais pu prendre la décision qui s’impose en ce qui concerne son avenir. Vous n’avez pas envie que le service s’améliore, vous ? Que le prix baisse ?
De là à mettre tout sur le dos du CEO…
Al gete lor kisanla ou oule met fot la. Pena pli aveg ki selwi ki pa le trouv cler.
Avoir le scalp de M. Lallah, c’est clairement un objectif ?
Non. (L’index pointé) Ce qui m’intéresse, c’est le travail. Que tout le monde travaille ! Mon objectif est de faire des TIC le premier pilier de notre économie, devant les services financiers et le textile.
Vous vous êtes fait une raison : M. Lallah est indéboulonnable.
To boulone, to pa boulone, sa na pa deranz mwa.
Indéboulonnable ou pas ?
Je suis là depuis deux ans. J’ai encore trois ans à faire…
Il aurait le soutien du Premier ministre…
En tout cas, jamais le Premier ministre ne m’a appelé pour me dire « Fer tension, Sarat mo dimoun ».
Ça vous donne confiance ?
Bien sûr !
Peut-être que M. Lallah est plus coriace que vous …
Le temps est un grand maître, vous savez. Il règle bien des choses.
Vous l’aurez à l’usure ?
Le temps est un grand maître…
Vous avez grandi à Camp-Diable avec un père sirdar et six frères et soeurs. Quel souvenir gardez-vous de votre enfance ?
Mon père était un homme simple, intelligent. []Sa mère est décédée quand il avait 18 mois, ndlr] Il avait des moyens financiers très limités, mais il nous a légué des valeurs. Le respect, la prière, papa ti koze sa souvan. Il détestait la vanité. Je l’entends encore nous dire : « Bizin apran pou kapav resi » On a suivi ses conseils. Il ne voulait pas que l’on subisse le même sort que lui.
Pendant 10 ans, vous avez été très actif au sein d’associations religieuses tamoules. Ça aide, en politique, d’être chéri par les pousari ?
Je ne leur dois pas ma place. Cela dit, ce serait malhonnête de dire que les Tamouls de ma circonscription n’ont pas voté pour moi. Bien sûr que mon parcours m’a aidé. Mais je ne m’en suis jamais servi pour entrer en politique. Si telle avait été mon intention, j’aurais été candidat dès 2000, quand je présidais la Mauritius Tamil Temples Federation.
Quand des associations tamoules perturbent un concert de Sushila Raman, êtes-vous solidaire ou en colère ?
Avec la fédération des temples tamouls, j’ai des divergences d’opinion sur un bon nombre de sujets. Mais je n’ai pas envie d’épiloguer là-dessus.
Solidaire ou en colère ?
Je ne sais pas exactement ce qui est arrivé, donc je ne me prononcerai pas.
Vos proches vous décrivent comme un homme dynamique, franc du collier, travailleur mais aussi peu diplomate et pas très habile politiquement. Vous retrouvez-vous ?
(Direct) Oui. Je n’ai pas eu de formation politique. Je fais ce que mon esprit me dit de faire et parfois, politiquement, ce n’est pas opportun. Récemment, j’ai compris une chose : pli ou koz manti, pli ou enn bater lakol, mieux ça passe. Mais ce n’est pas dans mon caractère, je ne sais pas faire ça.
Vous dites souvent : « La politique n’est pas ma destination finale ». Quelle est-elle ?
Je ne la connais pas et c’est très bien ainsi
 
Entretien réalisé par Fabrice Acquilina
(l’express-dimanche, 3 juin 2012)
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