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Chez James

30 août 2017, 09:41

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Je me souviens que quand j’étais petit, notre coiffeur s’appelait James. Il était le seul à avoir l’immense privilège de placer ses ciseaux dans mes cheveux et de ceux de mes frères, tant mon père en était fier. Chaque fin de mois, j’allais voir mon papa à son travail et c’est lui qui m’emmenait chez James pour me faire couper les cheveux.

«James, get enn kou ki ou kapav fer pou mo ti-bolom la. Donn li enn zoli lakoup.»

Le salon de coiffure de James n’était pas vraiment un salon mais une pièce d’une maison qui lui tenait lieu d’atelier. La particularité de cette pièce, c’était la grande chaise réglable en hauteur, au milieu,et le grand miroir en face. Sous ce miroir il y avait une table où étaient rangés plusieurs paires de ciseaux et différents types de rasoir, dont un grand repliable, bien aiguisé et extrêmement coupant. Il y avait également un vaporisateur censé contenir de l’eau de Cologne ainsi qu’un poudrier qui faisait office de First Aid Kit contre les petits accidents qui pouvaient arriver lors du rasage que James faisait aux adultes, mais jamais aux enfants.

Je regardais tout cela avec un mélange d’émotions, empreint de curiosité et de fascination, mais aussi de fierté d’appartenir à un monde d’adultes. Le salon de coiffure était, surtout les samedis, très fréquenté par les messieurs qui s’y retrouvaient pour discuter de politique, de football, de boulot, entre autres. En ce temps-là, il n’y avait pas encore de Facebook et de chatroom et le salon de James, c’est là qu’on se rendait pour avoir des nouvelles fraîches, locales et internationales, pour placer des commentaires et participer à la discussion, en attendant qu’arrive le moment de prendre place sur la grande chaise.

Dans son salon, il y avait également plein de posters de joueurs de football de la ligue anglaise.Je restais là à les admirer pendant que mon papa repartait au travail. James me regardait du coin de l’oeil tout en continuant à mousser les joues d’un de ses clients. Ce dernier avait une serviette nouée autour du cou pour recueillir barbe et mèches de cheveux au fur et à mesure que James allait les couper. James prenait son rasoir et le passait rapidement sur une espèce de ceinture en peau qui pendait au mur. Il retirait ensuite une feuille à partir de la pile de billets de loterie verte sur la table devant le grand miroir et commençait à enlever la mousse sur le visage de son client à l’aide de son rasoir et l’essuyait sur la feuille.

De temps à autre, James se tournait vers moi et me parlait.

- «Ki zwer football to pli kontan ladan?

- Kenny Dalglish. Ou kapav koup mo sévé parey koumsa?»

Je me voyais déjà impressionner mes camarades de classe en me présentant devant eux en Kenny Dalglish et, grâce à cette nouvelle coupe, marquer des buts dans la cour de récréation.
 
Pendant que je me perdais dans mes rêveries, James avait vite fait de terminer le rasage du monsieur qui lui glissait quelques pièces et partait en jetant un dernier coup d’oeil dans le grand miroir. James commençait alors à préparer sa grande chaise pour moi. «Asizé mo get twa enn kou.»

Je m’approchais de la chaise devant le grand miroir. Comme j’étais petit, James plaçait toujours une planchette en travers des bras de la chaise et c’est sur cette planchette que je m’asseyais pour avoir plus de hauteur. Ensuite James m’attachait une serviette autour du cou et me disait : «Bes latet.»

Je regardais par terre sans bouger et ne voyais rien de ce qui se passait autour. Je n’entendais que les tchak...tchak, tchak...tchak des coups de ciseaux tandis que les mèches de cheveux tombaient et s’accumulaient autour de la chaise.

En me coupant les cheveux, James commençait à me faire la conversation.

- «Ki klas to été?

- Trwaziem.

- To’nn fini fer lexamé?

- Wi.

- To’nn pasé?

- Wi.

- Ki to’nn gagné dan mathématiques?

- Mo’nn gagne A.

- Anglais?

- Anglais ousi mo’nn gagn A.

- Français?

- A. Tou sujet mo’nn gagn A.

- To enn bon garson alor. Bien bon, to papa travay dir. Twa ousi fer bon garson, aprann bien.

- Wi.»

Régulièrement, James me disait : «Pa lévé.

Bes latet.»

Encore une fois, je n’entendais que les tchak...tchak, tchak...tchak. Puis, subitement, James m’enlevait la serviette que j’avais autour du cou et regardait mon crane puis le miroir, l’air satisfait. Je levais enfin la tête et regardais à mon tour dans le miroir... mais pas avec la même satisfaction. Je n’étais pas vraiment content.

«Bé li pa pé résanblé pou Kenny Dalglish sévé-la.» À ce moment-là, il me sortait : «Zanfan ki al lékol, aprann fodré pa fer lamod. Bizin koup sévé kourt, koumsa kapav lir, aprann bien.»

Je repartais rejoindre mon papa avec la ferme intention de lui dire ma déception par rapport à James. Mais rien à faire, James est resté un bon ami de mon papa jusqu’à la fin, et des années ont passé, je n’ai jamais eu la même coupe de cheveux que Kenny Dalglish, ni le même talent non plus.

Et un matin tu te lèves et tu hésites à l’idée d’aller chez le coiffeur, chaque nouvelle coupe te fait réaliser que tes cheveux commencent petit à petit à partir. J’imagine que c’est un peu ça vieillir...