Publicité

La Journée internationale

29 novembre 2017, 17:58

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

La Journée internationale

Cette semaine se tient l’International Jockey’s Weekend au Champ-de-Mars, événement qui marque la fin de la saison des courses hippiques. Je me souviens du tout premier International Jockey’s Day qui a eu lieu à Maurice. Je me souviens de l’excitation qu’il y a eue pendant toute la semaine précédant l’événement, de l’émerveillement du public qui n’en croyait pas ses yeux devant les légendes vivantes qu’étaient les jockeys Yves St Martin, Willie Carson et Walter Swinburn, entre autres, débarquer à Maurice pour évoluer au Champ-de-Mars.

À l’époque, j’étais un tout petit garçon et mes frères et moi n’avions jamais été aux courses. Le dimanche, mon père, après une dure semaine au travail, aimait se reposer sous le pié letchi dans notre cour, en écoutant à la radio les diffusions des matches de football joués au stade George V et des courses hippiques au Champ-de- Mars. Mes frères et moimême restions alors à ses côtés et écoutions les diffusions avec lui. Je pense que c’est ainsi que je suis devenu fan de courses de chevaux.

Au début, j’écoutais les courses sans aucune préférence, je ne me rappelais que des noms de chevaux comme Holdall, Laldheer, Monastic, Monsieur Blanc, Round House et Royal Special. Puis un jour débarqua à Maurice un cheval qui s’appelait Port au Prince. Dès la première fois que Port au Prince a couru, j’ai aimé son nom et je suis devenu fan de ce cheval. Le jour de sa première course au Champ-de-Mars, il y avait un problème avec les stalles, le départ fut donné avec des drapeaux et Port au Prince sortit deuxième. Mais la course allait par la suite être annulée.

Puis, à sa prochaine course, Port au Prince gagna sur la distance de 1 600m venant de l’arrière, au terme d’un joli finish. Il allait par la suite perdre une fois, gagner une fois et perdre encore une fois.

Puis arriva l’International Jockey’s Day. Port au Prince était au départ de la toute première course internationale à être courue à Maurice. Je n’arrivais pas à me contenir à l’idée de pouvoir enfin voir Port au Prince courir à la télévision. En ce temps-là, les courses étaient diffusées uniquement à la radio, mais l’événement était d’une telle envergure que la MBC décida de diffuser les courses de cette journée internationale en direct à la télévision pour la toute première fois.

Pour beaucoup de gens, c’était une tout autre expérience de voir les chevaux courir pour de vrai, pas seulement d’entendre leurs noms à la radio et d’imaginer la course dans leur tête. Les expressions telles que «courir botte à botte», «gagner par un naseau» ou «gagner dans un fauteuil» ou encore «passer devant le tombeau Malartique» ou «passer à la rue du gouvernement» prenaient un tout autre sens.

Le problème c’est qu’à cette époque, nous n’avions pas de télé à la maison. Mon oncle, qui vivait à l’arrière dans la même cour, en possédait une, mais il n’allait pas être à la maison pendant le week-end, devant se rendre à un mariage. Mes frères et moi allâmes plaider avec lui et il accepta de nous laisser les clés de sa maison pour permettre à trois petits garçons de 7, 10 et 12 ans d’entrer chez lui en son absence, d’allumer la télévision et de regarder les courses, en promettant de tout fermer en partant.

La première course internationale était un sprint sur 1 400m entre tous les chevaux les plus rapides de l’île. Personne ne s’attendait à voir Port au Prince bien faire car il préférait courir sur de plus longue distance. Mais dès le départ de la course, je n’ai regardé que Port au Prince. Je ne l’ai pas quitté des yeux quand il s’est installé parmi les derniers chevaux dans la course. Puis quand il s’est rapproché avant le dernier virage. Ensuite quand il est passé à l’action dans la ligne droite pour finir fort à l’extérieur. Je l’ai vu avaler un à un tous les autres chevaux pour gagner la course dans un instant sublime qui semblait se passer au ralenti. J’étais tellement content que j’ai pleuré comme un bébé souffrant de colique. Dans ma tête, je n’arrêtais pas de me dire, je savais que Port au Prince allait gagner, je le savais. Les jours, puis les semaines et les mois qui ont suivi, j’ai vécu cette course des milliers de fois dans ma tête.

C’était la dernière journée de course de la saison hippique et l’année suivante, le propriétaire et l’entraîneur de Port au Prince, Guy Fok et MBud Gujadhur, ont ensemble créé une nouvelle écurie. Je suis devenu fan de cette écurie dès sa création et j’en suis resté fan jusqu’à sa fermeture, 26 ans après.

Au collège, mon frère et moi gardions notre argent de poche chaque jour, sans jamais acheter de gâteaux, afin de pouvoir acheter un Turf magazine le vendredi matin. J’ai été un fan de chacun des chevaux de l’écurie Fok et à chaque course, pas seulement des grands chevaux ou seulement des grandes courses.

Je n’ai jamais misé de l’argent dans une course. D’une part, je ne parie pas. De l’autre, je n’aurais jamais pu miser de l’argent en jouant contre un de nos chevaux. Je ne me suis jamais plaint après une course et je n’ai jamais critiqué l’entraîneur ou le jockey quand nous perdions. Je n’ai jamais discuté avec les gens sur des forums parce que je n’ai jamais ressenti le besoin de le faire.

Au fil des ans, j’ai commencé à inventer des excuses pour éviter des fêtes dans la famille juste pour pouvoir regarder les chevaux courir à la télé. Le moment avant la course, je passe par toutes sortes d’émotions : si je suis en train de marcher, j’arrête de marcher, si je suis en train de manger, j’arrête de manger, si je suis en train de parler, j’arrête de parler. Ma dévotion et ma passion étaient, de cette manière, absolues.

En 2010, après 26 ans d’existence, l’écurie a fermé ses portes et dès lors, ma passion a commencé à s’estomper un peu plus chaque année. Parfois, quand j’entends parler de l’International Jockey’s Day, je suis rempli de nostalgie. Je revois mon papa sous le pié letchi écoutant les courses à la radio, je revois l’ancienne télé dans le salon de mon oncle, je revois Port au Prince gagnant sa course. Ce sont autant de choses qui ont un jour existé et qui vivront quelque part en moi pour toujours...