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Vallée-Pitot : Une pauvreté discrète
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Vallée-Pitot : Une pauvreté discrète
Des murs en béton savent parfois cacher la misère. Le temps d’une visite dans le quartier de Vallée-Pitot, les conditions de vie de quelques familles nous en donnent une preuve concrète, à quelques jours du début du ramadan, jeûne pour les Mauriciens de foi islamique. Certaines familles arrivent à peine à garder la tête hors de l’eau…
À quelques encablures du quartier des affaires de la capitale, Vallée-Pitot s’étire sur le flanc de la chaîne de montagnes de Port-Louis. Ne vous laissez pas impressionner par les murs en béton : ils ne font que dissimuler des maisons maladroitement construites avec les moyens du bord, maisons à l’intérieur desquelles se cache une autre forme de misère, discrète, modeste.
Ces familles qui vivent là ne tendent pas la main – elles ont appris que seul le dur labeur pourrait leur permettre de se sortir de la pauvreté. Sans rien à se mettre sous la dent, sans travail, elles s’estiment chanceuses d’avoir un toit au-dessus de leurs têtes. Heureusement, autour d’elles, la solidarité des gens du quartier s’organise. C’est grâce à cela que nombre d’entre elles sont encore là.
Pour Fakira Nasi, cuisiner au feu de bois est devenu une habitude.
Le quartier a connu de grands changements ces cinq dernières années. Et si plusieurs familles vivent toujours dans la misère, très peu de gens souhaitent s’exprimer sur ce sujet qui embarrasse. Surtout ceux qui sont touchés de plein fouet. Ils vivent dans leur modeste demeure, loin des regards curieux et se contentent de ce qu’ils reçoivent sans rien demander de plus. Leur priorité reste l’éducation de leurs enfants : ils sont prêts à tout sacrifier afin que ces derniers ne manquent de rien. Mais comme laisse échapper une mère de famille, «kan pena pena».
Voulant à tout prix éviter de recourir à la mendicité, ils frappent aux portes des travailleurs sociaux de l’endroit, ces bienfaiteurs qui se démènent pour changer les choses à Vallée-Pitot. À l’instar de Nizam Nasroollah, très apprécié des gens du quartier pour sa patience et son dévouement envers les personnes démunies. Ce quartier, il le connaît comme sa poche, mais il a de plus en plus de mal à se déplacer dans certaines rues, entre les drains creusés çà et là pour permettre à l’eau de circuler lors de grandes averses, les sentiers pentus et les escaliers raides aux perrons d’une cinquantaine de centimètres de haut chacun. Un véritable parcours du combattant, autant pour les travailleurs sociaux que pour ceux qui vivent là.
Le teint gris et le corps affaibli, Mustafa Issoob, père de trois enfants, suit un traitement de dialyse tandis que sa femme Safinaz souffre de problèmes auditifs – de quoi limiter leur champ d’action au quotidien. Incapables de travailler, sans proches parents pour leur venir en aide, ils reçoivent une allocation de la sécurité sociale, un revenu de Rs 3 000 à peine, largement insuffisant pour couvrir leurs besoins. D’autant plus que leurs enfants ne sont âgés que de 6, 9 et 15 ans.
«Mo madam okip mwa ek mem si li sourd, li okip bann zenfan. Ena zour nou pena narien pour donn zot ; gramatin zot bwar dite pir. Mo kone mo pa pou tenir lontem koum sa, parski ena fwa mo sorti dialise lor fotey roulante telman mo faib ek sa maladi la, me mo zis swete mo bann zenfan gagn ledikasion ki bizin», déclarenotre interlocuteur, racontantque jusqu’à très récemment,ils dormaient tous sur desmatelas à même le sol. Ils ontdepuis reçu un lit – «dimouneti pe zet lili noun pran li».
Latiff Abdool a pour sa part tout perdu : à 54 ans, elle trouve la force de se battre pour le seul être cher qu’il lui reste, son petit-enfant Fardeen, âgé de 6 ans. Elle a perdu mari et fils et élève seule cet enfant : «Mo ti zanfanti ena 2 an kan so papa innmor ; so mama tinn fini kit li,linn ale kan zanfan la ti ena 6mwa». Elle vit dans une case en tôle de deux pièces. «Sekimo ganie pou viv mo pran;mo sakrifie mo mem pou mo tizanfan gagn manze tou lezour;mo strese ena zour – mo bizinale rod prete apre kan mo gagnmo pension mo rande», raconte la vieille femme fébrilement.
Le couple Issoob est dans l’incapacité de travailler : lui, suit un traitement de dialyse et, elle, souffre de problèmes auditifs.
Chez d’autres familles comme chez Fakira Nasi, la misère se vit à peine différemment – il suffit d’être entre les quatre murs pour s’en rendre compte. Ils ont une maison de plusieurs pièces mais dans le grand désordre qui y règne, difficile de trouver de quoi se nourrir. Parfois, ils n’ont pas non plus les moyens de s’acheter du gaz pour cuire à manger. Le fils de 18 ans va alors chercher du bois pour qu’ils puissent faire un feu et préparer un repas. «Mo marivann sipek, mwa mo travay kotdimoun mo netoye.»
Comme celle de Fakira Nasi, près de sept maisons ont été refaites avec l’aide des travailleurs sociaux de l’endroit, mais la misère reste entière. Certains sont sans emploi pour cause de maladie ; d’autres travaillent mais n’arrivent pas pour autant à joindre les deux bouts. Aiisha Sheikheerah vit avec son fils de
23 ans, ce dernier se chargeant tant bien que mal de tenir la barre. «Mo mama ena 53 ans,li travay avek mo bofrer, li vannpoudin me li malad, li ena diabet– ena fwa li pa kapav travay»,témoigne sa fille, que nous rencontrons un peu plus loin.
La misère, dans cette région, semble se refléter jusque dans l’apparence des ruelles : des drains creusés sans planification, des chemins recouverts de lambeaux d’asphalte, avec pour seul objectif de permettre d’accéder aux cours et aux maisons construites en hauteur.
Un environnement et des infrastructures qui démontrent qu’il s’agit là d’un quartier quelque peu oublié des autorités. En attendant les prochaines élections, peut-être…
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