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Interview

Aurélie Halbwachs-Lincoln : «Il faut faire un gros effort en faveur du cyclisme féminin»

6 décembre 2024, 04:00

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Aurélie Halbwachs-Lincoln : «Il faut faire un gros effort en faveur du cyclisme féminin»

En cette année 2024, Aurélie Halbwachs-Lincoln est entrée encore un peu plus dans l’histoire du cyclisme mauricien en devenant la première Mauricienne à se qualifier pour l’épreuve de VTT cross-country des Jeux olympiques (JO). Malheureusement, elle sera victime d’une chute lors de cette course à Paris le 28 juillet dernier. Victime de fractures aux côtes notamment, elle a connu une fin de saison difficile avec des soucis de santé qui se sont succédé. Elle revient, dans l’entretien qui suit, sur sa saison 2024 qu’elle qualifie de positive malgré tout et évoque ses projets d’avenir.

Votre saison 2024 a pris fin. Quel regard jetez-vous sur son déroulement ?

2024 était une année très spéciale. J’ai enchaîné beaucoup de courses depuis le mois de février. Elle avait un peu mal commencé avec le Tankwa Trek en VTT lors duquel ma coéquipière avait abandonné mais ensuite, il y a eu les superbes résultats aux Jeux d’Afrique au Ghana en mars avec la sélection mauricienne de cyclisme sur route. Cela a été une grande source de motivation pour moi en prévision de la suite de la saison. Il y a eu ensuite les Championnats d’Afrique de VTT (en mai au Maroc) où j’étais très contente de décrocher deux médailles d’argent. Il était impossible de se rapprocher de Candice Lill qui est deuxième meilleure mondiale, mais personnellement, j’ai eu la satisfaction de retrouver un bon niveau continental. Ma qualification pour les Jeux olympiques a suivi. J’ai eu une belle préparation bien qu’elle n’ait duré que deux mois. Mais après la course à Paris le 28 juillet, la roue a tourné. C’est devenu difficile pour moi avec des problèmes de santé. C’était dur mentalement et physiquement. Mais globalement, 2024 reste une saison positive.

Justement, vous êtes parvenue à décrocher la qualification pour les Jeux olympiques de Paris 2024. Cela a été le haut fait de l’année pour vous n’est-ce pas ? Est-ce que votre participation à l’épreuve de VTT cross-country reste un bon souvenir malgré votre chute ? Êtes-vous totalement remise ?

Une qualification et une participation aux Jeux olympiques sont incomparables. De plus, je suis devenue la première Mauricienne à se qualifier en VTT pour les JO. C’était ma troisième participation après 2008 et 2012. Donc, c’était vraiment le moment fort de ma saison même s’il y a eu la chute. Malheureusement cette chute a contribué à tous les pépins de santé qui ont suivi. Je n’ai pas vraiment mesuré les conséquences dans la foulée. Je pense que j’ai repris l’entraînement trop vite après. J’ai souffert de migraines horribles. Le 21 septembre, lors de la dernière manche de la SIS MTB League à Avalon, je ne me sentais pas bien. Je suis ensuite allée en Afrique du Sud pour participer avec une Sud-Africaine au Cape Pioneer mais lors de la première étape, j’ai eu un problème mécanique qui m’a forcée à abandonner. Un mal pour un bien parce que si j’avais continué, cela aurait pu avoir des conséquences désastreuses sur ma santé. A mon retour à Maurice, j’ai pris une longue pause et j’ai ensuite repris l’entraînement. Je suis loin d’avoir une forme correcte mais cela prendra le temps qu’il faudra. De toute façon, il y a tout le temps qu’il faut pour se préparer pour 2025.

On a vu que l’île Maurice possède avec vous, Kimberley Le Court-Pienaar, Lucie Lagesse et Raphaëlle Lamusse des femmes capables de briller au plus haut niveau en cyclisme. Mais pour quelles raisons pensez-vous qu’il n’y a pas davantage d’éléments féminins qui pratiquent ce sport ?

Déjà, dans tous les sports, ici comme ailleurs, il y a toujours plus de garçons qui pratiquent que de filles. Mais il est aussi vrai que les choses commencent à bouger dans le bon sens. Mais dans le cyclisme à Maurice, il n’y a pas des masses de participants masculins non plus. A La Réunion, les pratiquants sont plus nombreux. Le cyclisme reste un sport qui demande beaucoup d’investissements, surtout financiers. Les parents sont peu enclins à laisser leurs filles rouler seules sur la route. À ce niveau, le VTT reste bien plus sécurisé.

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Que doivent faire les autorités pour attirer davantage de femmes vers la pratique du vélo selon vous ?

Certaines personnes ne seront sans doute pas de mon avis, mais je reste persuadée que l’on peut attirer des filles – et même plus de garçons – à travers le VTT. C’est moins dangereux de rouler dans les champs de cannes et les bois au début. Après quelque temps de pratique, rien n’empêche de bouger sur la route. Nous avons lancé des écoles de VTT pour pallier ce problème. Dans ces écoles, il y a autant de filles que de garçons. Nous voulons maintenant encadrer des adolescents. Yannick (Lincoln) leur préparera un programme d’entraînement. On voudrait mettre à disposition des jeunes qui n’ont pas les moyens, des VTT basiques et leur offrir des cours gratuitement. Mais pour cela, il faut des sponsors qui croient dans un tel projet. C’est ça le combat !

La Fédération mauricienne de Cyclisme (FMC) a un nouveau comité directeur depuis quelques semaines. Quels sont les chantiers prioritaires auxquels il doit s’attaquer d’après vous ?

Il faut faire un gros effort en faveur du cyclisme féminin. Je trouve que nous ne sommes pas traitées de la même manière que les garçons. Il faudrait un plan et un budget pour les filles, tout comme c’est le cas pour les garçons. Il serait bien que nous puissions prendre part à trois ou quatre courses UCI chaque année. Cela motiverait davantage les filles à faire du vélo de haut niveau. Nous avons seulement les Championnats d’Afrique, les Jeux d’Afrique tous les 4 ans, les Jeux des îles de l’océan Indien (JIOI) tous les 4 ans. Je citerai le cas de Lucie Lagesse qui est encore jeune et qui a du potentiel. Il faut un plan de carrière pour elle.

Il y a aussi eu un changement de gouvernement. Dans son manifeste électoral, il annonce notamment la construction de pistes cyclables et de BMX. Est-ce que cela va booster la pratique du vélo selon vous ?

Les pistes cyclables peuvent inciter les gens à faire du vélo pour le loisir et délaisser leurs véhicules motorisés. Mais pour nous, cyclistes de haut niveau, elles ne sont pas appropriées pour nous entraîner. Par exemple, entre Ferney et Beau Champ, il y a une piste, mais qui est entrecoupée. Donc, il faut traverser et revenir. Ce genre de pistes est plus approprié pour les balades en famille ou pour les touristes. Il faudrait en installer le long des autoroutes et qu’elles soient séparées des voies réservées aux véhicules motorisés par un muret. Cela devrait s’accompagner d’une politique plus large au niveau national et des entreprises privées. Des personnes pourraient se rendre au travail à vélo – conventionnels ou électriques – et cela réduirait le trafic.

Les pistes de BMX c’est bien. Mais personnellement, je suis d’avis que les pump-tracks devraient être construits. Ils permettent de bien manier un vélo. C’est physique et cela aiderait grandement à faire de l’initiation.

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Vous avez déclaré à maintes reprises que les vététistes mauriciens étaient désavantagés lorsqu’ils prenaient part à des compétitions internationales parce qu’ils n’avaient pas la possibilité de développer leur technique ici. Que proposez-vous pour changer cet état de choses ?

Mo’Bike à Chamouny développe quelque chose de très bien. On peut s’entraîner techniquement sur les pistes qui ont été créées. C’est cette année que j’ai découvert Mo’Bike et j’ai pu m’y entraîner. Je pense que l’on devrait organiser des compétitions régulièrement là-bas. Plus on s’y exerce, plus on prend du plaisir dans les descentes techniques. On pourrait faire découvrir Mo’Bike aux enfants des écoles de vélo à leur troisième année de pratique. Cela leur permettrait de devenir habiles techniquement. En Namibie, il y a un parc de VTT. Pratiquement toutes les courses s’y tiennent mais cela permet aux vététistes de développer leur technique. Je pense qu’à Maurice, il faut absolument encourager les initiatives comme celle de Mo’Bike. De plus, cela permet de se retrouver en pleine nature.

Vous avez participé activement à l’organisation d’une ligue de VTT marathon comprenant trois manches avec le soutien du sponsor SIS, cette année. Est-ce que vous êtes satisfaite de la manière dont les choses se sont passées ? Quelles sont les améliorations ou innovations qui seront apportées en 2025 ?

Oui, je suis très satisfaite. Yannick (Lincoln) et moi avons eu une bonne équipe autour de nous pour l’organisation de cette ligue, que ce soit pour faire le balisage, le chronométrage, la photographie. Il faut garder cette équipe afin de poursuivre sur la même voie. Il y a certaines améliorations que l’on apportera et je suis contente que SIS ait renouvelé le partenariat pour 2025. On aura quatre courses soit une de plus que cette année. On réfléchit encore Yannick et moi aux parcours. Il faut savoir que la grande difficulté avec des courses de VTT marathon, c’est qu’il faut avoir beaucoup de permissions des propriétaires de terres. En période de chasse, c’est impossible d’en organiser. La principale innovation est que la dernière manche se déroulera sur deux étapes en novembre. Les dates ont déjà été proposées à la Fédération mauricienne de Cyclisme (FMC) et on attend un retour. Il faut aussi que les lieux qui accueillent les courses soient bien vivants et possèdent les facilités nécessaires. C’est un aspect qui complique les choses.

Vous êtes mère de famille. N’est-il pas difficile de concilier cela avec l’emploi du temps d’une sportive de haut niveau ? Comment vous vous organisez ?

Contrairement à ce que certaines personnes peuvent penser, je ne suis et n’ai jamais été cycliste professionnelle. J’ai deux filles et ce rôle de maman n’est pas de tout repos je dois l’avouer. Auparavant, je travaillais à plein temps, mais ce n’était plus possible de continuer après la naissance de mon deuxième enfant. Je suis une personne très organisée et j’arrive à intégrer toutes mes activités à mon quotidien. Si je dois m’entraîner, j’y vais même si les conditions climatiques sont mauvaises. Quand je fais quelque chose, je m’investis à 100 %. Il faut que chaque chose soit à sa place, le vélo, la famille et les autres activités. C’est un équilibre fragile qu’il faut maintenir. Mais je sais que je peux me reposer sur Yannick qui est un mari qui sait comment m’épauler. Nous sommes un binôme qui pense de la même façon. On se comprend sur tout.

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Avez-vous déjà déterminé votre calendrier pour la saison 2025 ? Quelles sont les compétitions majeures auxquelles vous souhaitez prendre part ?

J’aurais adoré prendre part à une course de VTT en binôme à l’étranger, mais rien n’est mis en place valeur du jour. Si l’occasion se présente, je sauterai dessus. Malheureusement, je n’ai pas de sponsor personnel qui me permettrait de prendre part à des épreuves à l’étranger. Il y aura certainement les championnats d’Afrique sur route et de VTT. J’aimerais bien que la fédération nous fasse participer à une ou deux courses UCI pendant l’année. On verra bien.

La compétition mise à part, avez-vous d’autres projets pour l’année prochaine ?

Je travaille sur un projet de formation en entreprise sur la nutrition pour la performance. J’ai obtenu l’autorisation de la Mauritius Qualifications Authority (MQA) pour être formatrice. C’est un volet qui me tient à cœur et je suis très excitée à l’idée de partager mes connaissances. Je suis convaincue que les gens vivent mieux en ayant une bonne hygiène de vie. La première cause de décès chez nous est liée au mode de vie. C’est mieux de bien manger, bien dormir et de gérer son stress. J’ai hâte d’incorporer le bien-être aux entreprises.

Le deuxième projet est d’inculquer les bonnes habitudes alimentaires aux enfants dans les écoles. C’est plus difficile et challenging. Les enfants ont tendance à consommer des choses trop sucrées et trop grasses. Il faut leur apprendre à en manger avec modération.

D’autre part, je fais toujours du coaching d’athlètes. En fait, je vois beaucoup de mal-être autour de moi et cela m’incite à faire des recherches pour pouvoir apporter mon aide. Cela me procure beaucoup de motivation.

Interview patronnée par... La-tropicale-25ans-A5-artwork-LANDSCAPE-14.85x21cm.jpg

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