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Agaléga
Arvin Boolell : «L’Inde n’avait aucune objection à rendre l’accord public»
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Arvin Boolell : «L’Inde n’avait aucune objection à rendre l’accord public»
Rencontre entre Subrahmanyam Jaishankar et Arvin Boolell, en 2021, lors de laquelle ce dernier a insisté sur l’importance de rendre l’accord sur Agaléga public.
Dans le discours budgétaire de 2015, Vishnu Lutchmeenaraidoo, alors ministre des Finances, avait annoncé l’agrandissement du port pour développer la pêche. Neuf années plus tard, c’est à Agaléga qu’une jetée a été inaugurée. Selon Arvin Boolell, député du PTr et ancien ministre des Affaires étrangères, l’abandon de l’un et la construction de l’autre sont liés à la volonté de l’Inde de s’imposer dans l’océan Indien. Ce qui, selon lui, va bénéficier à Maurice. Cependant, il réclame toujours plus de transparence.
Les relations politiques entre les États de l’océan Indien sont bousculées en ce moment, et les deux principaux protagonistes derrière les changements d’allégeance sont l’Inde et la Chine. «L’Inde a exprimé ses préoccupations profondes sur les nouvelles relations entre les Maldives et la Chine. Depuis, l’Inde travaille pour rétablir les relations avec les Maldives, même si des projets importants, comme la construction d’un aéroport par l’Inde dans cet archipel, ont été mis au placard», explique Arvin Boolell. Pour rappel, récemment, les relations entre les deux pays ont connu un nouveau refroidissement, avec une guerre à distance entre les deux chefs d’État. De plus, au Sri Lanka, la Chine a financé un port qu’il opère totalement car les remboursements n’ont pas été faits. D’ailleurs, Gotabaya Rajapaksa, l’ancien président, a dit que son renversement est lié aux investissements chinois dans le pays pendant son mandat.
Face à cette situation, explique Arvin Boolell, l’Inde cherche à rétablir sa position dans la région. Raison pour laquelle la Grande péninsule avait demandé à Maurice de ne pas faire partie du système One Belt One Route que la Chine a mis en place pour le développement d’infrastructures dans plus de 150 pays. Pour contrer cela, l’Inde avait lancé la mission Sagar pour venir en aide aux pays bordant l’océan Indien pendant le Covid. De plus, l’Inde a passé des accords avec Maurice et le Sri Lanka pour le commerce en roupies indiennes, afin de renforcer ses relations avec ces pays.
Ailleurs dans le monde, l’Inde poursuit toujours son cheminement pour s’imposer. Le pays a été reconnu comme Major Defence Partner par les États-Unis en 2016. Ainsi, les deux pays ont participé à plusieurs exercices militaires dans la région. En mars de l’année dernière, l’Exercise Cutlass Express a eu lieu et a vu la participation de 14 pays de la région et les experts avaient fait ressortir que cet exercice avait pour but commun de l’Inde et les États-Unis de contrer l’influence grandissante de la Chine dans la région, même si officiellement, il a été présenté comme un renforcement de la sécurité maritime. L’Inde a aussi participé à des exercices avec AUKUS, un partenariat de sécurité entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis.
Depuis Indira Gandhi
«Ce qui nous mène à Agaléga», dit Arvin Boolell. Il affirme que l’intérêt de l’Inde pour cette partie du territoire de Maurice ne date pas d’hier. «Les discussions avaient débuté à l’époque où Indira Gandhi était Première ministre.» Donc, depuis les années 1980. Cependant, la situation était compliquée à l’époque car l’Inde était un partenaire de la Russie, ce qui ne plaisait pas trop aux Américains, et, de ce fait, Maurice était dans une position délicate, d’autant plus que les revendications sur les Chagos avaient déjà débuté. «Aujourd’hui, la situation a changé. De plus, les États-Unis se sont, depuis, éloignés du Pakistan à cause de l’échec du combat contre le terrorisme, et ce pays s’est aussi rapproché de la Chine. Donc, le rapprochement avec l’Inde est devenu possible.»
Revenant à Maurice, Arvin Boolell dit, sans détour, que le pays ne peut pas surveiller seul sa zone économique exclusive malgré les différents accords que le pays a signés sur la sécurité maritime. «On ne peut pas combattre la piraterie, le terrorisme et la pêche illégale, d’autant plus que nous faisons partie de l’Indian Ocean Tuna Commission. Donc, l’Inde devient alors un partenaire incontournable. Nous n’avons pas non plus les capacités d’explorer les fonds marins et éventuellement exploiter les ressources. En outre, nous arrivons dans une époque où les métaux rares se font de plus en plus rares», dit l’ancien ministre. Au-delà de tout cela, le développement du tourisme et de la pêche nécessitera aussi un partenaire solide. «N’oublions pas que nous avons le potentiel de développer une industrie de la pêche extraordinaire», précise-t-il.
Raison pour laquelle une jetée moderne est importante pour Maurice dans la région. Arvin Boolell rappelle qu’en 2015, le gouvernement avait annoncé un projet de développement du port à Bain-des-Dames qui devait être financé par la Chine. Cependant, le projet a vite été abandonné. Maintes raisons avaient été avancées, mais toujours est-il que dès 2017, plusieurs sources avaient confirmé que le projet n’irait pas de l’avant. Selon Arvin Boolell, c’était à la demande de l’Inde, surtout que le développement d’infrastructures à Agaléga était annoncé à la même période. De plus, Maurice a l’ambition de passer d’un État en développement à un État-océan.
Donc, les développements à Agaléga, selon Arvin Boolell, s’inscrivent dans plusieurs lignes. Tout d’abord, le développement de Maurice en Étatocéan, une industrie de la pêche solide et aussi pour renforcer la présence indienne dans la région. Il rappelle que la relation entre les deux pays va audelà de la diplomatie. «Il y a des liens historiques et culturels aussi. À chaque fois que Maurice a fait une requête, l’Inde y a accédé. Rappelons aussi que Maurice a soutenu l’Inde pour qu’elle intègre le conseil de sécurité permanent de l’ONU. Nous avions aussi soutenu la décision de l’Inde de ne pas signer le traité de non-prolifération du nucléaire.»
Moins d’opacité
Mais est-ce que cela justifie une base militaire ? Arvin Boolell réfute. «It is not a base, but a place», dit-il, et ce, malgré les affirmations de la presse indienne et du Lowy Institute en Australie entre autres. La nuance est fine. Une base est un endroit qui accueille des garnisons et autres avions militaires. Une place est un endroit qui pourrait éventuellement accueillir des militaires. Il est clair qu’en cas de tensions dans la région, avec le partage d’informations et la collaboration avec AUKUS, les avions militaires de l’Inde peuvent être à Agaléga en quatre heures. Il répète aussi que ces infrastructures s’inscrivent dans le développement et la sécurité de l’État mauricien et que les investissements indiens sont bienvenus.
Mais tout cela ne justifie pas l’opacité. Selon lui, l’Inde ne déplacera pas les Agaléens et avec le développement, fera de son mieux pour améliorer la qualité de leur vie. De plus, les habitants des deux îles bénéficieront des nouvelles industries qui seront créées, car le but est de sortir du copra et de diversifier l’économie agaléenne. «Mais malgré tout, on ne peut pas être indifférent aux demandes de l’électorat. Il faut que l’accord soit rendu public.» Les raisons sont multiples. Il ne demande pas des informations sensibles relatives à la sécurité, mais ce qui concerne tout le monde. «Par exemple, s’il y a un loyer qui est payé. Ou peu importe ce que Maurice obtient en retour. Nous devons savoir. Nous sommes aussi en droit de connaître les plans. Est-ce que nous pourrons circuler librement dans toute la République ? Est-ce qu’il y a un plan pour le développement du tourisme ? C’est ce que nous demandons.»
Et là, il affirme que l’Inde n’a absolument aucun problème à ce que les accords soient rendus publics. D’ailleurs, le sujet avait déjà été abordé lorsqu’il avait rencontré Sushma Swaraj, ancienne ministre des Affaires étrangères de l’Inde. «Il était clair que l’Inde n’avait aucune objection à ce que l’accord soit rendu public une fois finalisé.» Par la suite, en 2021, il avait eu une rencontre avec Subrahmanyam Jaishankar, actuel ministre des Affaires étrangères de l’Inde, alors qu’il était leader de l’opposition, et il avance que pendant la rencontre, il avait mis l’accent sur l’importance de rendre cet accord public. «C’est important pour les deux pays et les deux peuples», avait-il dit. «Cependant, il semble qu’il y ait un malaise sur le but ultime. Raison pour laquelle nous demandons la transparence avec insistance», martèle-t-il.
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