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Un tournant

8 septembre 2012, 20:00

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Les militants anti-communalistes de Rezistans ek Alternativ ne devraient pas avoir le triomphe trop modeste, ces jours-ci : la remarquable victoire obtenue, haut la main, devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies sur les dispositions archaïques du Best Loser system, 40 ans après l’indépendance, la reconnaissance internationale du tort qui leur a été fait en tant que citoyens par le refus de leurs candidatures aux élections pour non-déclaration de « communauté » et le caractère inéluctable de la réforme électorale qui devra maintenant intervenir, constituent une gifle retentissante à un modèle politique dépassé.

La décision du Comité de l’Onu, par ses implications morales et constitutionnelles, est de nature à ébranler le mode de pensée traditionnel qui a pendant longtemps fait reposer tout l’édifice électoral mauricien sur des « réalités ethniques » jugées immuables. La pression pour faire avancer les choses dans le sens du « nation-building » devient considérable. La réforme électorale, objet de tant de tractations opaques et coincée dans un « deadlock » politique sur le Best Loser system, s’impose d’elle-même. La décision de Genève, par sa dimension psychologique, ouvre la voie à un nouveau « mindset ». Elle constitue assurément un des tournants décisifs de l’histoire politique du pays depuis 1968.

Pour cela, il convient tout d’abord de saluer la détermination et l’idéalisme de Rezistans ek Alternativ. Ces hommes et ces femmes de convictions, dotés de moyens modestes mais dont la principale force aura été de croire jusqu’au bout en la justesse de leur cause et en une vision généreuse de leur pays, ont fait reculer l’Etat et son armada de légistes. Ils sont, par plusieurs côtés, un exemple de courage citoyen face aux puissants du jour.

La victoire de leurs convictions remet aussi en pleine lumière la timidité (pour ne pas dire pire) des progressistes d’hier, qui tout à leurs petits calculs électoralistes et au grand embarras de leurs plus anciens partisans, ont joué le mauvais cheval en défendant le maintien « pour quelque temps encore » du Best Loser System. Ils se retrouvent, aujourd’hui, du mauvais côté de l’Histoire. Mais les chefs du MMM peuvent désormais dormir plus tranquilles : des juges étrangers, à Genève, ont fait le travail à leur place, tranché le nœud gordien pour eux et les ont commodément libérés d’une pénible obligation de choisir! Sans doute mieux conseillé par ses juristes, ici et ailleurs, sur l’issue probable du litige aux Nations unies, le Premier ministre a, pour sa part, plaidé le bon dossier en insistant sur le fait que, 40 ans après l’indépendance, nul ne devrait avoir à préciser officiellement sa « communauté » pour avoir le droit préalable d’être candidat aux élections. Navin Ramgoolam, qui ne cesse de confondre ses adversaires, s’assurait, du même coup, qu’il pourrait demain revendiquer une position politique plus « moderne » face aux jeunes générations que celle, ambiguë, du MMM sur la question. Cette prise de position ne dédouane pas, pour autant, le régime de sa responsabilité première  dans le maintien du carcan d’arrière-pensées communales qui conditionne toute la vie publique mauricienne – et dont le Best Loser system n’est qu’une des manifestations. Tout simplement, elle le met plus à l’aise et cela peut être électoralement important demain.

La décision de Genève donne, enfin, au pays une chance unique de repartir sur quelques nouvelles bases électorales. Il n’y a plus maintenant aucune raison pour que le Premier ministre, invoquant le « ruling » de l’Onu, ne vienne pas rapidement avec une proposition de réforme électorale qui exclut le Best Loser System et ne mette pas l’opposition devant ses responsabilités. Il n’y a, pour cela, aucun besoin de consultations supplémentaires, donnant lieu à davantage de suspicions et rumeurs. Tout a été dit. Les choses doivent se passer en pleine lumière au Parlement, par législation, propositions, amendements, débats et votes clairs et nets devant toute la nation. On a assez tergiversé sur ce dossier. La crédibilité des uns et des autres est fortement entamée par ces valses-hésitations qui cachent bien d’autres desseins : c’est l’occasion de focaliser les esprits sur l’essentiel de la réforme au lieu de toujours louvoyer.

Chacun doit désormais assumer. Or, Navin Ramgoolam n’a eu, jusqu’ici, pour priorité que de renverser la table sur l’opposition. Paul Bérenger doit, lui, cesser avec ses combines politiques savantes qui clairement ne mènent le MMM nulle part, et faire que le parti redevienne lui-même : un parti de combat et d’idées.

L’histoire de Maurice pourrait bien, en 2012, subir ainsi un petit coup d’accélérateur et négocier un tournant. Comme en 1970. Si cela devait intervenir, on le devrait à quelques braves qui, devant un flagrant déni de justice et de leurs droits, ont refusé de baisser la tête et ont choisi de brandir le plus beau mot de la langue française : « Non ».

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