Publicité
Verdict en Cour suprême
Bernard Maigrot : ce qui lui est arrivé pendant 24 ans
Par
Partager cet article
Verdict en Cour suprême
Bernard Maigrot : ce qui lui est arrivé pendant 24 ans

■ Réaction de Bernard Maigrot à sa sortie du tribunal, quand l’acte d’accusation a été rayé, le 2 juin 2008. 📸 © Beekash Roopun
Le 10 mars 2001, la découverte du corps sans vie de la styliste Vanessa Lagesse dans son bungalow à Grand-Baie lance une saga judiciaire hors normes. L’affaire va hanter Bernard Maigrot, héritier d’un empire textile et immobilier, pendant près d’un quart de siècle. Entre accusations de meurtre, faillites en cascade et drames personnels, l’homme d’affaires se retrouve propulsé au cœur d’un tourbillon judiciaire et médiatique sans précédent.
🔵 2001–2003 : Inculpé et rattrapé par ses dettes
Le 23 avril 2001, Bernard Maigrot est arrêté. Deux ans plus tard, il est officiellement inculpé du meurtre de Vanessa Lagesse. À la suite de cette enquête, des tensions financières majeures surgissent. Il devait Rs 6 millions au couple Clémenceau, fournisseur pour sa chaîne Mega Shops Ltd, et peinait à honorer ses loyers commerciaux. Ses entreprises accumulent pertes et créances, certaines étant même déficitaires, au point que leurs passifs excèdent leurs actifs.
🔵 2004–2010 : Résister malgré la tempête
Malgré la tourmente, Bernard Maigrot maintient ses opérations commerciales, dirigeant plusieurs entreprises textiles sous le groupe Tex : Tex Services Ltd, Tex Knits Ltd et Tex Washing Ltd. Ces sociétés fournissent des vêtements pour l’exportation, principalement vers l’Europe.
À son apogée, Tex Knits Ltd emploie plus de 400 travailleurs, génère un chiffre d’affaires annuel de plus de Rs 250 millions et travaille avec de nombreux sous-traitants locaux. L’activité semble prospère, mais les fondations sont déjà fragilisées par une image publique abîmée et des créanciers impatients.
🔵 2011–2019 : Implosion industrielle
À partir de 2016, les signes de déclin s’accumulent. En 2019, les trois sociétés piliers du groupe Tex sont placées sous administration judiciaire, avec des dettes cumulées estimées à Rs 200 millions. Tex Knits Ltd, située à L’Escalier, ferme définitivement ses portes, laissant 150 employés sur le carreau, dont 82 Bangladais et 68 Mauriciens. Les travailleurs étrangers, hébergés à Vallée-des-Prêtres, se retrouvent sans nourriture pendant plusieurs jours. Tex Washing Ltd accuse une dette de Rs 44 millions, tandis que Tex Services Ltd, jadis locomotive du groupe, cesse de commander, asphyxiant ses fournisseurs, notamment des PME locales comme Tara Knitwear.
🔵 2024 : Procès très attendu et condamnation
Le 20 mai 2024, le procès de Bernard Maigrot s’ouvre enfin devant les assises. Le 27 juin, il est déclaré coupable de meurtre à une majorité de 7 jurés contre 2, et condamné le 1er août à 15 ans de prison ferme. En cour, il déclare : «Ma famille et moi avons vécu 23 années de souffrance, d’humiliation et de tribulations.» Son avocat, Mᵉ Gavin Glover, SC, annonce immédiatement un appel du jugement.
🔵 2025 : Acquittement
Le 27 mai 2025, la Cour suprême annule le verdict. Le Full Bench souligne de graves erreurs de procédure dans les directives au jury et l’absence de preuves matérielles convaincantes. Bernard Maigrot est acquitté, mettant fin à 24 années de cauchemar judiciaire.
■ Bernard Maigrot le jour de son acquittement le mardi 27 mai. 📸 © Tony Fine
******
Héritier d’un empire immobilier et hippique
Fils de Théodore Maigrot, fondateur de la Société Richfield, Bernard Maigrot hérite d’un important patrimoine immobilier. Celui-ci inclut des bungalows à Cap-Malheureux, la Compagnie Agricole de Balaclava Ltée, mais aussi des projets fonciers à Royal Park, où il réalise divers investissements immobiliers, parfois en partenariat avec Ram Mardemootoo, une autre figure du monde des affaires mauricien. L’empire familial est également lié aux écuries Maigrot, bien connues à l’époque sur les champs de courses. Une écurie qui figure à présent dans l’histoire hippique mauricienne. Le parcours de Bernard Maigrot est celui d’un homme à la croisée des destins : chef d’entreprises prospères, accusé d’un crime odieux, puis acquitté après deux décennies de combat judiciaire. Il laisse derrière lui un tissu industriel ruiné, des centaines d’emplois perdus, une réputation écornée et une fortune familiale affaiblie. Au-delà du procès, il reste l’image d’un héritier broyé par ses ambitions, ses erreurs et le poids d’un système judiciaire lent à trancher.
******
Les figures clés de cette affaire
L’affaire du meurtre de Vanessa Lagesse, survenue en mars 2001, demeure l’une des plus mystérieuses et médiatisées à Maurice. Elle a été marquée par des disparitions, des décès suspects et des révélations troublantes. Quatre personnalités, directement ou indirectement liées à ce dossier, ont particulièrement retenu l’attention.
⚫ Inspecteur Prem Raddhoa : l’enquêteur principal décédé en Afrique du Sud
Inspecteur principal de la MCIT, Prem Raddhoa a dirigé l’enquête initiale. Il a été critiqué pour ses méthodes, notamment l’interrogatoire controversé de Bernard Maigrot, qui alléguera plus tard avoir été torturé. Raddhoa est mort d’une crise cardiaque lors d’un voyage en Afrique du Sud, peu après les premières avancées de l’enquête.
⚫ Elisabeth Henesch : dernière personne à avoir vu Vanessa Lagesse en vie
Ressortissante autrichienne et amie intime de Vanessa Lagesse, Elisabeth Henesch a dîné avec elle le 9 mars 2001, peu avant sa mort. Elle travaillait alors chez Tex Services, une entreprise dirigée par Bernard Maigrot. Deux mois après le crime, elle a quitté le pays discrètement pour retourner en Autriche, où elle réside toujours. Âgée de 43 ans, elle vivait à Cap-Malheureux avec Vikram Goodye. Bien que son témoignage ait suscité des interrogations, elle n’a jamais été inquiétée par la justice.
⚫ Vikram Goodye : premier suspect, mort dans un accident douteux
Ami proche d’Elisabeth Henesch et témoin clé de l’enquête, Vikram Goodye a été le premier suspect interpellé. Il est décédé le 9 septembre 2001 dans un accident de voiture, à moins d’un kilomètre de la maison de Vanessa. Son 4x4 est entré en collision avec un autobus à Peyrébère. Si la police a conclu à un accident, les circonstances de sa mort ont nourri de nombreuses spéculations.
⚫ Juge Prithviraj Fekna : un magistrat décisif emporté avant le procès
En 2019, le juge Fekna rejette une demande de Bernard Maigrot visant à faire avorter le procès, estimant que les nouvelles preuves scientifiques n’étaient pas suffisantes pour modifier la stratégie de la défense. Peu après, il décède subitement, contraignant la justice à reprendre la procédure judiciaire depuis le début.
⚫ Autres protagonistes clés
Au total, 79 témoins ont été entendus depuis le début de l’affaire. Isabelle Maigrot, épouse de Bernard, femme d’affaires née à Paris, l’a soutenu fermement.
⚫ Josiane Tostée, mère de Vanessa, est toujours marquée par la perte de sa fille. Elle a été brièvement arrêtée avec son mari, Maurice Tostée, en mars 2001.
⚫ Thierry Lagesse, cousin de Vanessa, a toujours défendu l’innocence de Bernard Maigrot. C’est lui qui demandait que Vanessa Lagesse soit incinérée, affirmant qu’elle l’avait souhaité.
******
Appel du bureau du DPP ?
Interrogé lors de la journée portes ouvertes du bureau du Directeur des Poursuites publiques (DPP), hier, Mᵉ Rashid Ahmine nous a affirmé que son bureau étudie actuellement le jugement de la Cheffe Juge Rehana Gulbul-Mungly sur l’acquittement de Bernard Maigrot : «Vous saurez dans quelques jours si nous ferons appel. On logera des grounds of appeal en cour, et dans le cas contraire, on s’expliquera à travers un communiqué.»
******
L’enquêteur principal ne commente pas l’acquittement
À la suite de l’acquittement de Bernard Maigrot dans l’affaire du meurtre de Vanessa Lagesse, nous avons sollicité une réaction de l’ancien assistant surintendant de police (ASP) Bala Kamatchi, (photo) qui avait dirigé l’enquête à l’époque. Ce dernier a indiqué qu’il ne souhaitait faire aucun commentaire.
L’enquête, lancée en mars 2001 après la découverte du corps de la styliste Vanessa Lagesse à son domicile, à Curepipe, avait été marquée par de nombreuses zones d’ombre et des allégations de mauvais traitements. Bernard Maigrot, alors principal suspect, avait affirmé que sa confession avait été obtenue sous la contrainte, sans assistance légale, et il avait par la suite retiré ses aveux. Il affirmait que ses aveux lui avaient été arrachés sous la torture par l’équipe dirigée par le surintendant Prem Raddhoa de la Major Crime Investigation Division. Dans ce contexte, l’ASP Bala Kamatchi, alors responsable de la Northern Division, avait été appelé à prendre le relais. Il a dès lors joué un rôle central dans la suite de l’enquête, qu’il a dirigée personnellement.
K.S
Publicité
Publicité
Les plus récents




