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Viren Ramchurn, avocat : « La police prend les Mauriciens pour des imbéciles »

26 août 2013, 11:20

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Viren Ramchurn, avocat : « La police prend les Mauriciens pour des imbéciles »

L’enquête sur l’accident de Sorèze est bouclée. Surprise : la police recommande des poursuites contre le receveur du bus de la CNT, Ram Bundhoo, à qui elle reproche d’avoir surchargé le véhicule. Une accusation que son avocat juge grotesque.

 

Vous êtes seul, où est votre client ?

 

(Hésitant) Je viens de parler à M. Bundhoo. C’est-à-dire que... Comment vous dire ?... Asseyez-vous.

 

Les nouvelles sont si mauvaises ?

 

En fait, il est encore chez lui.

 

N’était-il pas censé être là ?

 

Si, je l’attends depuis deux heures maintenant...

 

Comment fait-on ?

 

Je ne sais pas… je ne sais plus… J’ai d’autres clients qui attendent (une dizaine de personnes s’impatientent dans la salle d’attente). M. Bundhoo m’a parlé d’un problème de famille.

 

Vous semblez peu convaincu…

 

Soyons francs, il ne va pas bien. Depuis qu’il a appris qu’il risquait des poursuites, ce n’est plus le même homme, piti la boulverse.

 

La police lui reproche d’avoir surchargé le bus.

 

La police cherche un bouc-émissaire. Dix personnes sont mortes à cause d’un receveur ? Les freins ont lâché parce qu’il y avait six passagers de trop ? Allons, ça ne tient pas la route (sic). La police prend les Mauriciens pour des imbéciles, c’est une insulte à l’intelligence des gens. Des bus surchargés, il y en a tous les jours. Les écoliers et les collégiens vivent ça chaque matin.

 

Rappelons M. Bundhoo, vous voulez bien ?

 

Je ne sais pas si c’est une bonne idée. Il est inquiet, il panique. L’accident l’a blessé dans sa chair, maintenant, c’est psychologiquement qu’il est atteint.

 

A-t-il repris le travail ?

 

Non. Il se déplace encore avec difficulté, son congé vient d’être prolongé jusqu’en novembre.

 

Nous aura-t-il rejoints d’ici là ?

 

(Il regarde sa montre) Comprenez- le, cette histoire de rapport de police l’a fait basculer psychologiquement. Ils sont en train de l’achever. Cet homme est une victime, c’est un miracle qu’il soit encore en vie. Et voilà que du jour au lendemain, il passe du statut de victime à celui de coupable. Vous ne seriez pas déstabilisé, vous ?

 

Que risque-t-il, d’après vous ?

 

Pas grand-chose. Le directeur des poursuites publiques et son équipe sont des personnes sensées qui connaissent parfaitement le droit. Ils verront que la surcharge du bus n’est pas à l’origine de l’accident, c’est un prétexte qui arrange bien le vrai coupable, la CNT. « Admitting more passengers », c’est une simple amende. Et encore, ces passagers sont quasiment entrés de force, que pouvait faire mon client ? Li pa kapav fou zot deor.

 

On l’attend ou on continue ?

 

Continuons, ça le fera peut-être venir.

 

Vous disiez que la police a trouvé un bouc-émissaire...

 

Pas un, deux ! La responsabilité du chauffeur décédé sera également engagée si j’en crois les journaux. Accuser un mort, quelle honte ! C’est abject. Imaginez la famille… Le chauffeur et le receveur sont des héros, pas des meurtriers, ils ont tout fait pour sauver un maximum de passagers. Ce qui a provoqué ce drame, nous le savons tous : ce sont les défaillances du système de freinage. Cinq mois avant l’accident, les freins de ce bus avaient déjà lâché. Et quatre jours avant, le 29 avril, un problème avait encore été signalé au niveau des freins (la direction de la CNT a reconnu « une fuite au niveau d’un coupleur », tout en précisant que « la pièce a été changée le jour même », NdlR). Ce bus était un corbillard, il n’avait rien à faire sur la route. Partant de là, il faut situer les responsabilités et punir les vrais coupables.

 

Est-ce inconcevable de refuser de monter dans un corbillard quand on est employé par la CNT ?

 

Si un receveur refuse de travailler, on le met à la porte, c’est aussi simple que cela. Pourtant, quand on voit l’état de certains bus, on se dit que les receveurs font un métier dangereux.

 

Le jour de l’accident, le bus a roulé durant trois heures. Comment se comportaient les freins ?

 

Tout à fait normalement, selon mon client. Il a expliqué aux policiers, en ma présence, qu’il n’y avait rien de suspect (le rapport de police, basé sur les témoignages des passagers, contredit cette version, ndlr).

 

Vous étiez sur les lieux de l’accident quelques minutes après le drame...

 

Oui, je passais par là en voiture, j’étais l’un des premiers sur place. Les cris, les hurlements, les corps prisonniers de la tôle, je n’oublierai jamais. Jusqu’à aujourd’hui, ces images me hantent, j’imagine l’épreuve que doivent vivre les survivants. Tout à coup, j’entends : « Ramchurn ! Ramchurn ! » C’était le receveur, il avait réussi à sortir du bus, il était allongé au sol. Il criait : « Kot mo sofer ete ? Ena enkor pasazeandan ? » Plus tard, il m’a dit qu’on s’était rencontrés à Flacq pendant la campagne électorale de 2010 (VirenRamchurn, candidat MMM, aété battu dans la circonscription n°10,Montagne-Blanche/Grande-Rivière-Sud-Est, NdlR).

 

Pourquoi votre client réclame-t-il Rs 15 millions à la CNT ?

 

À titre de dommages et intérêts pour faute, imprudence et négligence.

 

Si vous obteniez une telle somme, combien ira dans les caisses du MMM ?

 

(Éclat de rire) D’abord, je ne sais pas ce que je toucherai, nous n’en avons pas discuté avec mon client. Ensuite, je ne mélange pas tout. Je suis un opposant de ce régime, c’est vrai, un membre du bureau politique du MMM aussi, mais c’est l’avocat qui vous parle aujourd’hui, pas le politicien.

 

Certains de vos amis n’ont pas eu d’états d’âme à faire de la politique sur les cadavres de Sorèze…

 

Moi, je ne mélange pas tout. J’ai posé une ligne de démarcation claire entre mon travail d’avocat et celui de politicien.

 

Y a-t-il parfois des points de rencontre ?

 

Le côté beau-parleur.

 

Un beau-parleur qui accuse la CNT sans preuve, par exemple ?

 

Je prouverai la responsabilité de la CNT en cour. La CNT est coupable d’avoir laissé rouler un bus défectueux, c’est une « culpable negligence». À la place de leur assureur, je serais inquiet.

 

Votre client ne viendra plus maintenant, n’est-ce pas ?

 

Je suis resté une demi-heure avec vous, c’est suffisant non ?? Sorry, ma salle d’attente est surchargée (sourire). Allez, thank you, bye-bye.

 


 

Accident de Sorèze : Le chauffeur comme bouc-émissaire ?

 

Trois mois se sont écoulés depuis le terrible accident de Sorèze, au cours duquel un autobus de la Compagnie nationale de transport (CNT) s’est renversé, causant la mort de dix passagers. La police a désormais bouclé son enquête sur les causes de ce drame. Un dossier de plus de 600 pages a été transmis ce mois-ci au directeur des poursuites publiques, qui devra décider d’éventuelles poursuites pénales. Les premières indications quant au contenu de ce rapport font état de causes multiples, dont un freinage défectueux et la négligence du chauffeur et du receveur. Ce dernier, rescapé, aurait admis trop de passagers dans l’autobus tandis que son collègue, décédé lors de l’accident, aurait continué sa route malgré avoir senti, bien plus tôt, que les freins ne fonctionnaient pas normalement.

Ram Bundhoo lors de la reconstitution de l'accident en juin.

 

Pour les proches des disparus et les rescapés, il est difficile d’admettre que la responsabilité soit mise sur le dos du chauffeur décédé, « héros » aux yeux de beaucoup. Une proche d’une victime décédée déclare que « ce quele chauffeur a fait n’était pas si facile». Elle ajoute : « Il a fait de son mieux. Nous seuls qui étions dans le bus pouvons réellement témoigner de ce qui s’est passé. Le chauffeur est un véritable héros. » Parce qu’il a délaissé les voies de l’autoroute pour prendre celles de la déviation de Sorèze, évitant ainsi que d’autres véhicules soient impliquées dans l’accident.

 

Darshan Chiniah, rescapé, récuse ainsi tout tort du chauffeur : « Je ne comprends pas comment l’enquête a pu prendre cettedirection. Cela me laisse perplexe et sceptique. J’ai vu le chauffeur faire de son mieux pour éviter un plus gros carambolage. Je ne vois pas l’intérêt de commettre intentionnellement cet accident et comment aurait-il pu en bénéficier ? Il a eu la bonne présence d’esprit de faire prendre la direction de la déviation de Sorèze. »

 

« Je n’arrive plus à dormir »

 

Le receveur Vhiswanath Bundhoo, dit Ram, rappelle que son collègue décédé souhaitait faire le tour de la déviation et s’arrêter sur un terrain vide. Mais une roue du véhicule s’est retrouvée dans un canal et l’a fait basculer. « Le chauffeur a fait son maximum. Cela aurait pu être plus grave, par exemple, s’il avait continué sur l’autoroute à Pailles », nous a-t-il confié vendredi soir (Ndlr 23 août).

 

Quant à ses propres responsabilités, Bundhoo estime n’avoir rien pu faire : « Ils disent que j’ai pris des passagers supplémentaires. Alors que je donnais les tickets aux passagers,certains descendaient et d’autres montaient. Et ils ne veulent plus descendre une fois à bord du bus. » Il déplore qu’on le montre du doigt : « Suite à l’accident, Je n’arrive plus à dormir le soir. Le médecin m’a conseillé de prendre trois mois de congé. Mais au lieu de me soulager, les autorités me donnent plus de stress. » Le rescapé Darshan Chiniah estime en tout cas que « le bus n’était pas rempli anormalement ».

 

Pour le fils du chauffeur, Avishek Gunness, « c’est vraiment injuste ». Et de poursuivre : « Je suis révolté, CNT pe met tor lor ledo mo papa. Je pense qu’elle fuit ses responsabilités.»

 

Un sentiment partagé par un autre proche de l’une des victimes : « Il est clair que le bus avait un problème mécanique. Pourquoi vouloiraujourd’hui faire diversion ? » Un autre rescapé est lui aussi d’accord pour dire que « c’est la CNT qui aurait dû assumer ses responsabilités carnombre de ses bus sont défectueux ».

 

Aujourd’hui, dit-il, il est « facile » de blâmer le chauffeur « car il n’est pas là pour se défendre ». Notreinterlocuteur insiste : « La CNT a de graves problèmes de maintenance. C’est un sentiment de colère et de révolte qui m’anime car on dirait que les autorités s’en fichent. »

 

« Le pire, explique Avishek Gunness, c’est que les autorités nous avaient promis une compensation mais jusqu’à présent, on n’a toujours rien eu. » Et d’ajouter : « Nous faisonsface à des problèmes financiers à la maison. »

 

Darshan Chiniah pense en outre qu’il est « nécessaire que lesautorités nous remettent une copie du rapport effectué par les experts », car il « doute de la CNT aujourd’hui ».

 

Shandinee Yagambrum